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Des activités agricoles et horticoles amérindiennes préhistoriques

CHAPITRE 4. Les sites : contextes, résultats et discussions

4.2 Le site des Jardins du Petit Séminaire de Saint-Sulpice

4.2.4 Discussion pour le site des Jardins du Petit Séminaire de Saint-Sulpice

4.2.4.2 Des activités agricoles et horticoles amérindiennes préhistoriques

Entre tous les cultigènes associés à la période préhistorique, le plus abondant est sans contredit le maïs. Il a été dit plus tôt que sa représentation pollinique était telle qu’elle indiquait la proximité d’un champ, à l’intérieur d’un rayon de 10 à 25 mètres tout au plus (Diot 1992). Toutefois, étant donné le mode de culture des Iroquoïens de l’époque (Sagard 1990 : 175, Trigger 1991 : 16-18), où la densité des plantations (en monticules) était nettement moindre que celle des plantations de type européen (en rangs), il est fort possible que le site d’échantillonnage se localise en fait au cœur même de notre champs de maïs préhistorique.

Dans la clairière préhistorique du profil 8F-A (ZAP 2a, échantillon 52, figure 4.17 et annexe VI-A), des grains de pollen de tournesol (Helianthus annuus) et de tabac (Nicotiana cf.

N. tabacum) ont été identifiés. Nous avons également trouvé du pollen de tournesol à la base

du labour de l’autre profil, cela appuie dans une certaine mesure l’âge ancien de la présence de cette plante sur le site et son association aux activités agraires préhistoriques. Pour le pollen de tabac qui a été classé tabacum, et qui devrait selon cette identification être associé à une production eurocanadienne, le problème est que ce qui distingue habituellement Nicotiana cf.

Puisque les écarts dimensionnels de ces deux types polliniques se chevauchent mutuellement sur quelques micromètres, il y a donc une certaine marge d’erreur dans l’attribution taxonomique. Dans le cas présent, étant donné la position stratigraphique de cette occurrence nous croyons plus plausible qu’elle soit le fait d’une production préhistorique amérindienne, et qu’il s’agisse en fait de Nicotiana cf. N. rustica (petit tabac).

Au total notre complexe de cultigènes anciens sur ce site compte les trois mêmes éléments de production que ceux qui ont été identifiés dans le dépotoir 6 du site Hector-Trudel, soient : le maïs, le tabac et le tournesol. Toutefois, les activités agricoles et horticoles préhistoriques du site ne semblent pas se limiter exclusivement à la production de plantes exotiques mais également à une certaine forme d’arboriculture ou de jardinage forestier. En effet, l’augmentation abrupte et très importante de la représentation pollinique de Carya ovata (caryer ovale) et de Tilia americana (tilleul d’Amérique) dès le début de l’éclaircie forestière semble indiquer une volonté de conservation d’individus matures et de vétérans de certaines essences-cibles.

Dans le cas du tilleul d’Amérique (Tilia americana), puisque nous sommes dans la région de Montréal, il est possible qu’il ait été en abondance dans la forêt, un peu plus que la normale compte tenu de la présence amérindienne (la présence d’érablière à tilleul dans le triangle montréalais serait indicatrice de perturbation anthropiques légère [O.I.F.Q. 1996 : 160]), et cela expliquerait dans son cas une partie de sa surreprésentation pollinique de départ. Mais par la suite, il demeure fortement représenté, malgré une légère baisse, même dans les niveaux où l’on atteint une concentration pollinique de 4000 gr/cm3 et plus. Nous n’avons pas vraiment d’explication pour cet apparent ciblage, mais peut-être une hypothèse de travail. Sur le plan ethnographique, les données indiquent l’usage de différentes parties de l’arbre dans la pharmacopée (cataplasme, infection et vers intestinaux [Arnason et al. 1981]), l’alimentation (breuvage, racines, pousses et cambium, [ibid]) ou la fabrication d’objets (cordage, panier, etc, [Densmore 1928 et Parker 1910]), mais rien qui justifie la nécessité de sa conservation lors de l’ouverture d’une clairière pour des fins agricoles. L’arbre a un intérêt mellifère (Marie-Victorin 1964) mais à notre connaissance le miel n’était pas un produit prisé ou recherché par les populations amérindiennes du Nord-Est américain. Par contre ses feuilles en

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décomposition sont riches en azote et en minéraux et améliorent le sol (Farrar 1997). Faut-il voir un lien entre l’abondance d’un arbre qui attire les abeilles (les bractées protègent les fleurs de la pluie, ce qui permet aux abeilles de continuer à butiner) et dont les feuilles enrichissent le sol, et le fait de cultiver à plus ou moins grande échelle une plante comme le maïs (Trigger 1991 : 16-18) particulièrement exigeante pour le sol, et des plantes comme le tabac et le tournesol (ainsi que la courge… !) qui requièrent la présence d’insectes pollinisateurs pour assurer un minimum de rendement ? Il y a peut-être ici un comportement, basé sur des observations empiriques, qui pourrait faire partie intégrante du lent processus d’adaptation et d’apprentissage dans l’adoption de cultigènes par les populations amérindiennes préhistoriques du Québec méridional.

Dans le cas du caryer ovale (Carya ovata), sa forte représentation pollinique peut facilement s’expliquer par les noix qu’il produit. Il est possible que son augmentation locale importante, durant la période de la clairière, soit due en partie au travail de certains rongeurs et animaux fouisseurs, mais sa représentation de départ nous apparaît davantage relever d’une action anthropique volontaire, étant donnée l’absence de représentation pollinique d’espèces colonisatrices habituelles des rebords de clairières et de champs abandonnés précédant cette forte représentation. D’ailleurs, sans que cela soit aussi évident que pour le caryer ovale (Carya ovata), il a été noté durant l’épisode de clairière une meilleure « visibilité » pollinique pour d’autres arbres à noix, tels Fagus grandifolia (hêtre à grandes feuilles), Quercus (chêne sp.) et Juglans cinerea (noyer cendré), alors que les essences qui n’en produisent pas étaient en diminution.

Dans son document de 1910, au sujet de la consommation des noix chez les Iroquois, Arthur C. Parker nous informe que :

Nuts form an important part of Iroquois diet. Great quantities were consumed during the nut season and quantities were stored for winter use. The nut season to the Iroquois was one of the happiest periods of the year (see Relation of 1670, ch. IX) especially for the young people to whom fell the work of gathering most of nuts. The women, however, often went in companies when serious business was meant, for with the failure of other crops, nuts formed an important food source…The favourite food nuts of Iroquois were hickory and chestnuts though other nuts were valued : A list of the principal nuts used by the Iroquois follows :

acorns (Quercus sp.), beechnuts (Fagus grandifolia), black walnuts (Juglans nigra), butternuts (Juglans cinerea), chestnuts (Castanea dentata), hickory bitter (Carya cordiformis) hickory (Carya ovata) and hazel (Corylus americana). (Parker 1910 : 99).