• Aucun résultat trouvé

Pour décrire des structures: trompe-l'œil et mise en abyme, les jeux baroques dans Monsieur de

C. En quoi une pensée des mondes possibles permet-elle de sortir « par le haut » de cette

3. Pour décrire des structures: trompe-l'œil et mise en abyme, les jeux baroques dans Monsieur de

dans Monsieur de Bougrelon.

Pour certains théoriciens, la fiction, à l'instar de notre monde, engendre elle-même la pluralité de ses mondes possibles. Elle est alors « un incubateur de mondes possibles enchâssés5

» C'est ainsi que ce que d'autres ont appelé autoréférentialité, la théorie des mondes possibles l'explique par un procédé analogue de celui de la métalepse:

1. Lubomir Doležel, Heterocosmica, Fiction and Possible Worlds, op. cit. 2. Umberto Eco, ibid.

3. Le conte ne se définirait pas pour autant comme un genre de moindre saturation. D'ailleurs, la notion de genre est en soi discutable; car comment arrêter, sur l'éventail des fictions, la frontière du roman, la frontière de la poésie, la frontière du conte? Il est plus juste de figurer les genres par les couleurs de l'arc en ciel, qui s'interpénètrent dans un brouillage plus cohérent avec les faits de fiction et l'usage qu'en ont et qu'en auront les écrivains. Ne cherchons donc pas des genres aux contours nettement découpés, mais des tendances aux silhouettes vaporeuses.

4. Marielle Macé: « Si l'on reprend l'idée des trois degrés de saturation de Dolezel (textures explicites, implicites, et textures zéro, c’est-à-dire blancs du mondes fictifs), ce qui provoque le rire ou le sentiment d'étrangeté est que l'attention du lecteur est déportée de force vers ces blancs qui devraient être les franges d’impertinence de question et l'incomplétude devient l'enjeu du récit. » (« "Le total fabuleux". L’engendrement d’univers fictionnels dans le discours. » [23 février 2006], La théorie des mondes possibles: un outil pour l'analyse littéraire? op. cit.)

5. Richard Saint-Gelais, « Les théories autochtones de la fiction » [8 décembre 2005], La théorie des mondes possibles:

L'intrigue incorpore alors, mais à ses risques et périls, une mise en cause de ses propres cadres. Le court-circuit est lui-même un événement de fiction. La fiction résiste à son propre ébranlement, elle prend en charge ce qui l'excède.1

La fiction devient alors capable, contenant, de se prendre comme contenu, par ce que Thomas Pavel appelle « une cohabitation instable des perspectives interne et externe ». Cela n'exclut aucunement sa référence au monde, sur la base duquel elle s'élabore nécessairement, simplement le référent réel est déporté dans le gouffre d'un phénomène de mise en abyme.

C'est ce phénomène qui déroute le lecteur de Monsieur de Bougrelon. L'œuvre, relativement simple par sa structure narrative, mais complexe par son architecture fictionnelle, expose tout son art dans une jonglerie avec les mondes. Notamment, elle joue sur différents plans avec ce que Pavel appelle « le réel-dans-le-roman » et le « fictif-dans-le-roman »2

. Il signale le cas particulier d'une « narration qui hésite elle-même entre plusieurs réalités-dans-le-texte », œuvres étranges qui « thématisent explicitement les difficultés ontologiques de la fiction ». En définitive, c'est bien un procédé baroque que ces jeux de vertige avec les structures de la fiction, et on se laisse prendre par la virtuosité du tour du prestidigitateur. En terme de mondes possibles, on peut observer dans

Monsieur de Bougrelon une armature fictionnelle sans monde de référence ultime. La fiction intègre

alors une multiplicité de possibles, sans asseoir jamais un monde pertinent au delà de la mesure des autres. Réservons cela à plus tard, et laissons ce terrain en jachère pour le cultiver dans la partie III.

