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Les dépenses militaires sous le contrôle de la Commission du budget

III. ALLEMAGNE : LE BUNDESTAG AU CŒUR DES POLITIQUES DE DÉFENSE

8. Les dépenses militaires sous le contrôle de la Commission du budget

Pouvoir budgétaire et rôle prépondérant de la commission du budget

Le Parlement joue un rôle tout particulier concernant l’organisation et l’équipement de la Bundeswehr.

Le budget du gouvernement fédéral est voté une fois par an par une loi de finances. On y trouve un chapitre portant sur les politiques de défense, appelé „Einzelplan 14“. Les projets de budgets préparés par le gouvernement sont présentés au sein de la commission du budget. Cette dernière est la commission menante dans toutes les décisions portant sur les aspects budgétaires, et de là, sur toutes les questions d’acquisitions militaires. La commission de la défense et celle des affaires étrangères n’ont alors qu’un statut de conseillères : elles rendent leur avis à la commission du budget, qui elle seule, rendra son avis en séance plénière.

L’influence du Parlement sur les questions budgétaires de défense ne se restreint pas à la validation de la loi de finances annuelles. En effet, le ministère est tenu de faire approuver par le Parlement tout projet d’acquisition d’armement supérieur à 25 millions d’euros. Là encore, la commission du budget est responsable de l’évaluation des politiques gouvernementales, et est conseillée par la commission défense.

Un pouvoir façonné par la commission du budget

Dans la pratique parlementaire, la question des relations entre commissions et de leurs influences respectives sur les politiques d’acquisitions militaires n’est pas évidente à appréhender empiriquement.

Dans les discours de certains membres de la commission défense427, ainsi que dans la documentation parlementaire,

l’accord de la commission de la défense est un préalable informel à la ratification d’une décision par la commission du budget. Cette nécessité de consensus serait justifiée par le fait que les expertises sont complémentaires. Pourtant, d’autres députés ont pu émettre des points de vue bien plus critiques à l’égard de la potentielle influence de la commission défense sur les questions budgétaires428. Ainsi, les députés de la commission de la défense seraient

structurellement enclins à soutenir les projets d’acquisition militaires, compte tenu de leur posture de soutien à l’armée. En ce sens, les recommandations de cette commission seraient beaucoup moins critiques que celles de la commission du budget.

425 Zentralen Dienstvorschrift 10/1 – Innere Führung.

426 Loi sur le statut des soldats, Soldatengesetz : http://bundesrecht.juris.de/sg/index.html. 427 Entretien, membre de la commission de la défense, Berlin, 12 février 2009.

428

Entretien, conseiller défense d’un membre de la commission budget et de la commission défense, Berlin, 1er juillet 2009 ; Entretien, membre de la commission budget et suppléant à la commission défense, Berlin, 30 juin 2009; Entretien, membre de la commission défense, Berlin, 26 janvier 2009.

Les analyses des deux commissions ont mis à jour une opposition parfois importante entre acteurs „budgétaires“ et acteurs „sectoriels“ des politiques publiques. Cette opposition se retrouve à deux niveaux : entre les commissions de la défense et du budget, mais aussi au sein des partis entre députés. En effet, les acteurs critiques de l’influence de la commission de la défense insistent sur ce clivage sociologique entre les deux commissions. Tandis que les membres de la commission de la défense se définissent et agissent comme des acteurs en charge de la défense de l’armée, ceux de la commission du budget s’affirment plus volontiers comme les gardiens du budget devant les intérêts sectoriels. Cette dernière posture est d’ailleurs vérifiée par une caractérisation très fermée de la commission du budget, considérée par certains comme un „club“429 dont les membres partageraient plus de fortes convictions communes sur ce point. En cela, les conflits entourant les projets d’acquisitions militaires apparaissent davantage au sein des partis en amont du processus décisionnel qu’au moment de leur examen dans l’arène parlementaire.

