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Une des grandes alternatives stratégiques peut se résumer comme le souligne Dixit (1982) à l’opposition entre l’affrontement et la passivité.

1.2.1) Stabiliser ou perturber le jeu concurrentiel

Comparé au thème de la construction de l’avantage concurrentiel, celui de la défense de l’avantage stratégique est relativement peu traité dans la littérature stratégique.

Analysant les choix stratégiques offerts à des leaders de marché pour défendre voire renforcer leurs positions, Roy (2004, p.211-112) précise les deux thèses qui s’opposent sur cette question:

- « La première, la plus communément admise, postule l’argument selon lequel les leaders ont intérêt à entretenir la stabilité au sein de leur secteur afin d’éviter tout risque lié à l’apparition d’une menace ou à une trop forte rivalité entre les firmes. Les travaux issus de l’économie industrielle s’inscrivent directement dans ce raisonnement. L’analyse de Porter (1980) démontre à ce titre les risques liés à une forte intensité des forces concurrentielles. Les firmes dominantes ont alors intérêt à favoriser l’inertie sectorielle plus que la prise de risque et la déstabilisation des conditions environnementales. L’attitude stratégique prescrite ici au leader consiste à ériger des barrières à l’entrée afin de dissuader les concurrents potentiels.

- La seconde thèse, plus récente, se positionne à l’opposée de cette prescription. Elle réfute l’argument précédent selon lequel une limitation de la rivalité est la clé de la défense d’un avantage. Partant du principe que « les barrières à l’entrée ne sont pas éternelles » et que « le seul avantage durable résulte de la capacité à créer de nouveaux avantages » (D’Aveni, 1995), les firmes doivent prendre des initiatives agressives et ne pas hésiter à perturber le statu quo. Il ne s’agit plus de réduire la concurrence, mais bien de l’alimenter pour tirer profit de ses effets sur les concurrents et sur le secteur dans son ensemble. A l’idée d’un déterminisme structurel est ici préféré « l’intention stratégique » des firmes (Hamel & Prahalad, 1989). Elles

acquièrent la capacité de remettre en cause l’état actuel du marché dans un objectif de renégociation de leur position et de leur rôle ».

Le choix stratégique pour se résume alors au dilemme « stabiliser ou perturber » la concurrence (cf. Tableau 3).

Tableau 3 : Stabiliser ou perturber le jeu concurrentiel

Stabiliser le jeu concurrentiel Perturber le jeu concurrentiel Approche de la

concurrence Structurelle Comportementale

Courants & Auteurs Analyse des forces concurrentielles (Porter)

Perspective Long terme Court / Moyen terme

Moyen d’action Barrières à l’entrée, protection des ressources rares établir avec son environnement concurrentiel et notamment avec ses concurrents.

1.2.2) Les politiques relationnelles

A cet égard, le modèle de Koenig (1996) permet d’appréhender, selon un triptyque affrontement – évitement – coopération, l’ensemble des conduites d’acteurs en situation de concurrence (cf. Figure 6).

Figure 6 : Les différentes politiques et modes relationnels

(Source : Koenig, 1996, p. 222)

Au delà des trois politiques relationnelles identifiés (l’affrontement, l’évitement et la coopération), Koenig propose également des situations intermédiaires entre ces pôles (la différenciation, la distinction, l’entente et la coopétition) soulignant ainsi l’existence d’une

« réalité métissée ».

Dans une logique de stabilisation, l’évitement ou la coopération semble les modes relationnels les plus adéquats.

L’évitement.

Le pôle de l’évitement, selon Koenig, peut être complété en distinguant notamment le déplacement et la recherche d’un effet de monopole.

Pour cet auteur, le déplacement se caractérise par une concentration de l’activité sur certains segments de marché, proche du sens de la stratégie générique de « concentration » définie par Porter (1980). Les firmes en interaction peuvent alors grâce à ce déplacement, reconnaître un statu quo tacite permettant un partage des territoires, c'est-à-dire des sanctuaires propres à chacun des acteurs.

Dans cette perspective, l’entente, qu’elle soit explicite (collusion) ou tacite, se trouve ainsi située entre la coopération et l’évitement, selon qu’elle soit issue d’une volonté plus ou moins délibérée de la part de ses auteurs.

Un effet de monopole peut également mis en place soit par des logiques de démarcation, ou encore par des logiques d’obstruction.

Dans cette logique de démarcation, Koenig reprend le concept de différenciation développé par Porter (1980) et qu’il rapproche cependant du pôle de l’affrontement. Il propose cependant une notion supplémentaire de « distinction », proche cette fois-ci du pôle de l’évitement.

Concernant les logiques d’obstruction, Ibert (2002, p. 29) souligne qu’« elles renvoient aux manœuvres par lesquelles la firme va chercher à gêner les concurrents, soit par l’exploitation d’une protection, soit par la dissuasion de ses concurrents potentiels en limitant leurs manœuvres. Des tactiques comme la prolifération de marques (Glais, 1992), l’investissement de capacité excessif et irréversible (Dixit, 1980 ; Porter, 1980 ; Heil & Robertson, 1991 ; Smith & al., 1992) ou le limit pricing (ou pratique de prix dissuasif à l’entrée de nouveaux acteurs) (Kreps & Wilson, 1982 ; Milgrom & Roberts, 1982a & 1982b ; Weigelt & Camerer, 1988) relèvent de cette figure d’obstruction. »

La coopération et les stratégies collectives.

