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III Une lecture de la controverse par les sciences sociales Les sciences sociales apportent également une lecture critique des approches standards

des liens entre infrastructures de transport et économie. C‟est en particulier la causalité de ces liens qui est contestable et qui a ouvert aux concepts de « congruence » et de

« structure ».

III.1. La contestation de la causalité par les sciences sociales

Si le déterminisme a fédéré la pensée de quelques sociologues (dont DURKHEIM) intéressés par l‟influence des structures sociales sur les comportements des individus, il a été combattu par d‟autres (dont WEBER ou BOUDON). Le comportement de l‟individu ne serait pas uniquement déterminé par des structures sociales conscientes ou non; au contraire l‟individu garderait, de par son libre arbitre, une marge de manœuvre dans les décisions qu‟il prend. En conséquence, les changements sociaux trouveraient leur origine dans les individus et leurs interactions, y compris leurs rapports de force. Les changements sociaux sont donc toujours contingents et ne peuvent donc pas être prévus à l‟avance.

BOUDON et LAZARSFELD (1966)109 introduisent ainsi la nécessité de distinguer la concordance apparente de deux faits sociaux, parfois appréhendables par leur corrélation statistique, de tout lien de causalité pouvant les relier. L‟interprétation du lien entre faits sociaux, si lien il y a, relève d‟une construction de l‟observateur (qui suppose de choisir les bons indicateurs) et de son interprétation (qui suppose l‟existence d‟une théorie).

100 C‟est ce qui fait défaut dans les approches fondées sur les coûts ou les temps de transport ou les facilités de circulation. La causalité supposée des décisions publiques (d‟investissement en infrastructures ou de mesures d‟accompagnement) simplifie une réalité beaucoup plus complexe.

L‟approche en termes d‟effets traduit par ailleurs une attitude fréquemment dénoncée par les sciences sociales, à savoir la réification des objets, des décisions, du pouvoir, au détriment de leur caractéristique de construit social. BOURDIEU (1982 : 35) dénonce ainsi l‟encouragement social à traiter les réalités sociales comme des objets, encouragement qui transparaît au travers du langage, plus que dans les rapports écrits :

« dire par exemple de quelqu‟un qu‟il a du pouvoir ou se demander qui, aujourd‟hui, détient réellement le pouvoir comme une substance, une chose que certains détiennent, conservent, transmettent ; c‟est demander à la science de déterminer « qui gouverne » (selon un classique de la science politique) ou qui décide ». Il explique

cela par le fait qu‟il est plus facile de traiter les faits sociaux comme des choses ou comme des personnes que comme des relations. La rhétorique des effets des infrastructures de transports illustre bien cette tendance, comme l‟a rappelé OFFNER (1993 : 5) « La réification de l'objet technique (le TGV, le métro, l'autoroute...) oublie

que l'équipement considéré n'est pas une "chose", une réalité statique, mais un support d'actions ». Dans le même ordre d‟idée, PLASSARD (1977 : 324) conclut que « l‟autoroute n‟est pas un élément hétérogène, un corps étranger qui viendrait agir sur [les structures socioéconomiques]. L‟autoroute est déjà le produit des structures sociales existantes, avant d‟être un outil destiné à les modifier. En France, elle manifeste les tendances centralisatrices du pouvoir, les préférences pour les modes de transport individuels, l‟acceptation d‟une séparation de plus en plus grande entre zone d‟activités, zones de loisir ».

III.2. L’alte ative de la « congruence »

La notion de « congruence » introduite par OFFNER (1993) ouvre la voie à une approche interrelationnelle, systémique, du rôle des infrastructures, prenant en compte des facteurs temporels, spatiaux, et plus largement sociétaux. Elle traduit le fait qu‟il y a, entre l‟infrastructure et son environnement, « adaptation réciproque : le TGV ne

provoque pas la création des technopoles mais il est le mode de transport correspondant le mieux - à un moment donné - à l'apparition de nouvelles formes d'organisation spatiale des entreprises innovantes». Inspirée notamment de la pensée

de Max WEBER, la notion de congruence traduit le fait que « un phénomène est

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historiques, mais par la mise en évidence d'un parallélisme entre deux "structures"110 ».

Les transports ne sont qu'une composante d'un ensemble plus large d'éléments explicatifs du développement économique. Dans la ville par exemple, trois ensembles entreraient ainsi en interaction (BONNAFOUS et PUEL, 1983) : système urbain, relations sociales, et localisation des hommes et des entreprises. Cependant, cette voie d‟analyse, difficile à mettre en œuvre, a été peu explorée depuis (KLEIN, 1998 : 100).

