• Aucun résultat trouvé

La demande en indication des mesures conservatoires La CIJ reconnaît qu’il lui est possible d’indiquer des mesures

l’intervention de la Cours Internationale de Justice en faveur de la dignité humaine

Paragraphe 2 : La portée des considérations élémentaires d’humanité

B- La demande en indication des mesures conservatoires La CIJ reconnaît qu’il lui est possible d’indiquer des mesures

conservatoires ou provisoires. Toutefois, elle reste saisie et conti-nuera de suivre l’évolution de la situation et prendra de nouvelles mesures chaque fois que la nécessité s’en présentera153. Nonobs-tant cette réserve, la Cour, en 1973, se reconnut compétente prima facie pour indiquer des mesures conservatoires à la France dans les affaires l’opposant à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande en ce qui concerne les essais nucléaires menés en Polynésie française dans l’atmosphère. A la suite de cette décision, le gouvernement français exprima sa surprise et en conclut qu’était ainsi « anéantie la valeur des réserves les plus précises assortissant l’acceptation de la juridiction de la Cour de la part des Etats »154.

Plus récemment, la Cour a eu pour la seconde fois à interpréter la convention sur le génocide à l’occasion d’un recours dirigé par la Bosnie-Herzégovine contre la Yougoslavie. Saisie par le Gouvernement de Sarajevo de deux demandes en indication de mesures conservatoires, la Cour a indiqué de telles mesures par ordonnances des 8 avril et 13 septembre 1993155. Puis, par arrêt du 11 juillet 1996, elle s’est reconnue compétente pour statuer sur la requête de la Bosnie-Herzégovine. Ce faisant, elle a relevé que, lorsque la Convention sur le génocide est applicable, il n’y a pas lieu de rechercher si les actes reprochés ont été commis ou non au cours d’un conflit armé, interne ou international.

153 Ordonnance du 5 février 2003.

154 G. GUILLAUME, « La France et la Cour internationale de justice », in L’inter-nationalité dans les institutions et le droit : convergences et défis, Etudes offertes à Alain Plantey, Paris, Pédone, 1995, 371 pages, pp. 119-126, p. 123.

155 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de gé-nocide, mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, pp. 3 et 325.

Sur un autre plan, symptomatique paraît l’attitude de la CIJ dans l’affaire des activités armées sur le territoire du Congo156, le Congo avait introduit une instance contre le Rwanda au sujet d’un différend relatif en particulier à des violations massives, graves et flagrantes des droits de l’homme et du droit humanitaire. Il sollicitait l’indication de mesures provisoires. Le 10 juillet 2002, la CIJ, a rejeté par 14 voix contre 2 cette demande constatant « qu’elle ne dispose pas en l’espèce de la compétence prima facie nécessaire pour indiquer les mesures conservatoires demandées par le Congo ».

Elle ajoute toutefois que les conclusions auxquelles elle est parvenue au terme de la procédure sur la demande en indication de mesures conservatoires ne préjugent en rien la compétence de la Cour pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond de lui-même, et qu’elles laissent intact le droit du Gouvernement congolais et du Gouvernement rwandais de faire valoir leurs moyens en la matière. En l’absence d’incompétence manifeste, la Cour estime qu’elle ne saurait accéder à la demande du Rwanda tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle. La jurisprudence est classique : la compétence de la Cour repose sur le consentement des Etats.

Toutefois, et c’est l’élément remarquable, la Cour devrait rappeler que « les Etats, qu’ils acceptent ou non la juridiction de la Cour, demeurent en tout état de cause responsables des actes contraires au droit international qui leur seraient imputables »157.

Dans l’Affaire relative à des questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie158, la Cour Considère que la Libye et les Etats-Unis, en tant que Membres de l’Organisation des Nations

156 Affaire République Démocratique du Congo c. Rwanda, requête 2002.

157 G. COHEN-JONATHAN, « Rapport introductif général », in Droit international, droits de l’homme et juridictions internationales, Collection Droit et justice, Pierre LAMBERT (S/Dir.), Bruxelles, Bruylant, 2004, 153 pages, pp. 11-58, p. 45.

158 CIJ, Ordonnance du 14 avril 1992, Libye c. États-Unis d’Amérique.

Unies, sont dans l’obligation d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à l’article 25 de la Charte

; que la Cour, qui, à ce stade de la procédure, en est à l’examen d’une demande en indication de mesures conservatoires, estime que prima facie cette obligation s’étend à la décision contenue dans la résolution 748 (1992) ; et que, conformément à l’article 103 de la Charte, les obligations des parties à cet égard prévalent sur leurs obligations en vertu de tout autre accord international, y compris la Convention de Montréal ; la Cour conclut qu’elle n’a donc pas à se prononcer définitivement sur l’effet juridique de la résolution 748 (1992) du Conseil de sécurité, elle estime cependant que, quelle qu’ait été la situation avant l’adoption de cette résolution, les droits que la Libye dit tenir de la convention de Montréal ne peuvent à présent être considérés comme des droits qu’il conviendrait de protéger par l’indication des mesures conservatoires.

