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3.3 Troubles du spectre de l’autisme (TSA)

3.3.1 Déficit de traitement des visages

Imagerie cérébrale et émotions

Lorsque l’on aborde les déficits dans l’autisme, la première dimension est celle du traitement des visages, et plus largement des émotions et de la détection du regard. En effet, il est décrit dans les troubles du spectre de l’autisme une difficulté à percevoir et reconnaître les émotions ainsi qu’une faiblesse dans les processus qui implique la théorie de l’esprit (ToM). De ce fait, un traitement altéré des visages pourrait conduire vers ces troubles.

Ainsi, des études en neuroimagerie ont abondé dans ce sens. Une méta-analyse très complète en 2012 a référencé la multitude d’études menées en imagerie cérébrale sur des enfants et des adolescents dans l’autisme [265]. Cette méta-analyse nous révèle que, lors de tâches sociales simples, les patients avec des TSA ont une diminution d’acti- vation des aires comme le gyrus fusiforme gauche et le cortex occipital inférieur droit ou encore le gyrus temporal médian [265]. Par ailleurs, en choisissant de grouper les études par paradigmes expérimentaux en lien avec les tâches sociales complexes, les auteurs rapportent une diminution du recrutement du gyrus fusiforme gauche, du gy- rus temporal supérieur bilatéral et du lobule pariétal inférieur [265]. En outre, d’autres différences d’activation cérébrale peuvent se détecter, mais elles seront dépendantes de la tâche dans laquelle le participant est engagée. Par exemple, dans une tâche qui re- quiert le recrutement des procesus de la ToM, les patients avec autisme démontrent une faible activation (ou une moins forte réponse) dans le cortex frontal supérieur et dans le cortex cingulaire antérieur [265]. Durant une tâche de traitement de la direction du regard, des données en IRMf ont montré que le groupe avec des TSA avaient tendance à produire une meilleure activation pour le regard indirect vs direct, alors que les profils sont opposés chez les sujets sains. Enfin, toujours en lien avec le traitement du regard et de ses implications dans la compréhension des intentions d’autrui, les patients avec des TSA ont une réduction de l’activation de l’insula lorsque le regard est direct. Celle-ci doit voir son activité augmentée lorsque l’on perçoit un visage au regard direct, et cette diminution d’activation fonctionnelle suggère que, chez ces patients, le regard direct n’est pas un indice visuel social important [253].

Au niveau du réseau sous-cortical, les comparaisons entre patients avec autisme et individus neurotypiques révèlent une hypoactivation de l’amygdale gauche, du FG bila-

téral et des colliculi supérieurs, ainsi que du pulvinar droit chez les personnes atteintes de TSA. Ceci suggère que le système de traitement du visage sous-cortical pourrait être également perturbé dans les TSA. [253].

Pendant la tâche de visualisation libre, certaines études rapportent une hypo-activation suite à la présentation de visages (comparativement à des images d’objets) dans des ré- gions cérébrales comme le FG, l’OFA ou encore le STS dans le groupe avec des TSA par rapport aux sujets contrôles [253]. Ces aires font partie du système "core" selon Haxby, mais d’autres hypo-activations ont été retrouvées dans des aires appartenant aux réseau étendu du traitement des visages. Parmi ces aires nous avons le gyrus frontal inférieur (IFG), le gyrus temporal inférieur (ITG) et l’amygdale [253].

Ces résultats démontrent que l’activation cérébrale atypique lors de la perception du visage ne se limite pas à la voie de perception centrale du visage, mais s’étend égale- ment à d’autres zones corticales liées aux fonctions exécutives telles que le contrôle de l’attention et l’inhibition.

Dans les nombreux critères de diagnostic des TSA, il est inclus des éléments liés aux déficits d’identification et de traitement des émotions. Par exemple, il est écrit que des déficiences marquées dans l’utilisation de multiples comportements non verbaux, tels que l’expression du visage et l’absence de réciprocité sociale ou émotionnelle sont des signes évocateurs dans les TSA [169]. Il est donc vraisemblable que les mécanismes de traitement cérébral des émotions soient altérés. Une méta-analyse complète s’est intéressée aux études qui ont traité de la reconnaissance faciale des émotions dans l’autisme au cours des 25 dernière années [345]. Le résultat principal de cette méta- analyse est visible sur la Figure 3.5.

Figure 3.5 – Taille d’effet moyen sur les performances de reconnaissance des 6 émotions de base de sujets avec autisme et leurs intervalles de confiance à 95%. Résultats issus de la méta-analyse d’Uljarevic et al [345].

Cette figure nous montre les taille d’effet calculées à partir de l’ensembles des résul- tats obtenus dans les articles qui ont traité de la reconnaissance émotionnelle faciale. Nous pouvons constater que pour toutes les émotions, la taille d’effet est négative, ce qui nous indique que globalement les patients (adultes ou enfants) atteints de TSA rencontrent des difficultés à reconnaître les 6 émotions de bases selon Ekman. Pour cinq émotions (tristesse, colère, surprise, peur et dégoût), les intervalles de confiance à 95% (IC95) étaient entièrement dans la fourchette négative, ce qui suggère que les individus avec des TSA ont des difficultés à reconnaître chacune de ces émotions indivi- duellement [345]. En ce qui concerne la joie, le déficit semble moins prononcé puisqu’il n’est pas toujours rapporté dans les études, les IC95 chavauchant la ligne du 0. De plus, que ce soit lors d’une tâche de dénomination (labelling) ou simplement de l’appa- riement (matching), cette méta-analyse ne rapporte pas d’effet du type de paradigme expérimental utilisé.