III.3. L’alte ative des « structures » et son application à

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PLASSARD donne également une dimension sociale à l‟analyse des rapports en infrastructure de transport et économie en s‟appuyant sur la notion de structure. PLASSARD (1977) précise que « seule une approche en termes de structure semble

pertinente. La détection des conséquences de l‟infrastructure ne peut se faire à l‟aide de l‟observation des seules grandeurs économiques : c‟est le changement social dans sa totalité qu‟il faut tenter de percevoir. Il n‟est donc plus question de rechercher des effets découlant de façon plus ou moins nécessaire et toujours prévisible de l‟autoroute, mais de voir comment elle s‟insère dans les éléments qui sont à l‟origine des adaptations structurelles des individus et des groupes ».

Sur la base analytique des structures, PLASSARD (1985) a produit un travail particulièrement intéressant pour l‟étude des infrastructures fluviales. Il donne l‟illustration de la diversité des degrés d‟appropriation des infrastructures de transport par les firmes, et plus particulièrement en ce qui concerne le canal du Charolais, (ou canal du centre), sur la très longue période allant de 1780 à 1980 : « on peut regrouper

les comportements des industriels en deux grands types : ceux qui s‟adaptent aux conditions de transport offertes, et ceux qui les utilisent pour mettre en place une stratégie industrielle ou commerciale. […] Ces deux types de comportements, stratégie de transport ou motif de localisation, correspondent à deux visions différentes de l‟espace. Dans le premier l‟objectif est de contrôler l‟espace au moyen d‟une stratégie qui permette de valoriser les différences spatiales ; celles-ci ne sont pas un handicap mais des disparités à utiliser au mieux. En revanche, la maîtrise de l‟espace ne parait pas être une des préoccupations majeures lorsque les infrastructures sont considérées comme un motif de localisation : d‟une part les

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entreprises, souvent de grande taille, d‟ampleur nationale ou internationale, qui cherchent à assoir leur développement sur la maîtrise de l‟espace d‟autre part un tissu industriel plus lâche dont les activités sont attirées par l‟avantage momentané que procure une nouvelle infrastructure.

En termes de stabilité des activités, les conséquences sont très différentes. Dans le premier cas, les entreprises peuvent résister à des changements importants en adoptant une nouvelle stratégie, dans le second les changements se traduisent le plus souvent par une disparition pure et simple de l‟activité. La Région du canal du centre est riche en vestiges industriels qui sont peut-être une aubaine pour les archéologues modernes, mais qui sont sans aucun doute possible le signe de la disparation de ces activités de second rang » PLASSARD (1985 : 229).

Son attention s‟est également portée sur les acteurs du transport. Les travaux correspondant ont mis en évidence le rôle des opérateurs de transport dans le développement au transport fluvial. Il constate des évolutions des systèmes productifs concomitamment à des évolutions du système de transport comprenant non seulement les transports par voies navigables mais aussi par route ou voie ferré. Ce dernier mode de transport, qui a émergé dans le courant du XIXe Siècle, a d‟ailleurs fini par supplanter le transport fluvial, avant que le transport routier ne prenne le dessus à son tour. Le changement de mode de transport de la part des industriels apparait, dans cette approche empirique rétrospective, ainsi comme un processus bien plus complexe, que la seule relation de cause à effet supposer exister à la suite de la création d‟une infrastructure alternative.

PLASSARD (1985 : 230) tire, plus généralement, la conclusion que « les transports

n‟apparaissent donc pas, dans ces conditions, comme un élément suffisant pour générer des effets sur l‟activité économique. Il faut qu‟apparaisse un niveau intermédiaire indispensable, qui fasse du transport un élément dans une stratégie industrielle ; sinon les localisations qui pourront apparaitre ne seront que fragiles et donc provisoires. Même en l‟absence de bonnes infrastructures de transport, une activité industrielle peut continuer à se développer : les forges de Gueugnon en sont l‟illustration locale, puisqu‟elles ont bénéficié à leur ouverture en 1874 d‟une rigole navigable et d‟une voie ferrée, qui ont toutes deux été abandonnées depuis ne laissant que le camion comme moyen de transport possible. En revanche, ils peuvent jouer un rôle déterminant dans la disparition d‟activité, lorsqu‟il n‟y a plus correspondance entre les exigences de la production et les capacités du mode de transport disponible : la délocalisation ou la disparition devient inévitable dès que les outils de production deviennent technologiquement dépassés».

103 L‟analyse rétrospective des « effets » du canal du Charolais, invite donc à la plus grande prudence sur l‟approche en termes d‟effets pour le canal SNE, et à s‟interroger sur l‟adéquation du transport fluvial aux structures économiques actuelles et à leur stratégies de mutation. Elle invite aussi à questionner le rôle que peut avoir une politique publique dans le changement de ces structures.

IV Une lecture de la controverse par les sciences politiques

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