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1.1) Déréglementation, dérégulation ou libéralisation des industries de réseaux ?

Souvent considéré comme des services publics, les industries de réseaux (électricité, gaz, transport, poste…) ont été récemment libéralisées. Quelques précisions tant techniques qu’historiques peuvent être utiles.

1.1.1) Quelques définitions, précisions sémantiques et spécificités

"Contrairement à une opinion qui a longtemps eu cours, les réformes de libéralisation ne constituent pas une déréglementation ou une dérégulation. L’introduction de la concurrence se traduit bien plutôt par la mise en place de nouvelles réglementations, de nature différente de celles qui préexistaient. On a affaire à une modification profonde des modalités d’intervention de l’État, ou en d’autres termes à la mise en place de nouvelles formes de

régulation publique." (Bergougnoux, 2000, p.209).

Cette régulation peut être définit comme : « l’ensemble des interventions des pouvoirs publics visant à instaurer la concurrence - autant qu’il est nécessaire - dans un secteur où elle n’existait pas ou très peu, et à concilier l’exercice loyal de cette concurrence avec les

missions d’intérêt général dont sont investis les services publics en réseaux ». (Bergougnoux,

Sur un plan sémantique, Lévêque (2005, p.4-5) souligne que la langue française présente l’avantage sur la langue anglaise de disposer de deux termes : « réglementation » et

« régulation ». La régulation peut être définit avec une portée générale comme « le

phénomène d’ensemble qui concourt à la bonne marche d’un organisme ou d’une économie ;

plusieurs forces, souvent contraires, sont à l’œuvre », dont la réglementation, la technologie,

les préférences des consommateurs ou la rivalité des agents.

Les industries de réseaux, longtemps qualifiés de « monopoles naturels » ont ainsi été au cœur des questions de régulations.

En effet, économiquement, certains biens et services possèdent la caractéristique de ne pouvoir être intéressant qu’à grande échelle. Nécessitant des technologies et des infrastructures très coûteuses, l’amortissement de ce type d’investissement (externalité d’offre), de même que la valeur liée à son utilisation (externalité de demande – effet de club), augmente à chaque fois qu’un utilisateur se raccorde au réseau. Il s’agit d’externalités de réseaux (Economides, 1996 ; Katz & Shapiro, 1985, 1994). Compte tenu des coûts initiaux d’installation, il est plus économique que la production soit réalisée par quelques entreprises voire une seule verticalement intégrée qu’une multitude d’acteurs. Ainsi selon les caractéristiques d’une activité (fortes économies d’échelle et d’envergure), il peut exister ce que les économistes appellent des « monopoles naturels » (Sharkey, 1982).

Plus particulièrement, les industries de réseaux sont des secteurs économiques dont l’activité consiste à déplacer des personnes, des biens ou des informations sur un réseau physique. L’élément central de ces activités est le réseau lui-même. Il peut s’agir d’un réseau de transport (routier ou de chemin de fer, etc.), d’un réseau d’informations (courrier, téléphone) ou d’un réseau d’utilité publique (eau, gaz, électricité). Ces industries sont également caractérisées par les liens avec les activités amont et aval :

- en amont, la fabrication des produits caractéristiques du secteur (véhicules, gaz, électricité…)

- en aval, la prestation de service à l’utilisateur final (la conduite des trains, la fourniture d’électricité…).

La littérature économique ou juridique sur la régulation des industries de réseaux est aujourd’hui abondante. Parmi les publications importantes, celles de Armstrong & al. (1994),

Bergman & al. (1998), Ilzkovitz & al. (1999), IDEI (1999), Newbery (1999) ou encore Laffont & Tirole (2000) font souvent offices de références.

Alors qu’il existe, dans de nombreux pays européens et en France notamment, une forte tradition d’interventionnisme de la puissance publique dans les industries de réseaux, la constitution d’un marché commun et la politique de la concurrence au sein de l’Union Européenne transforment profondément cette réalité (Stoffaës, 1995).

1.1.2) L’existence de monopole dans les industries de réseaux

La puissance publique, qu’il s’agisse d’Etats, de régions ou de communes, a en effet marqué un intérêt évident pour ces activités d’intérêt général en réseau. Directement ou indirectement publiques, ces entreprises en charge de services publics sont un moyen d’exécuter directement des volontés politiques et d’imposer un mode de gestion particulier au sein de secteurs clés pour la vie économique d’un territoire (Poupeau, 2004).

Historiquement, et notamment durant la période de l’après-guerre, dans plusieurs pays européens, de nombreuses activités essentielles au développement ont été nationalisées, intégrées et placées en situation de monopoles. En effet, les raisons ayant poussées les Etats à prendre le contrôle de certaines activités sont connues (intérêt économique et stratégique, monopole naturel, aménagement du territoire, lutte contre la précarité…). En Europe, la période de reconstruction après la seconde guerre mondiale, a effet demandé un effort de coordination et d’investissement particulièrement important. Ainsi dans l’énergie en France, les entreprises opérant dans le gaz et l’électricité ont été nationalisées et regroupées au sein d’Electricité de France et Gaz de France par la loi du 8 avril 1946. Par ailleurs, impactant l’aménagement du territoire et la cohésion sociale, l’intervention de l’Etat a été parfois nécessaire pour assurer la localisation d’activités ou d’infrastructures (voies ferrées, lignes à hautes tensions, barrages, centrales nucléaires…). De plus, la sensibilité de certaines ressources confirmait la nécessité d’un contrôle par la puissance publique, comme le programme nucléaire français pour assurer l’indépendance énergétique du pays.

