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Les neurones et les cellules gliales (astrocytes et olygodendrocytes) qui composent le système nerveux centralisé des bilatériens sont générés à partir de progéniteurs multipotents dans le tube nerveux et leur mise en place se fait d’une manière contrôlée dans le temps et dans l’espace. Elle repose sur l’activité de cascades de signalisation et de différentes classes de facteurs qui contrôlent la détermination du territoire nerveux ainsi que la différentiation des cellules progénitrices et la spécification de leur identité.

Deux exemples d’anatomie moléculaire comparée sont classiquement étudiés en ce qui concerne la mise en place du système nerveux chez les embryons de bilatériens.

D’une part, l’induction neurale controlée par la cascade de signalisation BMP (Bone Morphogenetic Proteins) résulte en une partition de l’ectoderme embryonnaire en un domaine neural et un domaine épidermique le long de l’axe dorso-ventral (Mieko Mizutani and Bier, 2008). D’autre part, les gènes d’identité neurale (dont le gène ParaHox Gsx fait partie) appartenant à la famille des gènes à homéoboîte définissent trois régions non-chevauchantes au sein du neuroectoderme qui se répartissent le long de l’axe dorso-ventral (Cornell and Ohlen, 2000). La cascade de signalisation BMP est également impliquée dans la sous-division du neuroectoderme

(Mizutani et al., 2006). Suite à la spécification des territoires, différentes classes de facteurs de transcription incluant les familles à homéodomaines et bHLH (protéines proneurales) agissent selon un code moléculaire pour diriger la différentiation et la spécification des cellules nerveuses (Guillemot, 2007).

I.3.2.1. L’induction neurale : la cascade de signalisation BMP La cascade de signalisation BMP

Les protéines BMP2 et 4 de vertébrés (DPP chez la drosophile) sont des ligands extracellulaires diffusibles sécrétés, appartenant à la famille des Transforming Growth Factors (TGF!). Sous forme d’homo- ou d’hétérodimères, ils se lient et activent des récepteurs tétramériques de type sérine-thréonine kinase, présents à la surface de la membrane cellulaire. Ensuite, des protéines de type SMAD chez les vertébrés (MAD chez la drosophile) subissent des phénomènes de phosphorylation leur permettant de se grouper en complexe pour entrer dans le noyau et altérer l’expression des gènes.

Pendant qu’un complexe dimérique active l’expression des gènes épidermiques, dans le même temps, un complexe trimérique réprime l’expression des gènes neuronaux. Cette voie de signalisation est modulée par des inhibitions intra- et extracellulaires (antagonistes des protéines BMPs).

Patron d’expression des BMP et de leurs antagonistes

Figure 20: Conservation du réseau de signalisation Chordin-BMP. Bien que les réseaux de signalisation Chordin-BMP soient conservés, il y a eu un phénomène d’inversion des axes dorso-ventral entre la drosophile et le xénope. A) Chez le xénope, Chordin est exprimé du côté dorsal et BMP4 à l’opposé coté ventral (image Hojoon X. Lee). B) Chez la drosophile, Dpp est exprimé dans la partie dorsale de l’embryon (bleu) et Sog est ventral (marron) dans l’ectoderme (image Ethan Bier. C) Réseau de protéines sécrétées et conservées à l’origine de la mise en place de l’axe dorso-ventral chez le xénope et la drosophile. Schéma tiré de (De Robertis, 2008).

BMP4 chez le xénope et Dpp, son orthologue chez la drosophile, définissent l’ectoderme épidermique et sont exprimés avec des patrons inversés dans l’embryon.

Il en est de même pour leur antagoniste Chordin (CHD) et Short gastrulation (Sog) dont l’expression est complémentaire à BMP et Dpp respectivement et qui sont à l’origine de la détermination du territoire nerveux (De Robertis and Sasai, 1996) (Figure 20). Ces données corroborent l’hypothèse d’une inversion des axes au cours de l’évolution.

Ectoderme versus neuroectoderme

L’expression exclusive des protéines BMPs dans l’ectoderme active l’expression des gènes ectodermaux et réprime l’expression des gènes neuronaux (De Robertis and Sasai, 1996). Dans le futur territoire neuronal, les antagonistes de la voie BMP (chordin-CHD chez les vertébrés et Short gastrulation-SOG chez la drosophile) se lient aux ligands en empêchant leur accès aux récepteurs. Ainsi, les cellules contenant les protéines antagonistes des BMPs (par expression ou par diffusion) voient les gènes neuronaux s’exprimer et adoptent un destin neuronal correspondant à un état par défaut (Figure 21).

