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1. PRINCIPES

805. Afin de définir le marché de produits ou de services, il convient de rechercher si les produits ou les services en cause sont considérés par les acheteurs « comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de leur usage » (à cet égard, voir par exemple Cass. com., 13 juillet 2010, Vedettes inter-îles vendéennes, n° 09-67439, p. 5).

806. Dans le même sens, la Commission européenne a rappelé, dans sa communication n° 97/C 372/03 du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause, que le marché de produits « comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés » (JOCE C 372 du 9 décembre 1997, p. 5, point 7).

807. Le marché géographique, quant à lui, comprend : « le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable » (communication de la Commission sur la définition du marché en cause précitée, point 8).

808. Il ressort de la jurisprudence que l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 101 du TFUE s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre les États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, William Prym/Commission, T-30/05, Rec. p. II-107, point 86, et la jurisprudence citée).

809. De même en droit interne, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes horizontales, comme c’est le cas en l’espèce, il n’est pas nécessaire de définir le marché avec précision dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (décision n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le

secteur du thon blanc, point 28 et décision n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques, point 575).

2. APPLICATION AU CAS DESPÈCE

810. Les pratiques relevées dans le cadre des constatations se sont déroulées sur le marché de l’approvisionnement des enseignes de la grande distribution en produits d’hygiène, d’une part, et sur celui de l’approvisionnement des enseignes de la grande distribution en produits d’entretien, d’autre part. Ces deux marchés mettent en présence, du côté de l’offre, les fournisseurs de produits d’hygiène et d’entretien et, du côté de la demande, les enseignes de la grande distribution.

811. En premier lieu, le déroulement des négociations entre fournisseurs et distributeurs traduit l’existence d’un marché de l’approvisionnement en produits d’hygiène, d’une part, et de l’approvisionnement en produits d’entretien d’autre part. En effet, comme il a été dit aux points 92 et 96, les personnes qui, au sein des enseignes, conduisent les négociations avec les fournisseurs, sont en charge de l’un ou l’autre des deux secteurs à titre exclusif.

812. En deuxième lieu, l’analyse de la substitution du côté de la demande et du côté de l’offre justifie la définition des marchés.

813. Du point de vue de la demande, des produits qui ne sont pas substituables du point de vue du consommateur le sont, à un degré plus ou moins fort du point de vue du distributeur. Comme il a été dit aux points 119 et suivants, la concurrence ne s’exerce pas uniquement, dans chacun des deux secteurs, entre les produits directement substituables du point de vue de consommateur, mais au sein de catégories de produits plus larges, dès lors que les distributeurs peuvent arbitrer entre plusieurs segments de produits distincts pour organiser leurs linéaires. Sous réserve de disposer d’un assortiment minimum de nature à satisfaire la demande des consommateurs en produits d’hygiène ou en produits d’entretien, une enseigne de la grande distribution peut décider de favoriser le produit qui génère le plus de marge.

814. De ce fait, les différents fournisseurs se trouvent en concurrence directe sur les marchés de l’approvisionnement en produits d’hygiène, d’une part, et en produits d’entretien, d’autre part.

Dans le cadre des négociations commerciales, les fournisseurs se font concurrence pour obtenir une meilleure exposition dans les linéaires, des achats plus importants ou encore une meilleure mise en avant de leurs produits.

815. Du point de vue de l’offre, chacun des deux secteurs est caractérisé par un certain nombre de barrières à l’entrée, identifiées respectivement aux points 105 et suivants et 114, qu’il s’agisse de contraintes réglementaires et technologiques, de la nécessité pour tout nouvel entrant de disposer de moyens importants en matière de recherche et de développement et de publicité et des difficultés liées à l’accès aux linéaires. Il existe donc une faible substituabilité de l’offre des produits des secteurs de l’hygiène et de l’entretien, tant entre eux que vis-à-vis des autres produits de grande consommation.

816. En troisième lieu, cette définition des marchés correspond au déroulement des pratiques considérées, dans le cadre desquelles les participants s’échangeaient, pour l’essentiel, des données relatives à leurs relations avec la grande distribution.

817. Les échanges ont été organisés dans le cadre de cercles spécialisés dans ces deux secteurs (le Cercle Team PCP et le Cercle Team HP), le Cercle des Amis s’étant scindé selon ces mêmes périmètres d’activité, à la fin de la pratique. Par ailleurs, les informations échangées ont visé, quasiment exclusivement, l’approvisionnement des enseignes dans ces deux catégories de

produits sur le territoire français (bien que certains échanges ponctuels ont concerné les contrats internationaux).

818. En quatrième et dernier lieu, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence, au niveau français et européen, confirme la pertinence de la distinction des marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante subdivisés par groupe de produits, ainsi que l’existence des segments spécifiques des produits d’hygiène et d’entretien.

819. La Commission européenne, dans le cadre de son activité de contrôle des concentrations, a précisé que la vente de biens de consommation courante par les producteurs à des clients tels que les grossistes, les détaillants ou d’autres entreprises (par exemple, les cafés/hôtels/restaurant) constituait un marché de l’approvisionnement en biens de consommation courante, segmenté en 23 groupes de produits, parmi lesquels figurent le segment spécifique des produits de parfumerie/hygiène et celui des produits de droguerie (entretien) (décision de la Commission européenne M. 2115 du 28 septembre 2000, Carrefour/GB, point 8).

