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1. PRINCIPES

787. L’article 81 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE, prohibe les accords entre entreprises, les décisions d’associations d’entreprises et les pratiques concertées entre entreprises ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence et susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres.

788. Se fondant sur la jurisprudence constante de l’Union, et à la lumière de la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité [devenus les articles 101 et 102 du TFUE]

(JOUE C 101, du 27 avril 2004, p. 81), l’Autorité considère avec constance que trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres : l’existence d’échanges, à tout le moins potentiels, entre États membres portant sur les produits ou les services en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.

789. Concernant le premier élément, dans les cas d’entente s’étendant à l’intégralité ou à la vaste majorité du territoire d’un État membre, le Tribunal de l’Union européenne a jugé « qu’il existe, à tout le moins, une forte présomption qu’une pratique restrictive de la concurrence appliquée à l’ensemble du territoire d’un État membre soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et d’affecter les échanges intracommunautaires. Cette présomption ne peut être écartée que si l’analyse des caractéristiques de l’accord et du contexte économique dans lequel il s’insère démontre le contraire » (arrêt du 14 décembre 2006, Raiffesen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259/02 à T-264/02 et T-271/02, Rec. p. II-5169, point 181). Sur pourvoi, la Cour de justice a précisé à cet égard, dans un arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank/Commission, que « le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. En effet, une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité CE » (C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P, Rec. p. I-8681, point 38).

790. Concernant le deuxième élément, pour être susceptible d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique concertée « doivent sur la base d’un ensemble d’éléments de fait et de droit, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres » (arrêts de la Cour de justice du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215/96 P et C-216/96, Rec. p I-135, point 47, et du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475-99, Rec. 2001 p. I-8089, point 48). La Cour de cassation a également rappelé que les termes « susceptibles d’affecter » énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE « supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire » (arrêt du 31 janvier 2012, France Télécom, n° 10-25.772, 10-25.775 et 10-25.882, p. 6).

791. Enfin, concernant le troisième élément, la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt France Télécom précité que la démonstration du caractère sensible de cette possible affectation, dans les cas où les pratiques en cause sont commises sur une partie seulement d’un État membre,

« résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause » sont amenés à être prises en compte, « le volume de ventes global concerné par rapport au volume national n’étant qu’un élément parmi d’autres ».

792. Le paragraphe 52 des lignes directrices précitées se réfère à deux seuils cumulatifs en deçà desquels un accord est présumé, du point de vue de la Commission européenne, ne pas affecter sensiblement le commerce entre États membres :

- la part de marché totale des parties sur le marché communautaire affecté par l’accord n’excède pas 5 % ;

- et, dans le cas d’accords horizontaux, le chiffre d’affaires annuel moyen réalisé dans l’Union par les entreprises en cause avec les produits concernés par l’accord n’excède pas 40 millions d’euros.

2. APPLICATION AU CAS DESPÈCE

793. En l’espèce, plusieurs éléments permettent de considérer que les pratiques sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres.

794. En premier lieu, les négociations entre les acheteurs des enseignes de la grande distribution et les fournisseurs en cause ont lieu au niveau national et couvrent l’approvisionnement des enseignes pour tout le territoire français. Les nombreux contacts identifiés ont concerné tous les éléments constitutifs du prix triple net, ainsi que le déroulement de ces négociations entre les fournisseurs et l’ensemble des enseignes de la grande distribution. Par conséquent, les pratiques ont impacté, à tout le moins, l’intégralité du marché français.

795. Ces pratiques, qui visaient à distordre les négociations sur l’ensemble du territoire français, avaient donc, par leur nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national et d’entraver l’interpénétration économique voulue par le TFUE.

796. En deuxième lieu, la plupart des entreprises concernées appartiennent à des groupes de dimension internationale, actifs dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne, où ils exercent souvent des activités de production ou de commercialisation de leurs produits.

797. Les marchés de l’approvisionnement en produits d’hygiène et en produits d’entretien se caractérisent par l’existence de flux d’échanges transfrontaliers, à destination ou en provenance du territoire français, notamment avec le reste de l’Union européenne.

798. Dans le secteur des produits d’hygiène, les fabricants français commercialisent une partie importante de leur production en dehors du territoire français (environ 1,4 milliard d’euros en 2006), dont 70 % dans les pays d’Europe occidentale (Etude Xerfi – Produits d’hygiène et de toilette – Analyse du marché, Prévisions 2007, forces en présence – Janvier 2007, p. 23, cote 44 605). Quant aux flux commerciaux de produits d’hygiène à destination du territoire français, ils étaient estimés, à la même date, à 650 millions d’euros dont 90 % en provenance de l’Europe occidentale.

799. Dans le secteur des produits d’entretien, en 2005, les flux commerciaux à destination du territoire français s’élevaient à 1,5 milliard d’euros, dont 90,3 % provenant des pays d’Europe occidentale. Les flux sortant de produits d’entretien, depuis le territoire français, représentaient quant à eux, en valeur, 1,25 milliard d’euros, dont 78,5 % à destination de l’Europe occidentale (Etude Xerfi – Savons, détergents et produits d’entretien – Juin 2006, pp. 29 à 32, cotes 44 527 à 44 530).

800. Enfin, les pratiques examinées ont porté, à certaines occasions, sur les contrats internationaux, conclus avec des centrales d’achats internationales pour des ventes hors de France, affectant par là même les exportations dans d’autres Etats membres de l’Union9.

801. Dans ces conditions, les pratiques concernées étaient susceptibles d’affecter les flux de commerce qui existaient entre les Etats membres.

802. En troisième et dernier lieu, la présente décision concerne deux ententes horizontales entre les principaux fournisseurs, sur le marché français de produits d’hygiène, d’une part, et de produits d’entretien, d’autre part. Les opérateurs concernés, quasiment tous adossés à de

9 Voir par exemple, sur le secteur de l’entretien, les notes de réunion Team HP de M. Jean-François Q... datées du 15 novembre 2004 (cote 1181 du dossier 06/0018AC), sur le secteur de l’hygiène, les notes de réunion Team PCP datées du 4 mai 2004 et du 14 février 2005 (cotes 719 et 737 du dossier 06/0019AC) et sur les deux secteurs, les notes des réunions des Amis de Mme Nathalie Y... datées du 12 mai 2005 et du 14 janvier 2005 (cotes 1 165 et 1 144 du dossier 06/0018AC, 692 et 673 du dossier 06/0019AC).

grands groupes internationaux, représentent entre 65 % et 70 % de leurs secteurs respectifs en France et jouent, pour certains, un rôle de leader sur ces secteurs.

803. Ces pratiques ont impliqué des entreprises dont le chiffre d’affaires européen dans chacun des secteurs concernés dépassait largement 40 millions d’euros. Dès lors, la présomption négative de non affectation sensible du commerce intracommunautaire rappelée au point 792 ci-dessus n’est pas applicable. Au contraire, s’agissant de pratiques mises en œuvre sur l’intégralité du territoire français par des groupes de dimension internationale disposant de positions très importantes sur les marchés en cause, le caractère sensible de l’affectation du commerce entre Etats membres est établi.

804. Les pratiques en cause doivent donc être examinées au regard non seulement des dispositions du droit national, notamment de l’article L. 420-1 du code de commerce, mais aussi au regard du droit de l’Union, et notamment de l’article 81 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE.