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3.1) La libéralisation du secteur de l’électricité et les spécificités techniques du produit

Le secteur énergétique vit depuis quelques années maintenant une importante transformation. L’origine de ce phénomène est identifiable dans la volonté politique européenne de libéraliser les différents marchés européens, et notamment les industries de réseaux.

Cependant, la libéralisation de ce secteur reste très spécifique du fait même des propriétés de ce bien qu’est l’électricité. Cette libéralisation doit en effet tenir compte des spécificités physiques du « produit » en question, qui a conduit à une redéfinition complète de la filière

électrique. Le chemin vers un véritable marché unique et transparent est encore long et complexe.

3.1.1) Une série de directives européennes visant la libéralisation du marché de l’électricité

La date clé pour comprendre l’évolution actuelle du secteur de l’énergie, et plus particulièrement celui de l’électricité en France, est 1996. Il s’agit de l’année de la Directive Européenne du 19 décembre 1996 (96/92 CE), « concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ». Renforcée par la directive 2003/54/CE du 26 juin 2003, l’ouverture à la concurrence du marché européen de l’électricité prévoit notamment :

• L’accès non discriminatoire des tiers aux réseaux de transport et de distribution (ATR).

• La séparation juridique des activités de transport.

• La séparation juridique des activités de distribution.

• L’éligibilité de tous les clients non-résidentiels au plus tard le 1er juillet 2004.

• L’éligibilité de tous les clients au plus tard le 1er juillet 2007.

Visant à déconnecter la gestion des réseaux (activité en situation de monopole naturel) des activités concurrentielles, les trois premières dispositions sont un gage d’accessibilité du marché à de nouveaux entrants, en les protégeant notamment d’un potentiel abus de position dominante de la part des opérateurs intégrés.

La philosophie de ces directives est commune aux différentes décisions prises par le parlement européen et la commission : il s’agit de créer un marché unique en Europe qui favorise la libre circulation des biens et des personnes. Or l’existence de monopoles est un frein évident à ce principe fondateur de l’Union Européenne. Le développement des relations et l’intégration progressive des différents états membres entre eux passent donc par une ouverture de leurs marchés nationaux et donc parfois par la fin de monopoles.

Transposées progressivement dans les différents droits nationaux des pays membres, ces directives et le processus de libéralisation du secteur qui en découle, changent complètement la donne au sein de l’industrie électrique. En effet, cela signifie concrètement la fin des

monopoles de nombreux producteurs nationaux (France, Italie, Allemagne, Benelux…). Il s’agit d’une véritable révolution culturelle et économique pour la majorité des pays membres. Le but recherché par cette libéralisation est bien entendu un meilleur fonctionnement du marché (via une meilleure adaptation de l’offre et de la demande), une meilleure gestion de ce secteur (via une maîtrise des investissements et des coûts) et au final une baisse des prix pour les consommateurs. Il s’agit également d’éviter une concentration trop forte de pouvoir de marché de certains grands acteurs.

3.1.2) Les spécificités de l’électricité et de son commerce

Il nous est utile de rappeler quelques informations essentielles à la compréhension de ce marché. Ces spécificités tiennent aux caractéristiques du produit concerné : l’électricité est un bien aux propriétés bien particulières.

• L’électricité est tout d’abord un bien homogène que l’on peut considérer comme une

commodité.

Il est en effet difficile de distinguer un kWh ou un électron d’un autre. Le moyen de production (nucléaire, charbon…) ou la source de l’énergie (renouvelable ou non) ne sont pas encore suffisamment pris en compte (ils le sont progressivement avec la labellisation de l’énergie verte ou encore l’intégration des coûts externes comme l’émission de CO²…). La principale distinction de l’électricité repose donc sur son prix de vente.

• Il s’agit ensuite d’un bien qui ne se stocke pas.

Il est en effet impossible de conserver de l’énergie électrique dans l’attente d’une consommation future. Seuls l’hydraulique de lac (barrages de retenues en montagne) et quelques stations de pompage permettent de stocker de l’eau, qui peut ensuite servir à produire de l’électricité, mais il s’agit de quantités souvent marginales et dépendantes également de conditions pluviométriques. Ainsi, la non-stockabilité de l’électricité oblige à assurer un équilibre constant entre le soutirage (la consommation) et l’injection (la production) au sein d’un réseau électrique.