Le contrôle budgétaire et ses limites

Les membres de la commission du budget disposent de ressources institutionnelles très importantes leur permettant d’assurer un travail important de contrôle. Tout d’abord, ils ont, comme toute autre commission, les mêmes prérogatives en matière d’auditions et de suivi des politiques gouvernementales. Cependant, de nombreux interlocuteurs ont pu souligner le statut particulier de cette commission et les privilèges qui étaient donnés par voie de conséquence à ses membres en termes d’accès à l’information430. Ils jouissent d’un accès très proche au ministre

et à ses représentants, et entretiennent avec ces derniers des relations formelles et informelles. Leurs requêtes sont traitées par les différents ministères beaucoup plus rapidement que celles des membres d’autres commissions. De plus, la nature même de leur tâche leur donne un accès à toutes les informations : compte tenu de la nature transversale des questions budgétaires, ils peuvent se diriger vers les services budgétaires de n’importe quel ministère. Concernant la défense, cette idée de transversalité s’incarne dans une vision budgétaire des programmes d’armement : les projets d’acquisition traités par la commission du budget émanent du ministère des finances, interlocuteur privilégié de la commission. Ainsi, les membres semblent satisfaits des informations mises à leur disposition pour exercer leur contrôle. Par exemple, la préparation du budget est l’occasion d’une réunion de travail intensive de deux jours au sein du ministère des finances entre représentants ministériels et membres de la commission. Par ailleurs, le ministère des finances publie tous les six mois un rapport faisant le point sur le suivi des recommandations de la commission du budget.

Une autre caractéristique du contrôle des programmes d’armement réside dans les stratégies d’usages des médias pour dissuader en amont le gouvernement. Ce canal d’influence indirect s’avère effectif, compte tenu de l’attention des médias sur ces questions. La publication d’un article, la tenue d’une conférence de presse ou encore la mise à disposition d’informations à certains journalistes spécialisés et critiques permettent alors de visibiliser l’action gouvernementale, mais aussi l’activisme du parti d’opposition. Cette voie est notamment utilisée lorsque le gouvernement tente de faire passer une décision d’acquisition „entre spécialistes“, sans en informer l’opinion publique, comme ce fut le cas à la fin de mai 2009 pour l’acquisition de la troisième tranche d’avions Eurofighter431.

Un autre levier d’influence extérieur réside dans la Cour fédérale des comptes (Bundesrechnungshof). Cet organe peut être saisi ou se saisir lui-même de certains dossiers. Sur le cas des avions de transports A400M, la fraction FDP, opposée à l’acquisition de 60 avions, a trouvé dans cette institution un allié : il s’est exprimé sur la non-opportunité d’une telle acquisition et a proposé un chiffre de 40 avions432.

Le contrôle budgétaire connaît cependant des limites, très similaires à celles rencontrées par la commission de la défense. En effet, les parlementaires manquent de temps pour effectuer leur tâche de contrôle. Ceci est d’autant plus

429 Entretien, conseiller défense d’un membre de la commission budget et de la commission défense, Berlin, 1er juillet 2009.

430 Entretien, conseiller défense d’un membre de la commission budget et de la commission défense, Berlin, 1er juillet 2009 ; Entretien, membre de la commission budget et suppléant à la commission défense, Berlin, 30 juin 2009; Entretien, membre de la commission défense, Berlin, 26 janvier 2009. 431

Entretien, conseiller défense d’un membre de la commission budget et de la commission défense, Berlin, 1er juillet 2009. 432 Entretien, membre de la commission budget et suppléant à la commission défense, Berlin, 30 juin 2009.

vrai pour la commission du budget qui est considérée comme la commission la plus chronophage433. Une autre limite

est plus spécifique : les députés ont rarement la capacité d’entretenir l’expertise technique et industrielle nécessaire à la compréhension de tous les enjeux sous-jacents dans les programmes d’armement434.

Défense et lobbying

Les députés en charge des questions de défense affirment tous être régulièrement contactés par des groupes et entreprises de défense. Sans avoir pu recueillir de chiffres précis quant à la fréquence de telles rencontres, nous pouvons toutefois déduire qu’elles peuvent aller jusqu’à plusieurs rendez-vous par semaine435.

Les membres ciblés sont les membres de la commission de la défense, mais surtout ceux de la commission du budget, compte tenu de leur influence sur les programmes d’acquisition.

Si les pratiques de lobbying servent des intérêts privés, elles sont également considérées par certains parlementaires – même critiques à leur égard – comme des sources alternatives d’information très utiles à la disposition des parlementaires. En effet, le contrôle effectif des programmes d’armement suppose une expertise sur des questions militaires, mais également techniques, et qui plus est une expertise constamment tenue à jour436.

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