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Chapitre 7 : Présentation de la recherche

7.5 Démarches d’analyse

Mes données ont été analysées selon trois perspectives que je détaillerai : analyse des processus psychosociaux culturels, analyse à l’aide du modèle de la discussion critique de van Eemeren et Grootendorst et analyse d’un cas.

7.5.1 Analyses des processus psychosocio-culturels

Dans le chapitre 4, j’ai présenté les dynamiques sociales, cognitives, affectives en jeu dans une interaction sociale. A ces dynamiques, il est possible d’ajouter une perspective argumentative, étant donné que mon intérêt porte sur interactions argumentatives entre adulte et enfants. J’ai en effet montré (chapitre 6) que l’étude de l’argumentation se prête bien à un regard psychosocial et socioculturel. Afin de rendre compte de ces dynamiques, je propose d’analyser les deux situations de mon corpus à la lumière du prisme (l’enfant, l’adulte, l’objet de discussion et les médiations matérielles et sémiotiques).

Les études ont montré que les pôles de ce prisme sont à considérer de manière interdépendante. Bien que la présente recherche tente de conserver cette vision holistique de l’interaction, la démarche analytique oblige à prendre un ou deux aspects à la fois, en se centrant tantôt sur l’adulte, tantôt sur les enfants, tantôt sur l’adulte et les enfants, tantôt sur l’objet de discours. Je tenterai ainsi de montrer comment l’adulte et les enfants se positionnent dans une interaction dans laquelle différents types de médiations sont partie intégrante de la situation, et discutent d’un objet de discours.

Cette analyse des processus psychosociaux a été réalisée selon une démarche de recherche compréhensive (Charmillot & Dayer, 2007; Charmillot & Seferdjeli, 2002; Dayer & Charmillot, 2012; Schurmans, 2006, 2009). Ces chercheurs mettent en évidence que dans une démarche compréhensive, l’investigation théorique n’est pas définie en amont d’une recherche, mais se précise progressivement en relation avec l’investigation faite sur le terrain. Le lien entre le terrain et la théorie implique, pour le chercheur, de procéder à une analyse constante entre les deux : ce va-et-vient entre le terrain et la théorie va ainsi se nourrir et se construire mutuellement. Lors de ce va-et-vient, le chercheur formule des hypothèses qu’il va vérifier dans les données (ou la théorie, ou vice versa), et les réponses apportées à ces hypothèses se développent petit à petit entre ces allers et retours théorie-terrain.

La démarche compréhensive de cette recherche s’est faite de la manière suivante : je suis partie de plusieurs champs théoriques (ceux que j’ai présentés dans les chapitres 2 à 6) pour ensuite procéder à des va-et-vient entre des observations de mon corpus et ces champs théoriques. Ainsi, lorsque j’ai commencé à analyser mon corpus, je l’ai regardé avec des lunettes piagétiennes, psychosociales, argumentatives, etc., ce qui m’a, dès le départ, offert un certain regard critique des données. De plus, j’ai procédé à une observation répétée et approfondie des données vidéo et des transcriptions de l’ensemble du corpus, ce qui m’a permis de dégager certains processus en jeu dans les interactions adulte-enfants et d’émettre des hypothèses de travail quant à ceux-ci. Ces hypothèses, qui ont par la suite été mises en lien avec la théorie, ont révélé des processus, que j’ai analysés de manière détaillée.

Cette démarche implique ainsi un va-et-vient entre les champs théoriques et les données, mais aussi entre la description et la compréhension de mes données. Ces

plus en plus détaillées de mes deux situations. En effet, plus je comprenais une interaction, plus je ressentais le besoin de vérifier à nouveau cette compréhension en me penchant sur les transcriptions et les vidéos. J’ai veillé cependant à ne pas dénaturer la réalité en m’interrogeant chaque fois sur ce qui, dans la réalité, en l’occurrence dans les transcriptions des interactions de mon corpus, m’avait amenée à avoir reconstruit telle situation de telle manière.

7.5.2 Analyses à l’aide du modèle de la discussion critique de van Eemeren et Grootendorst

L’analyse argumentative a été faite selon le modèle pragma-dialectique de la discussion

critique et plus précisément selon le modèle de la discussion critique (van Eemeren &

Grootendorst, 1984, 2004; van Eemeren et al., 1996). Des études (Greco Morasso, 2011; Ihnen Jory, 2012; Palmieri, 2012) montrent en effet que se baser sur ce modèle peut aider à comprendre des données complexes, car il permet à l’analyste de reconstruire ce qui est argumentatif au sein d’une interaction qui inclut également des segments non argumentatifs. Ainsi, en utilisant le modèle de la discussion critique, mon but est d’observer la manière dont celui-ci s’applique à mes données.