Ces procédés particuliers induisent une stratégie paradoxale commune à de nombreux textes décadents: la fiction élabore un trompe-l'œil autoréférentiel afin de mieux combattre l'enfermement. Car si la fiction semble se complaire dans une réverbération narcissique, en ressassant ses propres possibles, c'est bien dans l'objectif secret d'une fuite par l'impossibilité de conclure. Loin de se figer dans une énumération exhaustive de ses possibles narratifs, elle en ouvre le champ, conviant le lecteur à engager son imagination à la suite. Ainsi, la fiction décadente n'organise pas sa réclusion hors du monde; elle combine, par d'adroits subterfuges, une fuite, loin d'elle-même, en elle-même.

Contre-intuitif, l'autotélisme, que Todorov qualifie de « romantique » (au sens large), est un postulat trop peu fertile pour le terrain de la fiction. En réponse, la théorie des mondes possibles présente un étal de points de vue intéressants, en ce qu'elle place la fiction au cœur de la réflexion et tâche de faire droit à toute sa spécificité. L'approche par la structure, qui présuppose la clôture du texte, cherche des lois auxquelles soumettre le texte; la théorie des mondes possibles, elle, préfère mettre en évidence des propriétés qui, si elles ne concernent que le seul aspect de la fiction, apparaissent cependant plus en accord avec les usages courants de la littérature.

Mais, bien qu'elle présente une alternative efficace, la théorie des mondes possibles n'est pas

1. R. Saint-Gelais, ibid.

2. Thomas Pavel, Univers de la fiction, op. cit., p. 81. Lorrain, en jouant avec ces registres, cherche à faire prendre à son lecteur des vessies pour des lanternes.

une théorie « totale », qui suffirait à expliquer toute la littérature1

. La littérature déborde les objets qu'a le pouvoir de considérer la théorie des mondes possibles. En effet, qu'a-t-elle à dire sur le style? sur sa qualité? De quels outils dispose-t-elle pour distinguer l'œuvre d'un Kafka ou d'un Rabelais de celle du premier romancier de gare primé en vente? Si la sémantique narrative restitue la

fictionnalité au rang qui lui est dû, elle remise dans l'ombre le concept de littérarité de Jakobson. Le

structuralisme s'est trop exclusivement préoccupé du texte, et la théorie des mondes possibles se cantonne certainement au niveau de l'histoire et du récit2

. Mais il est également vrai que la fiction déborde le strict domaine du texte3

.

Par dessus tout, la théorie des mondes possibles offre une échappatoire au dogme de l'autotélisme, en restituant le référent d'origine de toutes fictions dans le monde réel. De là, il résulte que la perversité de la littérature décadente ne consiste pas en un déni de la réalité, mais elle consiste en une distorsion, en un réaménagement des données du réel.

Somme toute, nous nous attachons à l'idée que même si les postulats structuralistes constituent des méthodes dont les outils restent (diversement) précieux, ils ne sont pas recevables en tant que conception de la littérature. À nos yeux, il ne saurait s'écrire d'autre littérature que transitive. Ne valent, dès lors, que les approches honorant, par une profession de foi toute humaine, la faculté de la littérature à susciter des ailleurs.

1. Et, sans doute, on l'en remercie: les théories qui prétendent recouvrir tous objets d'études ont bien souvent de quoi alarmer. À l'instar de Compagnon, qui s'inscrit contre tout absolutisme théorique, préférons un jugement plus tempéré et une dynamique théorique qui se dispensent de prise de position irrémédiable. C'est en cela qu'on apprécie l'enseignement que Compagnon dit tirer de l'exemple de R. Barthes: « Ne faites pas ce que je dis, faites ce que je fais » (Le démon de la théorie, op. cit. p. 309)

2. Mais l'on peut se refuser à dissocier absolument la fiction du texte. Les recherches, encore récentes, trouveront peut- être matière à élargir la théorie des mondes possibles vers le champ de la poétique, pour l'heure congédiée. Dans quelle mesure la fiction est-elle autonome vis-à-vis du texte? Nous préférons les confondre au plus homogène, de la même manière que dans un signe, le signifiant est aussi solidaire du signifié que le recto d'une feuille de son verso (Saussure). 3. « Le texte ne saurait représenter qu’une infime partie de la description de son univers », Pavel, Univers de la fiction,

Outline

Documents relatifs