Agir en coopération, revient à chercher un partenaire qui peut se situer dans une relation verticale (clients / fournisseurs) et/ou dans une relation horizontale (concurrents).

La coopération reste une des positions absentes dans l’analyse stratégique développée par Porter (1980). Se penchant davantage sur des logiques de domination, de différenciation ou de concentration, il a laissé de coté les politiques de coopération notamment celles avec des concurrents.

Les coopérations, partenariats et autres alliances horizontales, notamment dans une perspective dyadique, c'est-à-dire entre deux concurrents, ont été l’objet de recherches très développées (Dussauges & al. 2000 ; Kogut, 1988, Stuart, 2000).

Pour atteindre ses objectifs de croissance ou de rentabilité, une entreprise peut choisir d’agir individuellement mais également collectivement (Astley & Fombrun, 1983 ; Bresser & Harl, 1986 ; Baumard, 2000).

Selon Astley & Fombrun (1983), les formes d’interdépendances peuvent être de type

« commensales », c'est-à-dire entre firmes concurrentes, dans la relation horizontale, ou de type « symbiotique », c'est-à-dire entre firmes complémentaires, dans la relation verticale. Sur un autre plan, les types d’associations entre firmes peuvent être « directes » sous la forme d’un contrat qui définit les bénéfices économiques de chacun, ou « indirectes », sous la forme de relations formelles ou informelles qui ne spécifient pas les bénéfices économiques des partenaires. Au croisement de ces formes d’associations et d’interdépendances, il est possible de caractériser quatre types de stratégies collectives (cf. Tableau 4).

Tableau 4 : Typologie des stratégies collectives

Formes d’interdépendances Commensalisme Symbiotique

Directe Confédérée Conjuguée

Types

d’association Indirecte Agglomérée Organique

(Source : Adapté de Astley & Fombrun, 1983).

Le Roy & Yami (2006, p.10) précisent ces stratégies collectives :

- « Les stratégies confédérées se développent dans les environnements concentrés, soit sur des marchés de petits nombre qui permettent des interactions directes entre les firmes. Elles prennent la forme de participations croisées, de fusions ou d’alliances dyadiques comme les joint-ventures. (…)

- Les stratégies agglomérées se développent sur des marchés composés d’un grand nombre de firmes de petite taille. Elles reviennent à mettre en place une coordination centralisée, sous forme, par exemple de cartels ou de syndicats professionnels.(…) - Dans les stratégies conjuguées, les firmes non concurrentes établissent des contrats

directs pour coordonner leurs activités complémentaires, comme dans le cas des relations de filières entre donneurs d’ordres et sous-traitants. (…)

- Les stratégies organiques consistent à s’engager dans des relations de réseaux, entre firmes complémentaires ». Les associations y sont indirectes et visent à défendre collectivement un marché en tentant par exemple d’influencer une partie prenante.

Chacune de ces stratégies collectives se développent autour de coordination et de formes de contrôles particulières (cf. Tableau 5).

Tableau 5 : Les quatre formes de stratégies collectives

Confédérées Agglomérées Conjuguées Organiques Forme

d’information. Flux d’activités. Flux d’influence.

Formes de

(Sources : Baumard, 2000, p. 115 ; adapté de Astley & Fombrun, 1983).

Situé entre l’affrontement et la coopération, un nouveau modèle concurrentiel basé sur la théorie des jeux a été popularisé par Nalebuff & Brandenburger (1996) : la co-opétition.

La coopétition.

Selon Koenig (1996, p.272), la « coopétition », néologisme qui amalgame coopération et compétition, renvoie à deux conceptions :

- Des firmes concurrentes peuvent opérer un « clivage » en gérant dans le même temps un affrontement sur certaines activités et des coopérations sur d’autres.

- L’autre acception est basée sur une « solidarité agonistique », c'est-à-dire qu’en situation d’interdépendance mutuelle, les entreprises concurrentes doivent gérer l’ambivalence de leur comportement sur le destin individuel et sur le destin commun du groupe stratégique (Baumard, 2000, p.246). Elles doivent ainsi se fixer certaines limites, parfois assimilées à la « retenue mutuelle » (Axelrod, 1984).

Nalebuff & Brandenburger (1996) proposent pour leur part la coexistence d’aspects à la fois coopératifs et compétitifs via notamment le recours à la coopération pour créer ou agrandir

« le gâteau » et la compétition lorsque vient le moment de le partager.

Plus globalement, la coopétition s’appuie sur trois notions :

- La notion de « complémenteurs » : les entreprises doivent rechercher des partenaires complémentaires, même si ils sont concurrents, afin de mieux valoriser leurs propres ressources.

- La notion d’arbitrage entre stratégies de compétition et stratégies collectives : les entreprises doivent identifier les opportunités en termes de partenariat avec certains concurrents, sans pour autant perdre de vue la défense de leurs intérêts.

- La notion de rôles multiples des entreprises : la coopétition repose sur le fait que les entreprises peuvent jouer des rôles très différents au cours du temps.

Après avoir parcouru les politiques relationnelles d’évitement et de coopération, nous analysons maintenant de façon plus détaillée la logique d’affrontement et de perturbation de la concurrence.