• Aucun résultat trouvé

Démarche et organisation de la thèse

1 - Une recherche de type « qualitative »…

Nous avons été amenés à réfléchir sur la posture épistémologique et méthodologique que nous devions adopter de façon à ce que le design de la recherche soit en cohérence avec l’objet de la recherche. Au travers de cette thèse, c’est finalement notre rapport au monde qui doit être clairement explicité. En effet, la transparence de la démarche est un des critères de qualité

d’une recherche (HUBERMAN et MILES 1991)14.

La méthode de l’étude de cas est le cadre méthodologique adéquat pour notre démarche. Il faut faire preuve de « savoir vivre dans l’incertitude » pour reprendre les termes de MORSE (1994). L’étude de cas permet de nombreux allers-retours entre théorie et monde empirique ; le schème doit donc être « malléable », un chemin tracé d’avance ne serait que pure illusion. La gestion de l’incertitude consiste à faire preuve « d’opportunisme méthodologique », à modifier le schème en fonction des données du terrain, etc. « Il s’agit finalement de trouver l’énoncé décrivant et expliquant le mieux et de manière simple et appropriée les données sur

le phénomène étudié » (MORSE, 1994). De même, pour STAKE (1998)15, « la méthode des

cas permet d’étudier des situations offrant de fortes potentialités d’apprentissage » .

Il convient de souligner de prime abord la difficulté de réalisation de l’objet de recherche, amenant le chercheur à réaliser un « bricolage » tout au long du cheminement de la recherche (EVRARD, PRAS et al. 1997). En effet, il s’agit d’une recherche qualitative ne permettant pas de suivre un planning étroit (GIORDANO, ALLARD-POESI et al. 2003).

Comme le souligne SILVERMAN (1993)16, les designs de recherche qualitative sont ouverts

et peu structurés. Ils permettent de s’intéresser à une réalité particulière où la contextualisation prend tout son sens. Cette méthode de recherche s’applique particulièrement à notre objet de recherche : il s’agit d’étudier un cas unique, avec une analyse en profondeur des processus, et un design de recherche « malléable » où des allers-retours itératifs entre terrain et théorie permettent de structurer l’architecture de la recherche.

14 Cité dans CHTIOUI (2007). 15

cité dans GIORDANO et al. (2003), P.50

2 - …Justifiant une recherche-intervention

D’emblée, le directeur général de la société nous a mis dans une position de « consultant », d’« ingénieur » au sein de son organisation. Ainsi, lors de la réunion de présentation de notre projet de recherche, l’une des conditions posée par le directeur général était que le chercheur ne doit pas éloigner l’entreprise vers des « aspects trop théoriques ».

En outre, une forme de « mise en concurrence » avec des praticiens reconnus, le cabinet KPMG, de la part de la direction générale, nous a naturellement conduit vers une forme de recherche appropriée à l’objet empirique : une méthode de recherche qui place d’emblée le chercheur dans une position d’acteur « en action » pour aider à résoudre les problèmes. Il s’agit donc d’une « recherche action » où le chercheur transforme la réalité sociale de

l’organisation (GIORDANO, ALLARD-POESI et al. 2003)17. En quelque sorte, cette

méthode de recherche s’est imposée d’elle-même (imposée par le terrain).

Nous nous plaçons dans la perspective d’une des branches de la recherche-action, dans la continuité de « l’action science »(GIROUX 2003) : la recherche-intervention ou recherche ingéniérique. La recherche vise ainsi à « la construction de connaissances qui soient utiles à l’action et qui améliorent l’efficacité de ce système. Cette visée amène ces approches à porter leur attention aux modèles et aux outils de gestion » (GIORDANO, ALLARD-POESI et al. 2003)18.

La recherche – action lewinienne (LEWIN 1946) est une méthode de recherche tournée vers l’action qui permet également de balayer les critiques concernant les méthodes descriptives où la description des phénomènes par le chercheur observateur peut être empreinte de « subjectivité » de la part du chercheur.

Avec la recherche-action, la production des « effets » permet de « rendre plus efficace la mise

en évidence de la réalité d’un phénomène » (ALLARD-POESI et PERRET 2003)19. « C’est

animé de ces mêmes soucis de rigueur scientifique et de complétude que Lewin sort du laboratoire pour mener ses expériences dans ‘ la vraie vie’ » (GIORDANO, ALLARD-POESI et al. 2003)20. 17 P.86-87 18 P.89 19 P.90 20 idem

Mais, la recherche-action au sens de LEWIN n’a pas la portée nécessaire pour notre type « d’intervention ». En effet, dans le cadre d’une recherche-action, le chercheur participe à la vie de l’entreprise, pense et agit avec les acteurs du terrain (LALLE 2004). Mais notre intervention va bien au-delà du cadre de ce type de recherche. CHANAL, LESCA et al.

(1997)21 proposent un concept de recherche ingéniérique basé sur un nouveau statut de

« chercheur-ingénieur qui conçoit l’outil support de sa recherche, le construit, et agit à la fois comme animateur et évaluateur de sa mise en œuvre dans les organisations, contribuant ce faisant à l’émergence de représentations et de connaissances scientifiques nouvelles ». Cette conception correspond à notre intention de recherche.

