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Défendre le commerce loyal et lutter contre le "dumping social"

Section 1 Des objectifs optionnels

1. Défendre le commerce loyal et lutter contre le "dumping social"

2) Éviter les effets indésirés sur l'emploi et le développement soutenable ; 3) Faire respecter les valeurs universelles ;

4) Promouvoir le travail décent et le développement soutenable. 1. Défendre le commerce loyal et lutter contre le "dumping social"

Il s'agit ici de protéger les firmes nationales de pratiques considérées comme "déloyales". Les instruments de défense commerciale affectés à cet objectif ne visent donc pas à défendre les travailleurs victimes de violations du droit du travail dans le pays d'exportation, mais de protéger les travailleurs "perdants", victimes de la concurrence des importations. C'est en ce sens que cet objectif est souvent accusé de "protectionnisme déguisé" par ses détracteurs. Même si l'accord est arrimé au droit national, l'inclusion de ces dispositions commerciales se heurte à l'hostilité d'un nombre important de pays notamment des pays en développement qui craignent de se voir contesté leur avantage

comparatif dans les productions intensives en travail. Cet argument d'asymétrie tombe pour des accords entre pays développés (par exemple : USA-Australie ou UE-Corée). Les textes de l'OMC autorisent un certain nombre de mesures pour lutter contre des pratiques considérées comme déloyales comme les droits antidumping et droits compensateurs (article VI du GATT). Ces protections conditionnelles sont astreintes à certaines règles (existence du dumping ou d'une subvention, démonstration d'un préjudice pour l'industrie nationale, limitation de la pénalité). Aujourd'hui, ce sont les pays émergents, comme l'Inde, qui ont le plus recours aux droits antidumping. Même si la jurisprudence de l'OMC ne permet pas de trancher, il paraît néanmoins juridiquement difficile de couvrir le "dumping social" par ces instruments de protection conditionnelle152.

Le risque de "dumping social" est une des justifications les plus souvent avancées par les syndicats, comme par certaines industries menacées par les importations, pour revendiquer des contre-mesures. Dans un contexte où les opinions publiques se révèlent de plus en plus réservées vis-à-vis de la libéralisation des échanges à qui elles attribuent les pressions sur l'emploi, le pouvoir d'achat et l'accroissement des inégalités, l'introduction de telles clauses donne une assurance et facilite l'adhésion politique à la poursuite du processus de libéralisation. En contrepartie, elle complique les négociations avec les pays qui ne reconnaissent pas cet objectif.

Le choix en faveur de l'introduction de clauses visant à se prémunir ou à sanctionner des pratiques de dumping social exigent ou suggèrent :

1) un chapitre spécifique sur le travail, intégré dans l'accord commercial et traitant des situations d'abaissement ciblé des règlements ou des pratiques ;

2) la mention du risque de "dumping social" –requalifié par une formule de type "abaissement du droit et des pratiques à des fins de compétitivité"- est généralement basée sur la reconnaissance du droit national ce qui permet de contourner le reproche d'ingérence. Le dumping social se définit alors comme la violation de ce droit à des fins de compétitivité au profit d'entreprises, de secteurs, de zones géographiques. Toutefois, cette clause pourrait avoir des effets contre-productifs : les dérogations devenues inaccessibles conduiraient à l'abaissement de la protection sociale dans tous les domaines et pas uniquement dans les secteurs liés au commerce. L'évolution du droit et des pratiques nationales doivent donc être surveillées. Ce risque est très souvent perçu dans les textes qui se heurtent alors à la contradiction suivante : d'une part, le droit reconnu aux parties d'adopter et de modifier leur droit et, d'autre part, des engagements de renforcement ou de non

152Les clauses de sauvegarde (article XIX du GATT) n'exigent pas la démonstration d'une "déloyauté" et peuvent être utilisées lorsque les

importations causent un préjudice important (material injury) à une production nationale. Dans ce cas, la clause de sauvegarde peut sanctionner implicitement des phénomènes de "dumping social" si celui-ci est à l'origine du préjudice.

abaissement des normes de travail à des fins commerciales. Cette contradiction dans les textes laisse la porte ouverte à des conflits d'interprétation ;

3) la reconnaissance mutuelle impose néanmoins que le droit national concerné soit suffisamment développé. Si tel n'est pas le cas, la négociation commerciale peut inviter les pays concernés à renforcer leur droit qui pourrait, par ailleurs, être arrimé aux conventions de l'OIT désignées ;

4) Il faut définir les chapitres du droit concerné compte tenu du fait que le droit du travail peut avoir plusieurs formes (Constitution, lois ordinaires, code du travail, etc.). Un champ étroit portant sur quelques droits fondamentaux (travail des enfants, travail forcé) risquerait d'introduire à la fois une confusion avec d'autres fonctions de la clause (voir ci-dessous) et d'être ressentie comme asymétrique par les pays en développement. En effet, l'objectif de "loyauté" implique que soient visées toutes les formes de régression qui visent à réduire le coût du travail dans le secteur exportateur en dérogeant aux règles nationales, qu'elles atteignent ou non la rémunération perçue par le travailleur (par exemple, exonération de charges sociales patronales). Cette extension réduit le caractère asymétrique de la clause puisque les pays développés sont, eux-aussi, exposés. Certains accords prévoient des engagements sur la création d'un salaire minimum qui assure une protection contre d'éventuels abus. Il peut servir de référence dans l'instruction des plaintes. Néanmoins, le salaire minimum est difficile à fixer : trop bas par rapport à la productivité du travail, il devient inutile ; trop élevé, il favorise le chômage ou le travail informel. Il semble préférable d'insister sur le droit à la négociation collective et le respect des syndicats, notamment au niveau des branches.

