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Directement affectés par le processus de libéralisation des industries de réseaux en Europe, les anciens monopoles sur leurs marchés respectifs deviennent respectivement les uns pour les autres, de nouveaux concurrents.

2.2.1) Un groupe stratégique interconnecté

Au sein de chaque industrie, ils forment ainsi des groupes stratégiques (Hunt, 1972 ; Porter, 1980) interdépendants. Le groupe stratégique se définit comme le regroupement de systèmes d'offres qui exploitent les mêmes compétences par rapport aux facteurs clés de succès d'une industrie générique donnée.

Les compétences ou variables stratégiques de proximité, caractérisant ses comportements, peuvent être par exemple :

- des variables commerciales : segment de marché visé, largeur et profondeur de la ligne de produits, type de circuits de distribution, les zones géographiques d'interventions, médias de communication, etc.

- des variables d'exploitation : forme du processus de production, niveau des dépenses de recherche-développement, etc.

Ces opérateurs de réseaux interconnectés sont également et directement interdépendants.

Pennings (1981, p. 434) définit l’interdépendance stratégique comme toute situation où l’on peut observer « un comportement de l’une des organisations ayant des ramifications dans les comportements des autres firmes ». Acteurs interdépendants et encastrés, d’importantes relations économiques et sociales influencent et contraignent leurs actions (Baum & Dutton, 1996 ; Dacin, Ventresca & Beal, 1999 ; Granovetter, 1985). Qu’il soit structurel, politique culturel ou cognitif (Zukin & DiMaggio, 1990) cet encastrement a en effet d’importantes conséquences stratégiques.

Les firmes ayant des profils proches (taille, activité, gouvernance…) peuvent développer des visions communes de l’évolution de leur marché et donc leurs stratégies. Elles comprennent plus aisément les trajectoires stratégiques des unes et des autres. La capacité à décoder les mouvements concurrentiels est plus forte au sein d’acteurs d’un même groupe stratégique.

A l’inverse, les firmes qui ne partagent pas autant de similarités (plus petite taille, marché spécialisé, organisation différente…) sont moins à même de comprendre et de suivre la trajectoire des acteurs dominants.

La construction sociale de la relation concurrentielle joue donc ici un rôle clé. En effet, l’évolution possible d’un destin collectif au sein d’une industrie apparaît comme une force structurante. Cette interdépendance entre les acteurs est parfois qualifiée « d’oligopole lié »

(« linked oligopoly » : Bulow, & al., 1985 ; Martinez, 1990 ; Solomon, 1970), par les firmes qui reconnaissent leur « interdépendance de destin » (« fate interdependence » : Hughes &

Oughton, 1993) et adoptent des accords de « sphères d’intérêts » (Kantarelis & Veendorp, 1988).

Certains processus sociaux jouent un rôle dans ce phénomène de structuration selon Li &

Greenwood (2004).

- L’apprentissage inter-firmes favorise cette tendance : comme les mouvements de personnels entre entreprises (Hall, 2002), le développement de réseaux d’amitiés qui dépassent les frontières des firmes (Ingram & Roberts, 2000), l’influence des associations professionnelles (King & Lenox, 2000), les participations croisées à des conseils d’administration ou au travers d’alliances stratégiques ou

- De même, que la légitimation dont bénéfice l’ensemble des acteurs qui suivent une même trajectoire stratégique (Greenwood & Hinings, 1996) Elle peut être renforcé par les structures support communes aux différents acteurs comme l’existence de fournisseurs référents dans une industrie ou le rôle de certains conseils et banquiers qui favorisent la cohérence et la structuration des comportements, renforçant ainsi les phénomènes de mimétisme (DiMaggio & Powell, 1983).

Malgré le fait qu’officiellement, une politique de libéralisation vise au développement de la concurrence entre les opérateurs, les ex-monopoles peuvent être davantage portés vers des stratégies de coopération du fait de leur encastrement dans la gestion de réseaux (à la fois techniques et relationnels) et leur interdépendance.

2.2.2) Une interdépendance favorisant des relations de coopération

Les réseaux d’entreprises bien structurés peuvent être la source de performances supérieures et constituer un véritable capital social (Burt, 1992). Dans cette optique, la gestion des relations inter-firmes peut être considérée comme une ressource stratégique (Nohria & Garcia Pont, 1991, Nohria & Eccles, 1992), qu’il s’agissent d’alliances stratégiques, de relations clients- fournisseurs, de participations à des conseils d’administration, des échanges de personnels ou encore de participations à des associations professionnelles. Plus globalement, la structure des réseaux au sein d’une industrie joue un rôle important à la fois sur la performance et l’évolution d’une industrie (Madhavan & al., 1998).

Pour leur part, Gnyawali & Madhavan (2001) traitent les positions occupées par les entreprises dans le réseau comme une ressource que celles-ci peuvent mobiliser pour déployer leurs actions. Selon ces deux auteurs, la position dans le réseau influence la probabilité d’engagement des actions par une firme. Quatre caractéristiques importantes sont identifiées : la centralité, les niches structurelles ou autonomie, l’équivalence structurelle et la densité.

De leurs cotés, Gulati, Nohria et Zaheer (2000) estiment que lorsque les réseaux deviennent plus importants pour les firmes, il est indispensable de s’éloigner de l’approche traditionnelle de la stratégie considérant les firmes comme des entités atomisées et d’adopter une approche relationnelle afin de comprendre les comportements et la performance.

Ces situations d’encastrement se révèlent cependant paradoxales comme l’a souligné Uzzi (1997, p.37). En effet, ces relations, informelles, souples et réactives, peuvent apparaître

« spontanément » et être un avantage concurrentiel décisif pour une entreprise, cependant une telle configuration reste pratiquement impossible à dupliquer. Ces spécificités sont, comme l’a montré Detchessahar (1998), souvent propres à un territoire, une industrie et à des trajectoires personnelles d’entrepreneurs et de managers.

Tableau 21 : L’influence de l’enracinement sur la stratégie de coopération Avec enracinement : « histoire

- Difficile de ne pas faire confiance - Pas de sanctions formelles

- Perte de réputation et coûts de sortie - Ressentiment liés à la nature du contrat

- Possibilité d’invoquer l’indulgence

(Source : Baumard, 2002, p.112)

Ces situations d’interdépendances et d’encastrements associés à une très forte incertitude tant concurrentielle qu’institutionnelle favorisent ainsi grandement les tentations de collaborations inter firmes (cf. Tableau 21).

La gestion de ressources structurantes (Pfeffer & Salancik, 1978), l’accès à de nouvelles connaissances ou des actifs complémentaires (Kogut, 1988), ou encore la réduction des difficultés liés à l’organisation de marchés (Williamson, 1985, 1991), sont en effet des enjeux majeurs pour des firmes en réseaux nouvellement placés sur un marché libéralisé.

Dans le prolongement des travaux de Coase (1937, 1988) sur les coûts de transactions, et ceux de la théorie comportementale de la firme (March & Simon, 1958 ; Cyert & March, 1963), une situation complexe, marquée par la rationalité limitée des acteurs, les réseaux inter firmes, peuvent apparaîtrent comme un arrangement institutionnel permettant la gestion de l’interdépendance des acteurs.

En effet, à coté du risque concurrentiel, l’autre grand risque auquel les ex-monopoles doivent faire face est un risque institutionnel majeur de « régulation ».