• Aucun résultat trouvé

c Le développement fondé sur la transformation et la création de ressources spécifiques

Le phénomène de nomadisme des firmes remet en cause le bien-fondé des dynamiques locales comme garantie d‟un ancrage pérenne. Si une infrastructure de transport s‟inscrit de façon pérenne dans l‟espace, il n‟en est pas de même pour les firmes : un investissement productif, une fois implanté sur un site, ne peut pas être considéré comme définitivement acquis. PECQUEUR (2002 : 62) fait remarquer que « on peut

trouver également des sites où le territoire reste latent car les ingrédients sont présents mais le processus de construction territoriale ne fonctionne pas ou très imparfaitement ». Comme le reformule REQUIER-DESJARDINS (2009 : 6) : « les agents économiques intègrent à leur stratégie la prise en compte de leur proximité aux ressources et aux autres acteurs, mais cela ne signifie pas pour autant que l‟on débouche sur la constitution d‟un territoire au sens d‟une dynamique productive territorialisée ».

Si la maîtrise des coûts de production intervient certainement dans les stratégies concurrentielles des firmes, PIORE et SABEL (1984) notamment ont montré que d‟autres stratégies intervenaient de manière tout aussi cruciale : la capacité à innover, à répondre rapidement aux variations de la demande tant quantitativement que

123 qualitativement, à diversifier les produits offerts en adéquation avec la diversité des attentes des consommateurs123.

Cela a conduit à une évolution méthodologique majeure pour sortir du postulat du local, du spatialement proche, qui s‟est traduite par une nouvelle hypothèse : la proximité physique est un choix, parmi d‟autres, qu‟opèrent les firmes dans le cadre de leurs stratégies productives. Cette nouvelle hypothèse implique de déceler à l‟intérieur de l‟ensemble des relations constitutives des organisations productives quelle place occupe le sous-ensemble des relations fondées sur la proximité spatiale. Certains économistes se sont éloigné du paradigme d‟allocation optimale de ressources exogènes au profit du paradigme dynamique de création de ressources spécifiques. Parmi eux,

COLLETIS et PECQUEUR

(1993 ; 2005) ont proposé un cadre théorique au processus de création des ressources. Ils distinguent pour cela différents types de facteurs de production : les ressources d‟une part et les actifs d‟autre part. « Par actif, on entendra des facteurs "en activité", alors que par

ressources il s‟agira de facteurs à exploiter, à organiser, ou encore à révéler »

(

COLLETIS, PECQUEUR,

2005). Ces facteurs peuvent en outre être de différentes types : génériques ou spécifiques. Les facteurs génériques sont substituables et détachés dela coordination productive ; tandis que les facteurs spécifiques sont intimement corrélés à leur usage.Ces facteurs évoluent à l‟occasion de leur

transformation par les acteurs productifs (

COLLETIS, PECQUEUR

, 2005 ;

PECQUEUR

, 2005). Le développement économique traduit alors la trajectoire d‟évolution de ces facteurs. Ces évolutions sont d‟une part l‟ « activation » c‟est à dire le passage de l‟état latent à celui d‟actif et, d‟autre part, la « spécification », à savoir le passage de l‟état générique à l‟état spécifique (voir Tableau 3).

À l‟aune de ce cadre théorique, on peut s‟interroger sur la nature d‟une infrastructure de transport, tel que le canal SNE, et sur sa capacité à induire un report modal. L‟infrastructure de transport, en tant qu‟actif pouvant intervenir dans un processus de production, entre dans la catégorie des « actifs » ; l‟infrastructure est en outre « générique » dans la mesure où elle est exploitée selon une stricte logique de choix

123 Les recherches menées sur les changements et les innovations technologiques sont à cet égard particulièrement

éclairants. Ils partent de la dualité fonctionnelle des firmes : « toute activité industrielle procède à la fois de l‟exercice

d‟une activité de production, dont l‟efficacité dépend des conditions d‟accès aux ressources (prix relatifs des facteurs et accessibilité) et aux marchés, et d‟une activité de création de ressources (gains de productivité, technologie,

innovation) qui vise à garantir la pérennité de la production, tout en modifiant les conditions de l‟efficacité de

l‟entreprise » (PERRAT, ZIMMERMANN, 2003). La stratégie des firmes ne se résume donc plus à exploiter des

ressources préexistantes exogènes (technologies, main d‟œuvre, infrastructures, etc.), mais également à créer des

124 par le prix. Elle serait en revanche « spécifique » si elle entrait dans le cadre d‟un usage particulier.

Tableau 3 : Les facteurs de concurrences spatiales et leurs caractéristiques principales (d’après COLLETIS, PECQUEUR, 2005)

Ressources

génériques Actifs génériques Actifs spécifiques

Ressources spécifiques

Etat et transférabilité Potentiel latent

En activité, totalement transférables En activité, coûts irrécouvrables de transfert Potentiel virtuel Nature de la "révélation" ou du changement d'état

Exploration Calcul de coûts

actif dédié, en gagé dans un contexte particulier (résolution de problème) Désactivation et redéployabilité Relation au marché et nature de la valeur Susceptibles d'être introduites sur le marché En marché, Valeur d'échange

Quasi marché Valeur d'usage

susceptibles d'être engagés dans la

résolution de problèmes non encore

identifiés Types illustratifs Matières premières, travailleurs au chômage non qualifiés, épargne thésaurisée Travailleurs non qualifiés en activité, épargne liquide Travailleurs en activité en situation d'acquisition de qualification, épargne investie travailleurs qualifiés ou connaissances spécifiques non engagées ou en inactivité

On retrouve, en quelque sorte, la dichotomie introduite par PLASSARD et al. (1985) dans son analyse structurelle de l‟usage du canal du Charolais. Le report modal vers la voie d‟eau s‟inscrit alors soit dans une logique marchande et dans ce cas il sera complètement réversible124 Ŕce qui est contraire au caractère « durable » qui lui est donné, soit il relève d‟une construction spécifique collective de systèmes productifs et dans ce cas il entrera dans les pratiques de manière plus structurante Ŕsans pour autant de garantie sur sa pérennité dans la mesure où la conception d‟une organisation logistique s‟appuyant sur une infrastructure donnée ne constitue qu‟une des stratégies d‟évolution des firmes.

Avec cette approche, l‟infrastructure n‟a plus d‟ « effets », mais entre - ou n‟entre pas, à l‟instar d‟autres ressources, dans les dynamiques productives et s‟inscrit - ou ne s‟inscrit pas - dans un processus de création d‟actifs spécifiques. Ce sont alors les modalités de coordinations entre acteurs productifs qui vont déterminer les chemins de la « métamorphose » des ressources et des actifs.

124Si tous les acteurs abandonnent la voie d‟eau, elle prendra alors un statut de ressource générique.

Spécification

Outline

Documents relatifs