5) Une procédure de règlement des différends unifiée intégrant toutes les questions commerciales, les violations du droit du travail à des fins de compétitivité comme les subventions ou le droit de propriété intellectuelle. L'éventuelle sanction devra imposer la démonstration d'une relation de causalité entre la violation du droit national et l'existence d'un préjudice pour les entreprises du pays de destination.

6) Un mécanisme de sanctions qui s'appliquerait non seulement aux États qui accorderaient des exceptions officielles mais également aux entreprises sous la forme d'amende ou d'un droit additionnel de type "antidumping". Ces sanctions ont l'avantage de cibler le comportement des firmes et donc de les inciter à respecter un droit du travail national. Elles pourraient se fonder sur le respect de la déclaration tripartite de l’OIT, du Pacte mondial des Nations Unies ou des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.C'est ce ciblage qui a été une des causes de la réussite de l'accord USA-Cambodge. Néanmoins, la sécurité juridique de ce type de mesure est incertaine ; le pays visé pourrait, en effet, se retourner auprès de l'OMC pour obtenir la condamnation du

pays ayant imposé des sanctions au titre du respect de normes de travail, non reconnues par l'organisation.

7) Notamment dans les accords avec les pays en développement, l'accord peut prévoir un reversement des amendes ou taxes aux entreprises respectant le droit du travail et destiné, par exemple, à améliorer l'environnement sanitaire, créer des sections syndicales, favoriser la formation des employés. Ces pénalités pourraient également être versées à des fonds destinés à financer des infrastructures scolaires ou de santé, à renforcer l'administration du travail ou financer des programmes de promotion du commerce.

8) Ilpeutêtre envisagé des mécanismes ciblés au niveau des secteurs d’activité. Cela peut prendre la forme de mécanismes liant la signature d’accords cadres internationaux (ACI) et de libéralisation sectorielle. Au-delà, il doit être possible de cibler les sanctions au niveau du secteur lorsque la pratique de dumping social est spécifique à un secteur d’activité clairementdéfini.

9) Une définition précise des personnes physiques ou morales susceptibles de saisir les autorités chargées d'instruire les plaintes. Elles devraient provenir des administrations, employeurs ou syndicats concernés par les importations en cause. 10) Une alternative à la procédure de règlement des différends serait l'accès de parties-prenantes d'une partie aux procédures internes de l'autre partie. En effet, contrairement aux cas classiques de dumping ou de subventions, généralement conformes au droit national153, la déloyauté est directement liée à la violation du

droit du travail national. L'accord pourrait préciser les conditions d'accès des entreprises, des syndicats et autres parties aux procédures nationales. L'ALENA a néanmoins montré la difficulté de mise en œuvre de ces procédures.

En conclusion, le traitement et la sanction du commerce "déloyal" peuvent-être justifiés comme soupape de sécurité pour réduire les risques de politiques de croissance "à tout prix" que certains pays pourraient être tentés de mener. Néanmoins, comme l'a montré l'analyse des accords (chapitre 3), l'efficacité de telles clauses est douteuse par rapport à leur "coût" d'opportunité :

1) Dans la négociation bilatérale, les réticences impliqueraient des concessions sur d'autres thèmes.

2) D'autres instruments, qui pourraient être clarifiés dans les accords, peuvent se révéler plus efficaces comme le recours aux autorités judiciaires nationales. 3) Il paraît juridiquement difficile de contourner les règles de l'OMC, compétente pour traiter les questions de loyauté commerciale même si, jusqu'à

153Les droits nationaux de la concurrence exonèrent généralement les exportations de certaines dispositions. En ce qui concerne les subventions, le

droit européen peut néanmoins être sollicité. La jurisprudence de l'OMC rappelle que les textes de l'article VI relèvent du droit commercial et non du droit de la concurrence (plainte de l'UE et du Japon contre la loi antidumping de 1916 des États-Unis).

maintenant, la question n'a jamais pu être introduite dans l'agenda des négociations multilatérales. Ainsi, l'Union européenne pourrait prendre position sur certaines options : interprétation de certains éléments de protection conditionnelle (article VI du GATT), élargissement et interprétation du préambule ou de l'article XX, possibilité d'introduire des engagements en matière de droit du travail (notamment dans les zones d'exportation) dans les listes d'offre, demande de négociation d'un accord plurilatéral154 sur la protection du travail et la

promotion du développement durable.

2. Éviter les effets indésirés des accords commerciaux sur l'emploi et le