Figure 21: L’induction neurale chez la mouche et les vertébrés. Dans l’épiderme embryonnaire, le signal Decapentaplegic (DPP) chez la mouche (bone morphogenetic protein 4 (BMP4) chez les vertebrés) active l’expression des gènes épidermiques et réprime l’expression des gènes neuraux. DPP (BMP4) peut diffuser ventralement dans le neuroectoderme, mais son autoactivation est empêchée par des antagonistes extracellulaires (Short gastrulation-SOG chez la mouche, chordin-CHD chez les vertébrés) ou par des répresseurs intracellulaires. Ainsi l’inactivité de DPP (BMP) dans ce domaine entraîne les cellules à se développer en un tissu neuroectodermique correspondant à leur état par défaut.

Schéma pris dans (Mieko Mizutani and Bier, 2008).

I.3.2.2. Les gènes d’identité neurale : vnd/Nkx2.2, ind/Gsh, msh/Msx1/2 Patron d’expression et fonction

La mise en place des cellules souches neuronales chez la drosophile, appelées neuroblastes, correspond à l’étape d’initiation du développment du système nerveux embryonnaire. Les différents types de neuroblastes se répartissent en trois colonnes distinctes le long de l’axe dorso-ventral du neuroectoderme. Elles sont définies par l’expression de trois facteurs de transcription différents codés par les gènes d’identité neurale. Ceux-ci, ventral nervous system defective (vnd)/NK2 transcription factor related (Nkx2.2), intermediate neuroblasts defective (ind)/ genomic screen homeobox (Gsh), and muscle segment homeobox (msh)/MSH homeobox (Msx), appartiennent à la famille des gènes à homéoboîte. Chez les bilatériens, leurs patrons d’expression sont conservés relativement les uns par rapport aux autres et permettent la subdivision du système nerveux en trois domaines le long de l’axe dorso-ventral. Ainsi, suivant l’induction neurale, le gène vnd/Nkx2.2 s’exprime ventralement dans les cellules adjacentes à la ligne médiane du système nerveux central, ind/Gsh s’exprime dans le domaine intermédiaire et le gène msh/Msx s’exprime dans le domaine dorsale (Figure 22) (Arendt and Nubler-Jung, 1999; Cornell and Ohlen, 2000). Chez la drosophile, ces gènes sont appelés gènes d’identité neurale car ils sont nécessaires à la détermination du destin neuronal des cellules (Isshiki et al., 1997; McDonald et al., 1998; Weiss et al., 1998). Ils donnent naissance à trois rangées primaires de neuroblastes qui se différencieront en autant de progéniteurs neuronaux (Mieko Mizutani and Bier, 2008).

Régulation par la cascade BMP

Mieko Mizutani et al. ont montré que chez la drosophile de faibles quantités de BMP diffusent vers le neuroectoderme et contribuent à partitionner ce territoire en trois domaines. Cette diffusion réprime les gènes neuronaux d’une manière dose-dépendante. Ainsi les gènes neuronaux les plus sensibles à la répression par la voie BMP s’expriment dans les régions les plus ventrales du neuroectoderme (vnd et ind), le plus loin de la source de BMP épidermique, tandis que les gènes qui y sont moins sensibles peuvent s’exprimer plus proche de la source dans des régions plus dorsales du neuroectoderme (msh). Ainsi un seuil de diffusion des protéines BMP vers le neuroectoderme contribue à l’organisation de l’axe nerveux chez la drosophile en réprimant les gènes d’identité neurale. Ce phénomène conduit à la mise en place du patron d’expression de ces gènes (Mizutani et al., 2006). Néanmoins, les quantités de

BMP qui diffusent dans cette région ne sont pas suffisantes à l’induction des gènes épidermiques (Biehs et al., 1996) (Figure 22).