En dehors de l’action de la Cour internationale de justice, les mesures conservatoires proviennent d’une demande en indication de l’une des parties en litige. En effet, selon l’article 73 du Règlement de la Cour, cette demande peut être faite par une des parties à tout moment de la procédure, par écrit. Elle concerne l’affaire engagée devant la Cour. Elle doit indiquer « les motifs sur lesquels elles se fondent, les conséquences éventuelles de son rejet et les mesures sollicitées » (article 73 al. 2 Règlement). Cette demande est examinée avant toute autre affaire et peut nécessiter une procédure d’urgence pour statuer (article 86 Règlement).

C’est la Cour qui décide alors (article 41 Règlement). Dans le cas où la Cour ne siège pas, le Président peut prendre l’ordonnance nécessaire pour faire face à la situation. Quand la Cour estime que les circonstances l’exigent, elle a la faculté de son propre chef, d’indiquer des mesures conservatoires proprio motu ; même si la CPJI ni la CIJ n’ont usé de la disposition 41 du Statut de la Cour

qui n’oblige pas que celle-ci soit saisie de telles demandes. Dans la pratique de la Cour, la prescription des mesures conservatoires intervient généralement à la demande des parties159.

Ayant pour objet, notamment de prévenir l’extension ou l’aggravation du différend, les mesures conservatoires peuvent être différentes de celles qui sont sollicitées, ou même être imposées à la partie dont émane la demande. La Cour a un pouvoir discrétionnaire pour prescrire ou refuser les mesures conservatoires160. En l’occurrence, elle se fonde dans l’affaire des essais nucléaires français en 1974, sur le droit à ne pas être victime des conséquences de ces essais et à ne pas voir contaminé le milieu naturel, pour ordonner des mesures conservatoires161. Les mesures conservatoires indiquées par les ordonnances, évoquent leurs risques pour la santé. On pourrait tirer une conclusion similaire pour d’autres affaires qui ont fait, ou font toujours la une de l’actualité internationale, comme l’affaire de Lockerbie162 ou celle de la guerre en République démocratique du Congo163.

159 O. CORTEN et P. KLEIN, « L’efficacité de la justice internationale au regard des fonctions manifestes et latentes du recours à la Cour internationale de justice », Op., Cit., p. 43.

160 CIJ, Affaire relative à certaines procédures pénales engages en France (Républi-que du Congo contre France), demande en indication de mesures conservatoires, du 17 juin 2003, Rec., 2003. p. 10. Ici la Cour ne voit dans les circonstances de l’espèce, aucune nécessité d’indiquer des mesures conservatoires. Il en est de même de la question de la licéité de l’intervention militaire de dix Etats membres de l’OTAN au Kosovo, où la Cour a refusé d’indiquer des mesures conserva-toires. Voir les requêtes introductives d’instance enregistrées le 29 avril 1999, Affaire de la licéité de l’emploi de la force, Rôle général n°105.

161 CIJ, Arrêts du 20 décembre 1974, Affaire des essais nucléaires, pp.103 à 106 et pp. 138 à 141.

162 Requête du 20 mars 1993, Affaire de l’application de la Convention pour la pré-vention et la répression du crime de génocide, Rôle général n°93, et les ordon-nances du 16 avril et du 13 septembre 1993 indiquant des mesures conservatoires (CIJ, Recueil 1993).

163 Requête du 3 juin 1999, Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo.

C’est à partir de l’examen des circonstances portées à son attention que la Cour décide. Dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), la chambre ad hoc avait conclu non seulement à l’existence d’un pouvoir, mais également d’un « devoir de la chambre… d’indiquer des mesures conservatoires contribuant à assurer la bonne administration de la justice »164.

Paragraphe 2 : L’application des mesures conservatoires L’engouement des justiciables pour les mesures conserva-toires nourrit l’inquiétude que « la culture de l’urgence pourrait favoriser une justice expéditive et médiocredans un contexte mar-qué par la concurrence entre les instances de règlement des dif-férends »165. La multiplication des demandes de telles mesures n’est pas limitée à une juridiction déterminée, ni même à une catégorie de juridiction. Cette question fait peut-être le mieux apparaître la mise en œuvre des mesures conservatoires et leur portée.

Nous étudierons ici de la mise en œuvre des mesures conservatoires par la Cour internationale de justice (A), avant d’envisager leur portée (B).

164 CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), Ordonnance du 10 janvier 1986, Rec., 1986, p. 10.

165 P. WECKEL, « Les mesures conservatoires devant les juridictions internationales de caractère universel », G. COHEN-JONATHAN et J-F. FLAUSS (S/Dir.), Col-lection Droit et Justice n°36, P. LAMBERT (S/Dir.), Bruylant, Bruxelles, 2005, pp. 33-53, p. 33.