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2.4 Exploration visuelle des visages et des scènes sociales

2.4.1 Études princeps et exploration visuelle

Nous avons vu précédemment que les visages étaient traités, au niveau cérébral, de façon très particulière. Ils représentent une catégorie visuelle à part et l’être humain a développé des mécanismes spécifiques aux visages. En plus de posséder des modules cérébraux qui lui sont propres, les visages et plus largement les scènes sociales, bénéfi- cient d’une exploration visuelle, dans la population typique, bien précise.

L’étude des déplacements oculaires ainsi que l’attention vers les visages a débuté à la fin des années 60 avec les travaux de Yarbus. Dans ces travaux, Yarbus proposait

plusieurs images de personnes, soit uniquement un visage, soit un corps dans sa globa- lité, voire une scène sociale (Figure2.16) Il s’agit des premiers résultats démontrant que notre attention était principalement attirée vers les visages et plus précisément, vers les caractéristiques internes de ces visages. Ce résultat est notamment visible lorsque seul le visage est présenté ou lors d’échanges sociaux plus complexes. Yarbus a également pointé du doigt que l’exploration de scènes visuelles pouvait être fortement dépendante du contexte, en atteste la répartition du regard sur la photographie de l’enfant en Fi- gure2.16.B.

Figure 2.16 –Photographies utilisées dans la première étude d’exploration faciale de Yarbus dans les années 60. On remarque que les déplacements oculaires se font majoritairement vers la zone des yeux. Ces images sont issues des travaux de Birmingham et collègues [40].

Quelques années plus tard, le développement des techniques en eye tracking ont permis de valider ces résultats précurseurs. L’eye tracking est une méthode qui repose sur la réfraction d’un rayon infrarouge au niveau de la cornée. Grâce à des capteurs spécifiques et à l’angle d’incidence du rayon en retour, il est possible d’enregistrer pré- cisément la localisation du point central du regard. Cette technique permet donc de

façon totalement non invasive, de refléter et d’indiquer les zones ainsi que les stimuli attirant notre attention. C’est ainsi que grâce à cette technique, des zones d’intérêt au sein d’un visage ont pu être définies. Par conséquent, lorsqu’il est demandé d’explorer librement un visage à un participant sain, il va automatiquement diriger sa première saccade vers les yeux3, puis, distribuer son regard entre les yeux, le nez et la bouche

pour former le fameux triangle d’exploration faciale.

L’exploration des visages est également dépendante de certains facteurs qui in- fluencent notre attention. Par exemple, une étude a montré l’importance de la culture et de l’ethnie dans l’exploration visuelle des visages. En effet, cette étude démontre que des sujets caucasiens regardent davantage les caractéristiques internes du visage et plus particulièrement les yeux. Par ailleurs, les sujets asiatiques, eux, regardent davantage le centre du visage, pour avoir "en quelque sorte" une vision globale du visage [182]. En plus de l’effet de l’ethnie, le statut social semble lui aussi influer sur notre explo- ration faciale. Dans une étude parue en 2010, Foulsham et collaborateurs ont apporté de nouveaux résultats quant à un effet du statut social [132]. Dans un premier temps, ils ont demandé aux participants de juger du statut social hypothétique de personnes présentées lors de courtes vidéos. Puis, ils ont utilisé ces mêmes personnes lors d’une tâche d’exploration visuelle (toujours avec la présentation de vidéos montrant des in- teractions sociales) avec pour consigne, d’imaginer que le participant est entrain de travailler avec les personnes en vidéo, et d’indiquer avec qui le participant voudrait par la suite travailler. Ils ont ainsi pu mettre en évidence que les personnes bénéfi- ciant d’un statut social élevé étaient celles qui étaient le plus fréquemment et le plus longuement regardées par les participants, et ce même lorsque d’autres personnes sont éxhangent entre eux [132]. Ce résultat nous indique qu’une personne considérée comme importante, prestigieuse ou ayant de fortes connaissances (des rapporteurs de thèse par exemple), sera observée plus longuement. De plus, nous pouvons penser qu’en regardant une autre personne interagir et explorer les individus autour d’elle, nous puissions grâce à ce biais, avoir un indicateur des statuts sociaux des individus présents (puisqu’une personne considérée comme ayant un statut social élevé sera davantage regardée). Tout ceci nous permettrait alors d’adapter nos interactions sociales en fonction des statuts sociaux supposés des personnes présentes.

