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Les orthologues des gènes de bilatériens impliqués dans la mise en place de l’axe dorso-ventral sont exprimés de manière assymétrique chez les cnidaires généralement regardés comme des organismes à symétrie radiaire (Hayward et al., 2002; Finnerty et al., 2004; Matus et al., 2006a; Matus et al., 2006b; Rentzsch et al., 2006; Ryan et al., 2007). L’orthologue du gène Dpp de la famille des TGF! s’exprime de manière asymétrique le long de l’axe secondaire des embryons de Nematostella et d’Acropora ; en marge du blastopore. Cette expression asymétrique se retrouve également dans la larve de Nematostella Dpp est localisé dans l’ectoderme longeant le pharynx (Hayward et al., 2002; Finnerty et al., 2004) (voir I.2.5.2. Figure 18). L’expression asymétrique commune au cours du développement de deux anthozoaires, comparable à celle observée chez les bilatériens, suggère donc un rôle ancestral de Dpp dans la formation des axes. Cependant chez Nematostella, l’orthologue de BMP/Dpp colocalise avec Chordin/Sog (Matus et al., 2006b), antagoniste de Dpp chez la drosophile.

Des orthologues de gènes d’identité neuronale ont également été caractérisés chez les cnidaires. Le gène Gsh/ind a pu être identifié dans trois classes de cnidaires (Schierwater et al., 2002; Ball et al., 2004; Chiori et al., 2009), Msx/msh a été cloné chez deux espèces d’hydre et Acropora (Schummer et al., 1992; Gauchat et al., 2000;

de Jong et al., 2006) et Nk2/vnd existe chez Nematostella et Acropora (de Jong et al., 2006). Le patron d’expression de ces trois gènes a été rapporté chez Acropora, ainsi que d’autres gènes impliqués dans la détermination des axes chez les bilatériens (Otx/otd, Emx/ems, Pax-3/7). Les gènes d’identité neuronales sont tous exprimés dans l’ectoderme dans des domaines restreints le long de l’axe oral-aboral, mais il est difficile de tirer des homologies entre les domaines d’expression de ces gènes chez les cnidaires et chez les bilatériens. Par ailleurs, la cascade d’inhibition agissant entre eux chez les bilatériens ne semble pas exister chez Acropora puisque que certains de ces gènes ont des domaines d’expression chevauchants. Il est donc difficile de mettre

en relation l’axe unique oral-aboral des cnidaires avec l’un de ceux existant chez les bilatériens (de Jong et al., 2006).

Si les axes de polarité des cnidaires ne sont pas homologues à ceux des bilatériens, alors l’étude des patrons d’expression des gènes fonctionnant lors de la mise en place du patron nerveux (Hox, BMP/DPP, gènes d’identité neurale) ne peuvent être révélateurs d’homologies. En revanche, le problème de l’origine commune du système nerveux chez les eumétazoaires peut être abordée différement à un niveau cellulaire.

Par exemple, l’analyse du patron d’expression des orthologues de Gsx chez différents cnidaires suggère qu’ils s’expriment dans des précurseurs neuronaux ou dans des cellules nerveuses différenciées au cours du développement embryonnaire ou chez l’animal adulte (Hayward et al., 2001; Finnerty et al., 2003; Miljkovic-Licina et al., 2007;

Ryan et al., 2007; Chiori et al., 2009). Une étude précise menée au niveau cellulaire dans notre laboratoire a montré que le gène Cnox2/Gsx s’exprime dans les précurseurs neuronaux ainsi que dans les nématoblastes et les neurones différenciés de l’hydre (Miljkovic-Licina et al., 2007). Par ailleurs Cnox2/Gsx parrait nécessaire au maintien du système nerveux apical et pourrait être un acteur précoce, nécessaire à sa restauration lors de la régénération (Miljkovic-Licina et al., 2007). Le gène Gsx semblerait donc avoir un rôle conservé des cnidaires aux bilatériens dans la détermination de la lignée neuronale. Nous avons voulu étudier sa fonction et sa régulation au cours du développement sexué chez les cnidaires (II.2. Chapitre 2). La seule autre étude fonctionnelle portant sur la mise en place des structures sensorielles chez Nematostella a montré que le gène FGF est nécessaire à la mise en place de l’organe sensoriel apicale de la larve (Rentzsch et al., 2008).