Figure 22 : Position dorso-ventral des domaines d’expression des gènes d’identité neurale. A) Représentation schématique d’une section du tube nerveux de souris. C) Représentation schématique d’une section du neuroectoderme de drosophile. En bleu, les domaines d’expression de Nkx2.1 (souris) et vnd (drosophile), en vert les domaines d’expression de Gsh et Pax6 (souris) et ind (drosophile) en rouge les domaines d’expression de Msx (souris) et msh (drosophile). B) Seulement la moitié du corps est représentée pour les vertébrés et les arthropodes dans la section schématique dorso-ventral. Pour chacun des groupes animaux, le côté dorsal est situé vers le haut. Le produit de sécrétion Dpp/BMP4 forme un gradient dorso-ventral inversé chez les vertébrés par rapport à la drosophile. Ils sont antagonisés par Sog/Chordin dans la région de l’embryon qui adoptera un potentiel neurogénique. Cette région est par la suite divisée par une série de gènes à homéoboîte en trois domaines neurogéniques : médiant (vnd/Nkx2), intermédiaire (ind/Gsh) et latéral (msh/Msx). Schémas tirés de (Lichtneckert and Reichert, 2005; Mieko Mizutani and Bier, 2008).

Dominance ventrale

Des expériences de perte de fonction et de dérégulation d’expression chez la drosophile ont montré que ces gènes se régulent entre eux. Ainsi les gènes exprimés ventralement inhibent les gènes exprimés plus dorsalement (McDonald et al., 1998;

Weiss et al., 1998; Cowden and Levine, 2003) (Figure 23). Ces mécanismes de répression sembleraient conservés chez les vertébrés (McMahon, 2000; Muhr et al., 2001; Jacob and Briscoe, 2003).

Ainsi, le patron d’expression des gènes d’identité neuronale est soumis à une double régulation aboutissant à la mise en place de territoires cellulaires définis, adjacents

mais non-chevauchants : d’une part, l’activité inhibitrice de la cascade BMP qui est dose-dépendante, d’autre part, l’activité inhibitrice que les gènes d’identité neuronale exercent les uns sur les autres. Le même type d’activité organisatrice est rapporté dans la plaque neurale du poulet. Les cascades de signalisation BMP joueraient donc un rôle ancestral dans la mise en place du patron d’expression des gènes dans le neuroectoderme (Mizutani et al., 2006).

Figure 23 : A) Diagramme montrant l’expression de DPP dans l’ectoderme dorsal d’un embryon de mouche et l’expression des gènes d’identité neurale ventral nervous defective (vnd), intermediate neuroblasts defective (ind) et muscle segment homeobox (msh) dans le neuroectoderme.Il existe une cascade de régulation entre les gènes d’identité neurale ou vnd inhibe l’expression de ind et msh et ind inhibe l’expression de msh. B) Expression de Dpp (jaune), msh (rouge), ind (vert), et vnd (bleu) au stade blastoderme de l’embryon de mouche.

Schémas et photographies tirés de (Mieko Mizutani and Bier, 2008).

I.3.2.3. Spécification spatiale et temporelle du destin nerveux

Différentes classes de facteurs de transcription spécifie le destin neuronal des cellules :

Les protéines progénitrices agissent sur le destin des progéniteurs neuronaux en division. Elles incluent les facteurs à homéodomaine des familles Pax, Nkx, Irx ainsi que Olig2 de la famille des bHLH, également reponsables de la mise en place du patron dorso-ventral et antéro-postérieur, ainsi que d’autres facteurs comme les protéines à homéodomaine de la famille LIM. Après cette étape, les progéniteurs multipotents ne peuvent produire qu’un seul type neuronal primaire (neurones ou astrocytes ou oligodendrocytes). Les protéines proneurales de la famille des bHLH (comme Mash1 (Asl1), Neurogenin 1-3, Math1 (Atoh1)) initient le programme de neurogénèse. Leur expression entraîne la sortie du cycle cellulaire des progéniteurs et la différentiation neuronale. La casacade de signalisation Notch est alors activée dans les progéniteurs adjacents. La famille des bHLH participe également au programme de différentiation neuronal dans les cellules post-mitotiques et des facteurs de transcription comme NeuroM (Neurod4) et NeuroD /Neurod1) sont activés par les protéines proneurales. Les protéines à homéodomaines comme Hb9 (Mnx1),

Mbh1 (Barhl2), Brn3 (Pou4f1) sont exprimées dans les cellules neurales post-mitotiques et contribuent au programme de différentiation du sous-type neuronal.

Enfin des protéines inhibitrices des familles HLH (Id) et bHLH (Hes) ont des activités anti-neurogéniques et anti-oligodendrogéniques et inhibent les protéines proneurales et l’expression des gènes proneuraux. Au cours de leur différentiation les progéniteurs neuronaux migrent en dehors de la zone progénitrice vers des zones différenciées du tube neural où ils initient leur programme de différentiation final (Guillemot, 2007).