820. Cette définition du marché de l’approvisionnement en biens de consommation courante par groupes de produits a été reprise par l’Autorité s’agissant du contrôle des opérations de concentration (décision n° 11-DCC-134 du 2 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif d'actifs du groupe Louis Delhaize par la société Groupe Bernard Hayot, point 18) et des pratiques anticoncurrentielles (décision n° 10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d’alimentation générale de proximité, point 148).

821. Il résulte enfin de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence, tant en matière de contrôle des concentrations (décision de la Commission européenne M. 2115 du 28 septembre 2000 précitée, point 12 ; décision n° 11-DCC-134 du 2 septembre 2011 précitée, point 19) que de pratiques anticoncurrentielles (décision n° 10-D-08 du 3 mars 2010 précitée, point 148), que le marché de l’approvisionnement en produits de consommation courante est de dimension nationale.

822. Conformément aux principes rappelés aux points 808 et 809, il n’est pas nécessaire de préciser plus avant la définition du marché en cause, le fait de retenir le marché de l’approvisionnement des enseignes de la grande distribution en produits d’hygiène, d’une part, et de l’approvisionnement des enseignes de la grande distribution en produits d’entretien, d’autre part, permettant d’identifier, de qualifier et d’imputer les pratiques constatées.

Sur les observations d’Hillshire

823. Hillshire soutient que la définition du marché est trop large compte tenu de l’absence de concurrence entre les participants aux pratiques. Elle fait valoir qu’il existe un marché distinct des services de coopération commerciale.

824. Toutefois, le marché retenu n’est pas le marché aval de la vente de produits aux consommateurs mais le marché amont de l’approvisionnement des enseignes en produits d’hygiène et en produits d’entretien. Or, comme il vient d’être expliqué, les entreprises mises en cause se trouvent en situation de concurrence sur les marchés de l’approvisionnement des enseignes.

825. Au surplus, la plupart des entreprises étaient également en concurrence avec tout ou partie des entreprises participant aux pratiques, sur le marché aval de la vente aux consommateurs.

826. Ainsi, en ce qui concerne Sara Lee Household and Bodycare France, filiale d’Hillshire ayant participé aux pratiques, tous ses concurrents sur les principales catégories de produits

mentionnées (désodorisants, produits toilette, insecticides, cirages) ont participé aux échanges dans le cadre du Cercle des Amis (cotes 31 153 et 31 154).

827. La seule déclaration citée par Hillshire pour établir l’absence de concurrence directe entre les participants aux réunions « Amis » est celle de M. Emmanuel 6... de Laboratoires Vendôme, qui a déclaré en 2006, en parlant des réunions « Amis » : « J’y allais de manière sereine car je n’avais pas de compétiteur direct mis à part un peu CP ». Or, cette déclaration est erronée : Laboratoires Vendôme était le « principal concurrent » de Sara Lee sur ses gammes de produits Sanex (déodorants) (cote 31 164) et Monsavon (savons solides ou liquides) (cote 31 175).

828. À titre d’exemple, s’agissant des insecticides, le principal concurrent de Sara Lee sur le marché aval, SC Johnson, était présent aux réunions. Sara Lee et son concurrent SC Johnson ont échangé des informations à de multiples reprises sur les insecticides :

- lors d’un contact entre le 2 et le 5 décembre 2004, Sara Lee et SC Johnson ont échangé sur des taux de coopération commerciale précis (enseigne par enseigne) (cotes 12464 et 23 297) et exacts, parfois au centième près (cote 8 491 (VC) / cote 47 111 (VNC)).

- lors de la réunion des « Amis » du 14 avril 2005, à laquelle Sara Lee a participé, SC Johnson a annoncé aux participants sa volonté de ne pas accorder de dérive de coopération commerciale sur les insecticides (cote 10 307).

- lors de la réunion des « Amis » du 27 octobre 2005, Sara Lee et SC Johnson, qui détenaient près de deux tiers du marché des insecticides, ont tenté d’aligner leur niveau de coopération commerciale en 2005 (cote 10 140).

829. Par conséquent, Hillshire n’est pas fondée à soutenir que les participants aux pratiques ne seraient pas en situation de concurrence sur les marchés pertinents de l’approvisionnement en produits d’hygiène, d’une part, et d’entretien, d’autre part, ni, au surplus, sur le marché aval de la vente aux consommateurs.

830. Enfin, sur la question d’un éventuel marché des services de coopération commerciale, il convient d’indiquer que la négociation de la marge arrière et de son évolution d’une année sur l’autre était devenue l’enjeu central des négociations entre fournisseurs et distributeurs, et le moyen principal de discrimination entre les différents clients des industriels. Les rémunérations versées aux distributeurs au titre de la coopération commerciale rentraient dans la définition du prix triple net, qui représentait la rémunération réelle du fournisseur.

831. Ainsi, à l’époque des pratiques, la négociation des niveaux de marge arrière, même si elle avait également pour contrepartie des services de coopération commerciale, représentait surtout un élément central de la négociation tarifaire entre distributeurs et fournisseurs et un déterminant important de la rémunération finale de ces distributeurs. Par conséquent, l’analyse des échanges sur la question de la dérive commerciale doit se faire également dans le cadre général des marchés d’approvisionnement tels que définis ci-dessus, sans qu’il soit nécessaire de définir un marché distinct des services de coopération commerciale.

832. En conclusion, les marchés pertinents pour les pratiques incriminées dans la présente décision sont les marchés français de l’approvisionnement en produits d’hygiène, d’une part, et en produits d’entretien, d’autre part. Ces marchés mettent face à face les fournisseurs et les acteurs de la grande distribution dans le cadre de négociations portant sur l’ensemble des produits de chacun des deux secteurs concernés.