Enfin, une influence du genre sur les comportements oculaires d’exploration faciale a aussi été rapportée. Bien que les deux genres regardent de façon prépondérante la région des yeux, les hommes ont tendance à regarder plus la zone de la bouche que les femmes. Quant à elles, les femmes ne se focalisent uniquement que sur les yeux [365].

Ces études ont ainsi permis de démontrer que l’exploration visuelle des visages, sur- tout lors de situations plus écologiques, était fortement dépendante d’une multitude de facteurs. Dans le paragraphe précédent, nous avons vu que l’ethnie, le statut social ou le genre, étaient des facteurs à prendre en considération lors de tâche en exploration

3. et plus particulièrement l’œil gauche du fait probablement de l’avantage de l’hémisphère droit dans le traitement des visages

visuelle. Nous pouvons penser également qu’en fonction de la consigne demandée aux participants, l’expérimentateur influence l’exploration visuelle d’un visage par un indi- vidu. Cette dernière réflexion a été démontrée par les travaux de Yarbus, qui enregistrait des profils exploratoires différents en fonction de la consigne donnée aux participants (par exemple : Donnez l’âge de personnages ; Retenez l’emplacement des objets et des personnages de cette scène). Par ailleurs, l’utilisation d’images statiques de visages ou de scènes dynamiques complexes, pourrait faire varier l’exploration visuelle. De plus, nous pouvons imaginer que lorsque les yeux sont inclus dans une scène complexe, ils ne soient pas la zone la plus regardée.

Pour répondre au mieux à ces interrogations, Birmingham et collaborateurs ont proposé une tâche visuelle d’exploration des scènes sociales, divisée en 4 séquences dif- férentes [40]. Ce qui diffère entre ces différentes séquences est le contenu social (soit 1 ou 3 personnes) ainsi que les actions des personnages (soit la/les personne(s) est oisive, soit elle est impliquée activement dans une tâche). Ils ont ainsi mis en évidence que le regard des participants était dirigé vers la région des yeux des protagonistes, et que la fixation de cette zone augmentait avec le nombre de personnes dans la scène sociale (augmentation du contenu social) [40]. De plus l’effet d’attraction du regard vers la zone des yeux est plus marqué lors de présentations de personnes activement impliquées dans une tâche, une action.

Dans une étude ultérieure, la même équipe de Birmingham et al ont utilisé, non pas des images statiques, mais des scènes sociales dynamiques. L’idée de cette étude était de démontrer qu’en fonction de la consigne apportée aux participants, l’exploration visuelle de certaines zones était modulée. Dans ces travaux, ils ont explicitement de- mandé aux participants de rapporter, après la vidéo de présentation les intentions et les états mentaux des acteurs. Ils ont alors démontré que les participants dirigeaient automatiquement leur regard vers les yeux des personnes alors que dans la consigne, l’instruction ne mentionnait pas de volontairement se diriger vers la zone oculaire. Ceci pourrait traduire le fait que nous apprenons au cours du développement, que les yeux apportent des informations importantes, sur les états mentaux ou sur les intentions d’autrui, pour adapter nos interactions sociales [41].

Ainsi, ces deux études de Birmingham et collaborateurs, ont permis de détailler que les sujets normotypiques préfèrent regarder, de façon prédominante, la région des yeux, même lorsque les autres parties du corps sont visibles et que cet effet persiste lors de présentations de scènes sociales dynamiques. De plus, quand le contenu social augmente, les sujets sains portent automatiquement leur attention vers les yeux dans le but d’extraire des informations pertinentes pour comprendre l’échange social, et/ou les buts des individus présents. Par ailleurs, la présence physique d’un individu peut égale- ment influencer notre attention vers des indices sociaux. Laidlaw et al ont enregistré les mouvements oculaires ainsi que les orientations de la tête d’individus lors d’un échange avec une personne, qu’elle soit physiquement présente dans la pièce ou seulement au travers un écran. Ils ont montré que notre volonté de regarder un autre individu est for-

tement influencée par la présence physique de la personne. Ceci est perçu comme le fait que la personne, quand elle est physiquement présente, peut potentiellement s’engager dans une interaction sociale et donc, augmente notre capacité à diriger notre attention vers la personne [211]