Considération évolutive

Les données rapportées illustrent la complexité du phylum des cnidaires. L’ancêtre commun aux cnidaires et aux bilatériens possédait probablement déjà tous les outils génétiques essentiels utilisés aujourd’hui aussi par les organismes complexes (Caroll et al., 2001). Après la divergence des cnidaires et des bilatériens, ces deux embranchements ont évolué indépendamment en utilisant un héritage génétique commun. La radiation des cnidaires a néanmoins été moins considérable que celle des bilatériens en terme de diversité et de variété morphologique du plan du corps (Darling et al., 2005). La grande variété de forme animale est attribuée à l’activité restreinte de différents gènes dans des goupes particuliers de cellules (Foronda et al., 2008).

L’étude des mécanismes contrôlant la mise en place du système nerveux dans différents phyla montre que des gènes orthologues s’expriment de manière similaire et ont des fonctions identiques chez des organismes éloignés phylogénétiquement. Des mécanismes génétiques conservés agissent dans la régionalisation du cerveau pendant son développement et suggèrent donc une origine monophylétique du cerveau chez les bilatériens (Lichtneckert and Reichert, 2005). L’ancêtre urbilateria utilisait déjà un système nerveux central complexe (Arendt and Nubler-Jung, 1996; De Robertis and Sasai, 1996; Hirth and Reichert, 1999). On retrouve par ailleurs certains de ces gènes chez les cnidaires où ils semblent également jouer un rôle dans la détermination de la lignée cellulaire neuronale comme le gène Gsx/cnox2 par exemple (Hayward et al., 2001; Miljkovic-Licina et al., 2007).

Objectifs du travail

Ce travail de doctorat s’inscrit dans une démarche de compréhension des processus évolutifs au travers de l’analyse des mécanismes développementaux. Nous avons cherché à mettre en évidence les gènes et les mécanismes acteurs de la neurogénèse, conservés au cours de l’évolution. Pour cela nous avons utilisé des espèces de cnidaires qui fournissent par leur position phylogénétique un modèle, qui en comparaison avec les bilatériens, permet d’inférer la condition ancestrale des eumétazoaires.

De nombreuses familles de gènes intervenant dans la mise en place du système nerveux chez les bilatériens sont en effet représentées chez les cnidaires. Les gènes Hox et ParaHox sont connus pour leurs rôles au cours du développement des bilatériens, en particulier dans la mise en place du système nerveux. Plus spécifiquement, le gène Gsx fonctionne dans la mise en place précoce des territoires neuronaux. Des analyses fonctionnelles et des patrons d’expression suggèrent l’implication de ce gène dans la lignée cellulaire neuronale chez les cnidaires également. Nous avons cherché à apporter une contribution, par le biais de trois approches différentes, pour répondre à trois questions essentielles (déjà exposées en introduction):

Quelle est l’histoire évolutive des gènes Hox et ParaHox ? (Résultats-Chapitre 1) (Quiquand et al., 2009).

La reconstruction de l’histoire évolutive des familles Hox et ParaHox a nécessité une approche phylogénétique mettant en confrontation des séquences provenant de nombreux phyla animaux. Nous avons mené cette étude alors que le génome de

Nematostella devenait accessible et que l’inventaire de ses séquences Hox/ParaHox donnait lieu à diverses publications (Chourrout et al., 2006; Ryan et al., 2006; Ryan et al., 2007). La totalité des séquences Hox/ParaHox de cnidaires disponibles à ce moment-là ont été intégrées dans notre analyse. Certaines séquences de cnidaires sont très dérivées, ce qui rend leur affiliation aux familles de bilatériens parfois difficile.

De plus, quand ces séquences dérivées sont intégrées au jeu de données, elles ont tendance à brouiller le message phylogénétique. Pour faire face à ce problème, nous avons mis au point une méthode permettant de tester la solidité des nœuds des familles de gènes. En faisant varier systématiquement les jeux de données, avec ou sans les séquences que nous avions caractérisées comme perturbatrices, nous avons pu tirer le message phylogénétique le plus soutenu. Par ailleurs, nous avons examiné les affiliations des familles de gènes entre elles dans le but de déterminer leur origine.

Puisque les supports à ces nœuds sont souvent bas, nous avons regardé les fréquences d’apparition des évènements d’affiliation des familles les unes par rapport aux autres. Cette analyse nous a permis de proposer un scénario relatif à l’histoire évolutive des complexes HOX et ParaHOX et d’inférer la composition ancestrale du complexe ProtoHOX chez l’ancêtre commun aux eumétazoaires. Notre hypothèse doit être confrontée avec celles faites par d’autres auteurs sur la composition de ce complexe ancestral (Chourrout et al., 2006; Ryan et al., 2007; Chiori et al., 2009).