J’ai donc tenté d’identifier les quatre étapes du modèle de la discussion critique : l’étape de confrontation, l’étape d’ouverture, l’étape argumentative et l’étape de conclusion. À l’intérieur de chacune de ces étapes, j’ai procédé, à la manière de van Eemeren et Grootendorst, à l’élaboration d’un aperçu analytique (analytic overview) (van Eemeren et al., 2002) de l’argumentation, basé sur une reconstruction analytique. J’ai donc identifié l’issue, les standpoints sujets à controverse, les parties impliquées (en général un

protagoniste et un antagoniste) dans la divergence d’opinion, les arguments mentionnés

pour chacun des standpoints, la nature de la divergence d’opinion (mixed et non-mixed

disputes). J’ai également établi comment les discours des parties sont organisés et

comment chaque argument est lié avec chacun des standpoints (van Eemeren & Grootendorst, 2004). L’organisation des discours argumentatifs se fait en reconstruisant les argumentations selon les « argumentative schemes and structures » (van Eemeren et al., 2002; van Eemeren et al., 2007). Les schèmes argumentatifs indiquent de quelle manière les différents arguments sont connectés avec les standpoints (symptomatic

argumentation, argumentation based on a comparison, causal argumentation). Les

structures argumentatives indiquent de quelle manière les arguments sont structurés (single, multiple, subordinatively compound, coordinatively compound). En effet, selon la manière dont la personne défend son standpoint, l’argumentation se déploiera en différentes structures. Ces analyses en schèmes et structures décortiquent l’argumentation et offrent une meilleure compréhension de ce qui est explicite mais aussi implicite dans la discussion.

7.5.3 Analyse d’un cas

À l’issue de ces deux types d’analyse (analyse des processus psychosociaux culturels, chapitre 8 et analyse à l’aide du modèle de la discussion critique, chapitre 9), je propose une étude de cas.

Afin de comprendre les raisons qui m’ont amenée à présenter une étude de cas, il est nécessaire de se rappeler la problématique de ma recherche. J’ai montré que peu de recherches avaient étudié le développement de l’argumentation dans des interactions entre adulte et enfants autour d’activités cognitives (voir section 1.2). Dans le but de rendre compte au mieux de ce nouvel objet de recherche, j’ai choisi de présenter ses analyses selon une certaine chronologie. L’analyse des processus psychosociaux (chapitre 8) dans lesquels s’insèrent des participants dans une discussion argumentative me permet de présenter ce qui se joue dans ces interactions en gardant en tête chacun des pôles du prisme. Cette analyse offrira une vue générale de ma recherche selon une

les analyses argumentatives (chapitre 9) de mes données. À la suite de ces deux chapitres, certaines observations et réflexions émergeront. Je tenterai alors de prendre du recul, par rapport à ces deux analyses (chapitres 8 et 9), et présenterai une étude de cas qui offrira un regard nouveau sur mes données étant donné que je ne me centrerai plus sur des extraits d’interaction mais sur une transcription entière. Comme l’a montré Leplat (2002), une étude de cas se situe dans une temporalité. Or, en présentant des extraits des transcriptions (chapitre 8 et 9), il est difficile d’observer cette temporalité. Comme je l’ai montré (voir section 1.2), cette recherche fait référence à un activity type particulier, l’« argumentation à visée cognitive dans des interactions entre adulte et enfants », qui n’est peut-être pas facile à saisir si l’on ne dispose pas, ne serait-ce qu’une fois, d’une transcription entière, dans laquelle on présente une vue générale de l’interaction et des différents processus qui s’y déroulent. Ainsi, l’étude de cas que je présenterai dans le chapitre 10 permettra au lecteur, je l’espère, de mieux saisir la situation générale dans laquelle se trouve ma recherche. Ceci fait écho à la définition mentionnée par Hamel (1997, p. 10) et indiquant que l’étude de cas « consiste […] à rapporter un événement à son contexte et à le considérer sous cet aspect pour voir comment il s’y manifeste et s’y développe. En d’autres mots, il s’agit, par son moyen, de saisir comment un contexte donne acte à l’événement que l’on veut aborder ».

Ainsi, dans cette étude de cas, je propose de prendre du recul par rapport aux perspectives déjà abordées dans les analyses des chapitres 8 et 9 dans le but de présenter de nouvelles réflexions qui émergent de ces analyses. Elle offrira la possibilité de comprendre le déroulement de l’interaction dans le temps selon trois perspectives : a) j’utiliserai les outils développés dans le chapitre 8 (positions de l’adulte, de l’enfant et analyse de l’objet de discours) ; b) je montrerai la manière dont le modèle de la discussion critique se donne à voir dans cette transcription ; c) je propose également d’analyser certains aspects non verbaux de la communication. En effet, les recherches étudiant les gestes (par ex., Kendon, 1972, 1980, 2000; McNeill, 2000, 2002; Murillo & Belinchón, 2012; Rodríguez, 2009; Rodríguez, Noreno-Núñez, Basilio, & Sosa, 2015) soulignent l’importance de prendre en compte dans des situations d’interaction l’unité geste-langage. Dans les analyses des chapitres 8 et 9, les gestes sont mentionnés, mais ne sont pas analysés. Ainsi cette étude de cas offre un nouveau regard sur la manière dont se développe une interaction argumentative entre adulte et enfants, en considérant cette fois les gestes des enfants.