Cependant, malgré de nombreuses études, il n’y a pas encore de consensus clair sur la validation ou non que la reconnaissance des émotions de base soit une difficulté fondamentale et universelle pour les personnes atteintes de TSA ou s’il s’agit que d’un sous-groupe de patients. L’âge, le QI (qu’il soit verbal, non verbal ou total) ou la popu- lation de sujets qui sert de contrôle sont autant de facteurs qui peuvent influencer les résultats obtenus, ce qui est d’autant plus marqué lorsque les capacités de reconnais- sance des émotions sont testées chez les enfants [169].

Évitement social

L’absence de contacts oculaires et la réduction de l’attention portée sur les yeux d’une autre personne est un signe précoce qui peut présager du développement de TSA. Durant les premières années de vie, les enfants qui par la suite seront diagnostiqués comme ayant des TSA, présentent déjà cette diminution d’attrait pour les contacts oculaires [188]. Par ailleurs, des études en eye tracking ont, pour certaines, validé cette diminution du temps passé à explorer la zone des yeux lors de présentation d’images de visages [161]. C’est ce qui a conduit Tanaka et son équipe à proposer le théorie de l’évitement des yeux [333]. Cette théorie, en lien avec le traitement des visages et l’exploration visuelle particulière dans l’autisme, provient du fait que les patients avec autisme décrivent un mal-être lorsqu’ils ont à regarder une personne dans les yeux. Des travaux ont ainsi été menés afin de tester cette hypothèse. Durant une tâche dans laquelle les participants avaient à catégoriser les visages suivant leurs expressions (peur, joie, neutre), Kliemann et ses collaborateurs [202] ont enregistré les déplacements ocu- laires ainsi que l’activation de l’amygdale. Pour effectuer cette tâche, ils ont demandé aux participants de fixer un point qui était placé soit au niveau des yeux soit sur la région de la bouche du visage. Lorsque les yeux était la cible, les individus avec autisme effectuaient davantage et plus rapidement des saccades hors de la zone des yeux que lorsqu’il s’agissait de la bouche comme cible. Lorsque la cible est la bouche, les sujets sains vont émettre des saccades vers les yeux, ce qui n’est pas décrit dans le groupe

avec des TSA (du moins, en plus faible proportion). De plus, l’activité de l’amygdale est plus forte que les sujets sains lorsque les patients doivent regarder les yeux [202]. Comme l’activité de l’amygdale a été liée au traitement des stimuli aversifs, les yeux causent des effets similaires dans l’autisme et pourrait provoquer ce sentiment de mal- être. De ce fait les patients TSA vont éviter la région des yeux dans le but de réduire les interactions sociales avec les autres perçues comme une menace et diminuer l’activation de l’amydgale [202].

La technique de conductance électrodermale permet, sur des populations plus jeunes, d’étudier les réponses émotionnelles liées aux stimuli présentés. Lorsque une stimula- tion induit une réponse émotionnelle plus forte, la conductance cutanée augmente. Alors que les enfants neurotypiques ne présentaient aucun changement de conductance cuta- née à des visages au regard direct, les enfants avec autisme voyaient leur conductance augmentée à la vue de visages au regard direct par rapport à des visages au regard indirect [333]. Ce résultat vient valider ceux exposés précédemment et indiquent, eux aussi, une excitation hyperphysiologique des patients avec des TSA à la région des yeux, et plus précisément au regard direct.

Traitement configural

Dernier point abordé dans ce paragraphe, le traitement holistique des patients avec autisme. Certaines études se sont focalisées sur les mécanismes du traitement holistique dans l’autisme puisqu’un déficit de traitement configural pourrait être à l’origine des difficultés de ces patients dans la reconnaissance des émotions. Je rappelle que le trai- tement holistique représente notre capacité à percevoir un visage, dans sa globalité et non comme une mosaïque de caractéristiques faciales. En appliquant les tests classiques (Part/Whole test, Composite Face Task ou l’effet d’inversion), les résultats s’avèrent encore une fois contradictoires. Cependant, il semblerait que les capacités de traitement holistique soient en partie préservées dans l’autisme. Les personnes atteintes de TSA possèdent des stratégies holistiques et locale (ou "featural") dans leur répertoire per- ceptuel et peuvent appliquer l’une ou l’autre approche lorsque cela leur est demandé. De plus les personnes autistes, tout comme les individus neurotypiques, ont des per- formances de reconnaissance altérée lorsque les visages sont inversés. Ils sont sensibles à l’illusion des visages composites donc, ont du mal à dissocier les moitiés inférieure et supérieure de visages ; Enfin, ils montrent une reconnaissance supérieure des par- ties du visage présentées au sein d’un visage complet que lorsqu’elles sont présentées isolément [333].