La reconstitution du complexe ancestral ProtoHOX est un travail important permettant de répondre à différentes questions :

- Quels sont les gènes Hox et ParaHox qui sont ancestraux dans le règne animal et lesquels sont des innovations bilatériennes ?

- Comment se sont diversifiés les gènes Hox et ParaHox c’est-à-dire quelle est leur histoire évolutive?

- Quelle relation existe-t-il entre l’organisation des complexes HOX/ParaHOX et les différents plans d’organisation ?

Le gène ParaHox Anthox2/Gsx est-il un régulateur précoce de la neurogénèse lors du développement embryonnaire des cnidaires? (Résultats-Chapitre 2)

Chez les bilatériens, le gène Gsx (Gsh chez la souris, ind chez la drosophile) est impliqué dans la mise en place du patron dorso-ventral du système nerveux (Hsieh-Li et al., 1995; Szucsik et al., 1997; Weiss et al., 1998; Cornell and Ohlen, 2000;

Toresson and Campbell, 2001; De Robertis, 2008; Mieko Mizutani and Bier, 2008) et

définit l’identité neuronale des cellules nerveuses (McDonald et al., 1998; Weiss et al., 1998; Kriks et al., 2005; Mizuguchi et al., 2006). Les orthologues du gène Gsx sont très bien conservés au cours de l’évolution. De plus, les analyses du patron d’expression de ce gène (Hayward et al., 2001; Finnerty et al., 2003; Ryan et al., 2007; Chiori et al., 2009) ainsi qu’une étude fonctionnelle menée dans notre laboratoire (Miljkovic-Licina et al., 2007) montrent que chez les cnidaires également, l’orthologue de Gsx est exprimé dans la lignée cellulaire neuronale et est essentiel à la mise en place du réseau nerveux pendant la régénération de l’hydre ainsi qu’à son maintien dans les conditions homéostatiques. Nous avons tiré parti des nombreux avantages fournis par Nematostella, en particulier l’accessibilité à la reproduction sexuée, pour étudier la fonction du gène Anthox2/Gsx dans la mise en place de son système nerveux au cours du développement. Plusieurs outils génétiques, dont certains ont été mis au point par notre laboratoire pendant mon travail de doctorat, ont permis d’étudier la fonction et la régulation d’Anthox2/Gsx (injection de morpholinos et de gènes rapporteurs).

L’étude du gène Gsx dans un contexte évolutif permet d’aborder les questions suivantes :

- Quelle est sa fonction dans la mise en place du système nerveux pendant le développement embryonnaire des cnidaires ?

- Cette fonction est-elle conservée au cours de l’évolution ?

- Gsx représente-t-il un acteur précoce agissant sur la différenciation des précurseurs neuronaux et responsable de la destinée des cellules nerveuses ?

Quels sont les molécules signalisatrices et les facteurs de transcription jouants des rôles clés au cours du développement neuronal des bilatériens qui sont des candidats potentiels de la neurogénèse chez les cnidaires ? (Résultats-Chapitre 3) (Galliot et al., 2009).

Cette question plus globale a constitué un travail de synthèse des différentes données déjà publiées chez les cnidaires et a été mis en valeur dans une revue.

Le système nerveux des bilatériens se met en place par le biais de différentes cascades de signalisation et par l’activité de différentes familles de facteurs de transcription. Les cnidaires et les cténophores sont les premiers animaux du règne animal à présenter un système nerveux différencié. D’une manière étonnante, les

cnidaires présentent déjà dans leur génome, la plupart des acteurs intervenant dans la mise en place du système nerveux chez les bilatériens. La revue met en évidence les mécanismes cellulaires de la neurogénèse chez les cnidaires. Par ailleurs elle recence les gènes candidats responsable de la mise en place du système nerveux, leur patron d’expression et leur rôle potentiel dans ce phylum ancestral. Plusieurs questions sont sous-jacentes à ce travail :

- Quels sont les acteurs moléculaires fondamentaux à l’origine de la neurogénèse ?

- Ces acteurs et leurs fonctions sont-ils conservés au cours de l’évolution ? - L’apparition de la neurogénèse dans le monde animal est-elle un événement

unique ou de convergence ?

RESULTATS