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Les déchets et les structures liés au travail du fer

Chapitre 5 : le site de Delémont - La Deute

5.6 Le mobilier de La Tène (couche 6.1.2) .1 La céramique

5.6.3 Les déchets et les structures liés au travail du fer

Ludwig Eschenlohr

L’attribution de ces déchets à La Tène se fonde sur les données archéologiques disponibles. Aucun élément provenant de l’étude qui suit ne corrobore une attribution chronologique quelconque de cet ensemble. Plusieurs indices intrinsèques permettent tou-tefois d’affirmer avec une forte probabilité que ces déchets pro-viennent d’une activité antérieure au début du Moyen Age. En l’occurrence, l’absence de vestiges assurément gallo-romains soutient donc fortement que ces déchets ont été produits lors de l’occupation laténienne de ce site, ceci d‘autant plus que les dates 14C pour les fosses 82, 85 et 88B sont toutes de l’âge du Fer. 5.6.3.1 Classification

Les déchets scorifiés se concentrent pour la quasi-totalité dans la zone sud du périmètre fouillé du site. Cette zone est caractérisée par une couche archéologique mal conservée (chap. 5.4.2). La classification des déchets peu nombreux provenant de la zone sud du site permet d’affirmer que ceux-ci sont issus du travail du fer (forgeage). La composition du corpus est sans équivoque à ce sujet : les scories en forme de calottes dominent largement (près de trois quarts en poids), suivies des éléments de construction des bords de bas foyers, appelés parois scorifiées (fig. 91). Les quelques scories coulées peuvent pour l’essentiel être assimilées à l’extrémité d’une calotte dont l’état était très liquide. Au moins un exemple très parlant dans ce sens-là se trouve dans l’ensemble de déchets (voir infra). Les scories indéterminées se composent majoritairement de pièces de très petite taille, ce qui empêche leur classification. Selon toute vraisemblance, il s’agit soit de petits morceaux de calotte soit de paroi scorifiée. Les scories fer-reuses sont très faiblement représentées.

Fig. 90. La Deute. Répartition spatiale du mobilier en fer.

N

30 m 0

Fibule Anneau Autre mobilier en fer

Occupations protohistoriques au sud de Delémont : de l’âge du Bronze final au Second âge du Fer CAJ 31

Ensemble Nombre Poids

nb % nb % c 6.1.2 71 52,2 1525 58,5 c 6.2.2 26 19,1 205 8,0 CHE / CHE 2 21 15,5 515 19,7 Fossse 82 15 11,0 300 11,5 Divers 3 2,2 60 2,3 Total 136 100 2605 100

Fig. 92. La Deute. Répartition des déchets par ensemble stratigra-phique, en fonction de leur nombre et de leur poids. Etat Nombre nb % Surface très altérée 106 78 Surface altérée 25 18 Bonne conservation 5 4 Total 136 100

Fig. 93. La Deute. Etat de conser-vation en surface, par examen

macroscopique. Fig. 94. La Deute. Calotte de forge, face supérieure. On distingue

mal-gré le mauvais état de conservation une concavité au centre de la pièce. Près de 10 % des déchets en poids, soit six fragments, ont été

ex-clus de l’étude de par leur provenance incertaine par rapport aux couches datant de l’époque laténienne. Certains éléments seront néanmoins évoqués à la fin de ce chapitre, parce qu’un lien avec les autres déchets scorifiés ne peut être d’emblée exclu.

Pour un corpus de ce type, on peut relever la prédominance des fragments de scories en forme de calotte (± 73 %) en ce qui concerne le poids. Soulignons encore la présence également marquée du nombre de fragments de paroi scorifiée (± 17 %). Le fait que les déchets de type calotte dominent plaide claire-ment pour une activité liée au forgeage. La nature des fragclaire-ments de paroi, à savoir leur épaisseur et leur texture qui diffèrent de celles d’un bas fourneau, indique également que l’on se trouve en présence du revêtement intérieur d’un bas foyer.

Le poids moyen d’un fragment (< 20 g) représente moins de la moitié de celui que l’on obtient (> 40 g), par exemple, sur le site médiéval proche de Develier-Courtételle (Eschenlohr et al. 2007). Ceci est certainement dû à l’état de conservation, mais peut-être aussi à une activité plus spécifique. De toute évidence, le nettoyage d’un fer brut engendre plus de déchets de plus grande taille et de poids plus élevé. La faible taille des trop rares pièces entièrement conservées plaide donc en faveur d’une activi-té de forge sur du métal conditionné, soit sous forme de produit semi-fini, soit d’objet déjà utilisé.

Malgré le mauvais état de conservation de la couche archéolo-gique, la majeure partie du mobilier scorifié se trouve dans celle-ci ou dans le remplissage contemporain d’une structure. Pour le reste, il s’agit de fragments lessivés dans le chenal ou enfoncés dans la couche sous-jacente (fig. 92). L’état de conservation de la surface des fragments est également déplorable : près de 8 frag-ments sur 10 montrent une surface fortement altérée. Les pièces dont la surface a un aspect à peu près normal se comptent sur les doigts d’une main (fig. 93).

5.6.3.2 Répartition spatiale

Le mauvais état de conservation de la couche archéologique explique, du moins en partie, la faible quantité de déchets retrouvée, même dans les secteurs les plus riches, à proximité d’au moins une structure métallurgique potentielle (chap. 5.4.2.2, fig. 72). Huit fragments sur dix se trouvent dans une surface infé-rieure à 100 m2. Ceci représente toutefois encore de très faibles concentrations de déchets scorifiés : environ 1 fragment, soit entre 5 et 55 g / m2.