Transporter de l’énergie nécessite des infrastructures très lourdes comme un réseau de transport à haute tension ou de distribution et un équilibrage constant de la tension afin d’assurer sa stabilité. De plus, il existe des pertes de puissances importantes générées par la résistance du câble conducteur, appelées « pertes en lignes ».

• Enfin la demande d’électricité a une très faible élasticité au prix.

L’électricité est aujourd’hui un produit de base voir de première nécessité pour une économie, une entreprise ou un ménage. Excepté pour les électro-intensifs (industriels pour qui l’électricité représente une des charges principales : aluminium, acier, chimie, papeterie…), le niveau des prix influence peu le niveau de la demande.

Ainsi au sein de cette industrie de réseaux, nous constatons qu’il s’agit d’un marché imparfait au sens économique du terme.

Nous retiendrons qu’il existe en outre différents moyens de production d’électricité ayant chacun des spécificités propres. L’arbitrage entre les utilisations des différents moyens de production sera fonction de la flexibilité de démarrage de la production (lente et sur de longues durées ou très rapides mais sur des périodes courtes) mais aussi du coût et de la disponibilité du combustible ou de la ressource utilisée (prix du gaz, du fuel ou disponibilité de l’eau, ou du vent…).

3.1.3) Les différents moyens de production d’électricité

La production d’électricité peut être réalisée par différents moyens. Les plus répandus sont la production thermique et mécanique. Il s’agit dans les deux cas de transformer une forme d’énergie en énergie électrique via la rotation d’un alternateur. L’énergie primaire peut être alors la combustion de ressources fossiles (charbon, gaz, fuel…) ou nucléaire (uranium) ou l’utilisation de forces naturelles (eau et vent essentiellement).

Les principaux moyens de production d’électricité en Europe sont :

• Les centrales nucléaires qui assurent 34 % de la production au sein de l’UE. Il s’agit

de faire chauffer de l’eau et créer de la vapeur via l’énergie dégagée par le cœur d’un réacteur nucléaire qui entraîne ensuite un alternateur. Développée principalement au

cours des années 70 et 80, la filière nucléaire est aujourd’hui fortement contestée pour des raisons écologiques et politiques liées aux risques d’accidents (Tchernobyl, Three Miles Island, menaces d’attaques terroristes…) et à la gestion des déchets radioactifs sur des millions d’années.

• Les centrales au charbon utilisent la houille comme combustible. Il s’agit d’un des procédés les plus anciens pour produire de l’électricité. Ces centrales au charbon ont fait l’objet de progrès techniques importants mais restent fortement émettrices de gaz CO2 (dioxyde de carbone), responsable de l’effet de serre dans l’atmosphère.

• Les centrales au fioul, correspondent généralement à des petites unités (< à 50 MW)

permettant de produire de l’électricité grâce à un moteur diesel. Cette technique représente environ 7 % de la production totale de l’Union Européenne.

• Les centrales ou turbines à cycles combinés gaz – vapeur (CCGT, TGV), ont connu un

développement très important au cours des années 80 et 90. Ces centrales à haut rendement utilisent le gaz comme combustible pour produire de l’électricité : La chaleur dégagée par la turbine est également récupérée pour produire de la vapeur et donc de l’électricité ou alors servir comme fluide industriel (on parle alors de co-génération : électricité et chaleur). Il s’agit d’une technique en fort développement pour des raisons économiques (coût d’investissement limité, prix du gaz compétitif, rendement performant), pratique (flexibilité de la production, taille de la centrale) et écologique (émission de CO2 plus faible que le fuel ou le charbon). Représentant 18 % de la production électrique de l’Union Européenne, cette technologie pourrait selon certains analystes représenter jusqu’à 30 % de la production en 2020.