Nous nous inscrivons ainsi dans le cadre d’une recherche-intervention et à ce titre nous avons respecté les cinq principes méthodologiques assignés à cette démarche par HATCHUEL et MOISDON (HATCHUEL, DAVID et al. 2001) :

- le principe de rationalité accrue : le chercheur-intervenant doit « favoriser une

meilleure adéquation entre la connaissance des faits et les rapports qu’ils rendent possibles entre les hommes » (HATCHUEL, DAVID et al. 2001). Il n’est pas l’expert qui apporte son savoir-faire de l’extérieur, mais participe, avec les acteurs à la mise en œuvre de l’action collective. Nous avons intégré l’entreprise dans cet esprit, avec une approche collaborative de l’objet de recherche.

- le principe d’inachèvement : le chemin et les résultats de la recherche ne sont ni pré-

déterminés ni connus à l’avance. Il s’agit de conduire la recherche dans un processus itératif, sans connaître à l’avance l’aboutissement de notre projet. Les acteurs de l’entreprise NutriOuest et le chercheur se sont d’emblée inscrits dans cette logique.

- Le principe de scientificité : notre travail a fait l’objet d’une réflexion critique

systématique, et l’approche itérative mentionnée plus haut participe bien de cette logique qui vise à s’assurer de la scientificité du travail réalisé.

- Le principe d’isonomie : ce principe indique que tous les acteurs concernés doivent

s’impliquer pour appréhender le projet. Le travail de recherche-intervention effectué au sein de l’entreprise s’inscrit dans une démarche de projet d’entreprise où une attention particulière est portée à l’adhésion des acteurs et aux réponses à leurs questionnements, dans un souci de vérité. Nous reviendrons plus tard sur cette notion de projet d’entreprise.

- Le principe des deux niveaux d’interaction : ce principe indique que la recherche- intervention entraîne à la fois un processus d’intervention et de connaissance. Notre intervention a favorisé une confrontation des points de vue des acteurs de l’entreprise, de sorte que ceux-ci participent, avec le chercheur, à la construction des connaissances. Les différentes réunions d’étapes, entre autre, ont constitué un dispositif favorable à cet esprit.

3 - Des dispositifs méthodologiques pour assurer la solidité du projet

Dans le cadre d’une étude de cas qualitative, comme c’est le cas ici, le chercheur doit maîtriser quatre aptitudes fondamentales, que nous avons appliquées dans le cadre de cette recherche. Il doit tout d’abord être à l’écoute du terrain et faire preuve d’empathie. Il doit constamment questionner ce terrain et ne pas écarter les données qui lui paraissent contradictoires par rapport à ses a priori. Il doit en outre articuler avec rigueur les deux mondes qu’il côtoie : le « monde de l’action et le monde de la réflexion académique ». Enfin, il doit faire preuve d’une rigueur scientifique en montrant que les données collectées ont suivi un chemin qu’il a forgé avec une extrême rigueur (THIETART, ALLARD-POESI et al. 1999).

Nous avons pris connaissance des critiques formulées à l’égard de l’étude de cas, considérée comme une sorte de « monographie » dénué d’intérêt scientifique : mais nous considérons, à l’égard de GIROUX (2003), que cette méthode de recherche permet réellement de mettre en évidence des pistes de réflexions théoriques et d’appréhender toute la complexité des phénomènes étudiés.

Pour reprendre la citation de MINTZBERG, « quand on veut étudier les migrations des oiseaux, on peut les étudier à distance avec un radar ; quand on veut savoir comment ils

vivent, il faut aller en observer quelques-unes de près »22. Nous concevons ainsi la science

comme la production de connaissances, et pas uniquement comme des techniques. Il s’agit d’assurer un « déploiement des connaissances sur le monde en insistant sur les articulations

entre ses parties (causalité) » (GIROUX 1990)23.

22

Cité dans GIROUX (2003), p. 43.

Pour limiter les défauts de l’approche qualitative, LECOMPTE et GOETZ (1982)24 suggèrent au chercheur de s’assurer de la fidélité et de la validité du cas. En ce qui concerne la fidélité, il s’agit de s’assurer de la pérennité des résultats lors de la réalisation de la recherche par d’autres chercheurs. La démarche qualitative étant liée à l’observation du chercheur lui- même, il s’agit de savoir comment un autre individu peut avoir les mêmes conclusions sur le même objet étudié.

Comme le souligne GIROUX (1990), il faut, pour cela, préciser de manière explicite l’objet

observé ainsi que « le point d’observation »25. L’explicitation de notre démarche, guidant le

« voyageur » sur l’objet de la recherche, participe ainsi de cette exigence. Nous analysons ce point dans les parties suivantes.

Pour ce qui est de la validité, il nous semble nécessaire de dépasser le clivage classique dans la littérature sur la validité interne et externe. La démarche quantitative assurerait une validité externe indéniable, lui conférant un pouvoir de généralisation alors que l’approche qualitative, forte de sa validité interne – du fait de l’étude en profondeur des phénomènes, de la « grounded theory » (GLASER et STRAUSS 1967) – pâtit d’une faiblesse dans sa capacité à généraliser ses conclusions. Ces deux dimensions de la validité sont souvent étudiées de manière indépendante (AYERBE et MISSONIER 2006) alors qu’elles sont interreliées. Il nous semble que ces deux dimensions de la validité, loin de s’opposer, convergent (DAVID 2004; KOENIG 2005; AYERBE et MISSONIER 2006). Nous reviendrons ultérieurement sur les questions de généralisation des résultats issus de notre étude de cas.

24

Cité dans GIROUX (1990).