1.1.3) Vers une réforme concurrentielle des industries de réseau

Privilégiant l’activité privée et la libre concurrence, le développement de la pensée libérale à la fin de années 1970 et durant les années 1980 (Politique de dérégulation de R. Reagan aux Etats-Unis, M. Thatcher au R-U), a bouleversé l’existence de monopoles publics (Newbery, 2001). Désignant le fait d’introduire la concurrence dans un secteur, la libéralisation s’oppose à une situation de monopole dans laquelle un seul opérateur contrôle un marché.

Considérant qu’une réglementation trop forte du domaine économique nuit à la production, la productivité et à l’innovation, la pensée néo-libérale a encouragé les processus de déréglementation. Ce phénomène consiste donc à supprimer des règlements, c'est-à-dire des textes de portée juridique (lois, décrets, arrêtés et autres actes administratifs) encadrant certaines activités et à laisser se développer la libre concurrence et les règles du marché. Les courants de pensée économique dit d’Harvard (structuraliste) ou de Chicago (comportementaliste) s’accordent aujourd’hui à reconnaître l’efficience de politiques concurrentielles : efficiences productive (optimisation des actifs et réduction des coûts), efficience dynamique ou d’innovation technologique, et efficience allocative (bien fait collectif quand les prix se rapprochent du coût marginal de production) (Brodley, 1987). La mise en place de la concurrence sur un marché peut produire en effet de fortes incitations à réduire les coûts et à améliorer la productivité (cf. Tableau 10). Dans un jeu concurrentiel, les structures à faibles coûts disposent d’un avantage concurrentiel important sur les structures ayant des coûts plus élevés. Celles-ci doivent alors engager une réduction de leurs charges ou bien se différencier pour continuer à exister. A défaut, elle risque de perdre progressivement leurs parts de marché et finalement fermer leur activité.

Ainsi l’idée privilégiée par les décideurs de la dérégulation est que les opérateurs choisiront d’innover et d’améliorer leurs performances et leurs pratiques commerciales. Les entreprises soucieuses de leur avenir doivent ainsi accorder davantage d’attention à leurs activités de commercialisation développant notamment de nouvelles offres et nouveaux services tout en cherchant à améliorer leur rentabilité. La contrainte concurrentielle oblige également les opérateurs à transformer l’ensemble de leurs activités tant dans la gestion des actifs de production et dans l’investissement que dans l’organisation interne et la gestion des ressources humaines. Au final cette dynamique concurrentielle doit être bénéfique pour les consommateurs qui bénéficient ainsi de meilleurs produits au meilleur prix.

Tableau 10 : Le « cercle vertueux » théorique de la dérégulation et de la concurrence. Déréglementation (arrêt du contrôle des offres, des prix, des investissements…)

et ouverture du marché à la concurrence 4/

Entrée de nouveaux concurrents = >

1/

- Recherche de réduction de coûts (gains de productivité) - Amélioration des services (attractivité & compétitivité) 3/

Le secteur se concentre mais devient aussi plus attractifs (rentabilité)

2/

Les acteurs les moins performants sont progressivement éliminés

Au-delà du développement de ces politiques d’abord aux Etats-Unis et en Angleterre notamment, cette philosophie s’est progressivement étendue à l’Union Européenne en particulier dans le cadre de la construction du Marché Unique, touchant notamment les « services publics ».

1.1.4) Du concept de « service public » à celui de services d’intérêt économique général

Les secteurs de l’électricité, du gaz, des postes, des télécoms, des transports (aérien, ferroviaire, urbains…), etc., (généralement qualifiés de services industriels et commerciaux dits « publics » parce qu’ils touchent à certains intérêts économiques, sociaux, culturels reconnus comme étant d’intérêt général et « de réseau » parce qu’ils reposent sur des infrastructures organisées en réseau à grande échelle) ont été au cœur d’intenses débats et négociations (Henry, 1997).

Le terme de « service public » est très particulier au droit français et utilisé globalement de manière très imprécise. Il est parfois confondu avec le « secteur public » qui englobe toutes les administrations publiques et les entreprises contrôlées par l’autorité publique. Le concept de « service public » peut ainsi renvoyer à des définitions très différentes. En économie, il peut concerner un bien collectif, lié à un monopole naturel avec des externalités ou plus classiquement en droit français, il est associé aux principes d’égalité, de continuité, et d’adaptabilité (mutabilité).

La Commission Européenne préfère qualifier les « services publics en réseaux » de « services d’intérêt économique général » (SIEG) car étant de nature économique ces services sont soumis à des obligations de service public en raison d’un critère d’intérêt général. (Commissariat Général du Plan, 2004a & 2004b).

L’expression « obligations de service public » désigne ainsi les obligations spécifiques imposées par les autorités publiques à un fournisseur de service afin de garantir la réalisation de certains objectifs d'intérêt public. Ces obligations visent notamment à assurer la cohésion et le service universel, une garantie de sécurité et de qualité, un service transparent et des droits aux consommateurs…

Ils sont à distinguer des « services d’intérêt général » (SIG) qui renvoient généralement aux fonctions régaliennes de l’Etat comme la justice ou la police. Cependant cette distinction ne concerne pas toutes les activités puisque certains biens et services (allant du logement social à la santé en passant par l’éducation) ne sont pour l’instant pas concernés par les règles communautaires en matière de limitation des aides des Etats ou de concurrence.