• Les centrales hydrauliques utilisent la force motrice de l’eau comme générateur. Energie renouvelable largement exploitée en Europe (12% de la production européenne), l’hydraulique est traditionnellement composée de centrales « au fil de l’eau » (barrage sur un fleuve ou une rivière) et « de lac » (retenue d’eau en montagne).

• Les fermes éoliennes sont des installations limitées aujourd’hui (quelques pourcents de la production européenne ~ 1-2 %) mais qui connaissent un essor important notamment grâce à de fortes incitations gouvernementales. Un des objectifs du protocole de Kyoto visant la réduction des gaz à effets de serres s’est traduit par une volonté politique de porter à 21 % la part des énergies renouvelables dans la production électrique européenne.

• Les autres moyens de production (photovoltaïque, géothermie, biomasse, biogaz…)

restent encore très marginaux.

Il nous est nécessaire de préciser que ces différents moyens de production n’ont pas les mêmes caractéristiques économiques comme le coût de l’investissement initial, la taille de la capacité disponible, la durée de vie de l’outil, le rapport coûts fixes/ coûts variables, ou encore la flexibilité de la production… (cf. Figure 27).

Figure 27 : Courbe d’offre (coût marginal selon disponibilités)

(Source : Chevalier & Rapin, Les réformes des industries électrique et gazière en Europe, p. 36. Institut de l’Entreprise, Juillet 2004)

Ainsi par exemple, une centrale nucléaire coûte plusieurs milliards d’euros d’investissements et nécessite près de dix ans pour une mise en service. Une fois en place, elle peut développer une capacité de production comprise entre 1000 et 1400 MW, et ceci durant 40 à 50 ans. Une fois démarrée la production de la centrale est très peu flexible mais a un faible prix du KWh.

A l’opposée une centrale au fioul dont la production est très flexible et rapidement opérationnelle, nécessite un investissement plus faible, mais dispose d’une capacité souvent plus limitée et d’un coût de production plus élevé.

Pour faire face à la demande, on utilisera différents outils selon leur flexibilité ; par exemple :

- La demande de « base » (appelée aussi « ruban »), constante et régulière sera assurée

par des centrales nucléaires, de l’hydraulique au fil de l’eau et pendant l’hiver par de grosses centrales au charbon.

- La demande dite de « semi-base » (appelée aussi « blocs ») sera, pour sa part, assurée

par des productions plus souples comme les turbines au gaz, ou les centrales au charbon.

- Enfin pour les « pics » ou la

demande « de pointes » (appelée aussi « dentelle »), l’hydraulique de lac et les centrales au fioul seront alors utilisées.

1.4) Le transport de l’électricité en Europe et l’existence de plusieurs marchés locaux.

Nous l’avons souligné l’électricité est un produit qui se transporte mal. Cependant afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement de certaines régions frontalières, des interconnexions entre différents réseaux nationaux ont été développées. Ces interconnexions ont été plus ou moins développées selon les caractéristiques du relief environnant et selon les relations entre les opérateurs nationaux. Ainsi les barrières naturelles que sont les chaînes montagneuses des Pyrénées et des Alpes, concourent directement à l’isolement des marchés ibériques et italiens. A l’inverse, les marchés français, allemands et du Benelux ont pu plus facilement développer des relations d’échanges entre leurs réseaux.

Si les flux électriques peuvent maintenant être généralisés en Europe, ils restent particulièrement concentrés sur certaines zones d’échanges où les interconnexions sont les plus développées. Caractérisé par des disparités en termes de capacités de production (type et quantité disponibles), le marché européen reste encore une juxtaposition de régions électriques (appelées « plaques électriques ») plus ou moins bien interconnectées.

Figure 28 : Les flux physiques d’électricité (zone UCTE) et les « plaques électriques » européennes

(Source : fond de carte UCTE, 2005)

Ainsi, au-delà des frontières politiques, ce sont bien les frontières géographiques et physiques qui matérialisent le mieux l’organisation du marché européen de l’énergie (cf. Figure 28). Plus localement, la libéralisation européenne du secteur de l’énergie associée aux spécificités de ce produit particulier a provoqué une réorganisation complète de la filière électrique française.

3.2) La nouvelle organisation du marché français de l’électricité suite à sa