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D. L’évolution du cadre juridique

1. Le cadre juridique prévalant jusqu’au début de l’année 2003

181. Les pratiques concernées par la présente procédure se sont formalisées, au plus tard, au moment des premières réformes à la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 dite « loi Galland ».

Après avoir rappelé le cadre juridique établi par cette loi (a.), seront analysés les effets de cette réglementation (b.).

a) Le cadre juridique instauré par la loi Galland

182. À partir de 1996 et jusqu’au début de l’année 2003, les relations commerciales entre les fabricants et les distributeurs étaient organisées par la loi Galland qui a redéfini le seuil de revente à perte.

183. La loi de finances rectificative n° 63-628 du 2 juillet 1963 interdisait la revente à perte en disposant qu'« est interdite la revente de tout produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif ».

184. L'ordonnance du 1er décembre 1986 a précisé que le prix d'achat effectif du distributeur à son fournisseur était « présumé être le prix porté sur la facture d'achat ». Il s'agissait d'une présomption simple que le distributeur pouvait renverser en apportant la preuve que le prix d'achat effectif était différent du prix mentionné sur la facture. Cette possibilité de remettre en cause le prix porté sur la facture a conduit à certaines dérives en matière de facturation.

185. Pour mettre un terme à ces pratiques, la loi Galland est revenue à une définition stricte du prix d'achat effectif, en disposant que « le prix d'achat effectif est le prix unitaire figurant sur la facture ». Dès lors, le prix net facturé par le fournisseur devenait sans détour possible le prix minimal auquel le distributeur pouvait revendre ses produits au consommateur.

186. En outre, la loi Galland a établi de nouvelles règles en matière de facturation. Les fournisseurs établissaient chaque année un tarif qui s’appliquait uniformément à tous les distributeurs, la discrimination tarifaire étant interdite.

b) Les effets de la loi Galland

187. La loi Galland a conduit à une très grande transparence tarifaire et a neutralisé la concurrence entre les enseignes au niveau du tarif. L’enjeu de la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs portait désormais sur la marge arrière, constituée notamment par la rémunération des services de coopération commerciale fournis par le distributeur pour le compte du fournisseur. Cette situation a conduit à la hausse des tarifs bruts, à l’accroissement des marges arrière et à une hausse des prix de détail.

La hausse des tarifs bruts

188. La définition par la loi Galland du seuil de revente à perte comme le prix net facturé et le principe de non-discrimination entre les distributeurs ont contribué à la hausse des tarifs bruts. En effet, la législation donnait la possibilité aux fournisseurs de décider d’un prix plancher de revente de leurs produits, ce qui engendrait un mécanisme d’alignement à la hausse des prix des fournisseurs, renforcé par l’exigence de transparence des conditions générales de vente et la limitation des possibilités de discrimination entre acheteurs (voir en ce sens le rapport Canivet, p. 54 à 56).

189. L’alignement à la hausse des prix favorisé par la loi Galland a été renforcé, dans le secteur de l’hygiène et celui de l’entretien, par la faible élasticité-prix des produits concernés.

Ce phénomène a notamment été décrit par Mme Nathalie Y... (Colgate-Palmolive) : « Au moment de la loi Galland, le tarif passait dans les prix. Si vous saviez qu’un concurrent augmentait ses tarifs, normalement vous aviez intérêt à augmenter les vôtres pour ne pas perdre de marge car le décrochage n’aurait pas été forcément significatif pour avoir un effet sur le consommateur, les produits étant peu élastiques aux prix hors promotion » (cote 39 913).

La hausse des taux de coopération commerciale

190. Parallèlement aux effets de la réglementation sur les tarifs, la loi Galland a eu un impact significatif sur les taux de coopération commerciale. La négociation de la marge arrière et de son évolution d’une année sur l’autre est devenue, à l’époque, l’enjeu central des négociations annuelles entre les fournisseurs de produits de grande consommation et les enseignes, d’autant plus qu’en raison de l’impossibilité légale de répercuter les marges arrière dans le prix de vente aux consommateurs, elles constituaient une marge garantie pour les distributeurs. Les demandes des enseignes en matière d’évolution de marges arrière sont donc devenues de plus en plus fortes au fur et à mesure de l’application de la loi Galland. Elles étaient systématiquement répercutées par les fournisseurs au cours de l’année suivante, par l’intermédiaire de hausses de leurs tarifs bruts.

191. Une présentation interne, établie par le directeur commercial de Colgate-Palmolive en mai 2004, illustre cette tendance haussière des marges arrière, avant 2003, dans le secteur de

l’entretien (cote 15 300). Elle contient un graphique comparatif des taux moyens de coopération commerciale pour Procter & Gamble, Unilever, Henkel et Colgate-Palmolive, c’est-à-dire les quatre principales entreprises actives dans le secteur des produits d’entretien.

192. Ce graphique, reproduit ci-dessous, montre, d’une part, l’existence d’une hausse importante des taux de marges arrière des principaux acteurs du secteur de l’entretien, entre 1999 et 2003 et, d’autre part, la convergence progressive des taux de coopération commerciale. L’écart s’est réduit significativement entre 1999 (de 13,5 % à 20,6 %) et 2003 (de 21,7 % à 23,7 %).

193. La loi Galland a ainsi conduit à une hausse importante des tarifs bruts des produits commercialisés aux enseignes de la grande distribution ainsi qu’à une convergence, vers le haut, des taux de coopération commerciale. Elle a profité tant aux industriels qu’aux distributeurs (voir en ce sens le rapport Canivet p. 56).

194. Ce constat a également été formulé par le Conseil de la concurrence dans son avis n° 07-A-12 du 11 octobre 2007 relatif à la législation sur l’équipement commercial. À cette occasion, le Conseil a analysé l’impact de la loi Galland sur les relations entre fournisseurs et distributeurs et, in fine, sur les prix de revente aux consommateurs : « [La loi Galland] a ainsi favorisé l’augmentation des marges arrière des distributeurs, aux dépens de leurs marges avant. L’augmentation des seuils de revente à perte obtenue par les producteurs en contrepartie de marges arrière élevées leur a permis d’inciter les distributeurs à aligner leurs prix de vente finals sur le seuil de revente à perte, supprimant dans une large mesure la concurrence intra marque. L’uniformisation du prix de vente final a facilité la collusion tacite entre producteurs, affectant la concurrence inter marques » (point 55).

195. La loi Galland, en imposant un prix plancher de vente des produits de grande consommation et en interdisant toute discrimination entre distributeurs, a donc contribué à l’émergence d’un équilibre tacite entre les différents fournisseurs, qui a facilité un phénomène de hausse convergente des tarifs bruts, des dérives, et, in fine, des prix de revente au consommateur. Les données économiques réunies par l’ILEC montrent que, dans le même temps, le revenu net des fournisseurs est resté stable (cote 38 742). Ainsi, l’équilibre auquel étaient arrivés les opérateurs a impacté directement et négativement la situation des consommateurs, qui ont vu les prix des produits de grande consommation augmenter significativement.

196. La hausse des prix de revente au consommateur a été chiffrée à 17,7 % pour les produits d’hygiène-beauté-entretien entre 1998 et 2004, ce secteur décrochant « la palme des hausses » (cotes 39 260 et 39 261).