La plus significative concentration de déchets scorifiés se trouve en aval de la structure de combustion 82. Les lambeaux de couche conservés en bordure du chenal indiquent qu’il est fort probable qu’une grande partie de ce matériel ait été emportée par l’action de l’eau.

5.6.3.3 Les scories

Lors de l’examen macroscopique de ce mobilier, l’état fragmen-taire évident des pièces est venu confirmer l’hypothèse qu’une partie non négligeable des déchets métallurgiques manquait. La petite taille de ce corpus permet aussi d’affirmer que les frag-ments étudiés ne constituent presque jamais de pièces entières, aussi seule une analyse très globale de ce petit corpus est envi-sageable. Afin de permettre au lecteur de percevoir quelque peu certains aspects de cet ensemble, quelques rares pièces remar-quables sont présentées.

5.6.3.3.1 Les scories en forme de calotte

Deux pièces peuvent être considérées comme des calottes presque complètes. Leurs petites tailles laissent supposer soit que le travail de forgeage dont elles sont issues ne portait pas sur une grande quantité de métal à la fois, soit que la durée de l’opéra-tion de forgeage au sens strict n’était pas très longue.

Sur la pièce légèrement plus grande, on distingue au centre de la face supérieure une légère concavité, ainsi que des empreintes de charbons (fig. 94). Ce genre de traces a été observé dans de plus grands ensembles (Eschenlohr et al. 2007, chap. 3.3).

Un fragment constituant la partie distale d’une calotte se dis-tingue par son aspect coulé. Ceci confirme une observation déjà

Type Nombre Poids Moyenne

nb % g % g

Scorie en forme de calotte 58 43 1900 73 33

Scorie coulée 8 6 135 5 17

Scorie ferreuse 2 1 30 1 15

Scorie indéterminée 19 14 110 4 6

Paroi scorifiée 49 36 430 17 9

Total 136 100 2605 100 80

Fig. 91. La Deute. Synthèse des déchets classés par types, en fonction de leur nombre et de leur poids.

En admettant que la densité moyenne d’un m3 de terre est de quelque 1300 kg au moins, il est aisément compréhensible que dans trois parties fouillées sur quatre le prélèvement du sédi-ment n’a pas été complet.

Des battitures ont également été trouvées dans les sédiments tamisés des fosses 85 et 88B et du trou de poteau 90 (chap. 4.5.4.2). Dans les trois cas, les quantités sont cependant assez faibles, toutefois – pour ce qui est des structure 85 et 88B – légèrement supérieures à celle de la structure 82. Les problèmes évoqués en lien avec la représentativité de l’échantillonnage du sédiment sont aussi valables pour ces trois structures.

5.6.3.5 Les structures

5.6.3.5.1 Le bas foyer potentiel 82

Le mobilier en provenance de la structure 82 et de ses alentours forme la majeure partie des déchets métallurgiques du site de La Deute. La configuration du terrain en pente, ainsi que la limite de la zone fouillée qui coupe nettement cette concentration, permettent d’imaginer des quantités initiales plus importantes de déchets lors du fonctionnement de cette zone de forge. La relative concentration de déchets scorifiés, la présence de batti-tures dans le remplissage de la structure 82, ainsi que celle de nombreuses paillettes de charbon de bois constituent autant d’indices pour interpréter cette structure comme un bas foyer de forge. Le fait que le niveau de circulation de l’époque et la partie supérieure de la structure soient tronqués, empêchent de pousser l’interprétation plus loin.

5.6.3.5.2 Les autres structures éventuelles

S’il ne peut être exclu que l’une ou l’autre des trois structures 85, 88B et 90, proches de la précédente, aient également un lien avec une activité métallurgique, aucun indice probant en faveur d’une telle hypothèse ne peut être avancé. Le nombre de battitures y est encore plus faible, les scories se limitent à une pièce dans deux de ces structures. En considérant les phénomènes d’érosion, un déplacement de ces quelques rares éléments en provenance de la structure 82 ou de ses alentours semble plausible.

5.6.3.6 En guise de conclusion

S’il n’est pas rare de rencontrer, sur un site de l’âge du Fer, un ensemble dénotant d’une activité métallurgique de faible impor-tance, il faut cependant souligner que, dans le cas présent, ce fait est nettement accentué par un état de conservation déplorable, tant de la couche que – par conséquent – du mobilier. Outre la faible densité d’objets préservée, que ce soit dans les lam-beaux de couches ou dans les fonds de structures érodés, l’état de conservation en soi des pièces est très mauvais. Ces indices confirment l’impact de l’érosion sur la couche archéologique, ainsi que sur le mobilier qu’elle renferme. L’état fragmentaire des rares éléments qui nous sont parvenus parle dans le même sens. Tous ces facteurs rendent une étude approfondie illusoire : il y a trop de matériel pour pouvoir l’ignorer et de loin pas assez pour pouvoir en dire quelque chose de significatif ! La présentation des quelques pièces ci-dessus revêt de ce fait un caractère très anecdotique.

faite dans d’autres complexes de déchets scorifiés où parfois la scorie résultant d’une des étapes du travail du fer peut être assez liquide pour former une pièce ou plutôt partie de calotte dense à aspect coulé. La pièce en question démontre que l’écoulement se fait au bout opposé à la source de chaleur. Dans d’autres cas, ce phénomène s’observe également à la base de la calotte.

5.6.3.3.2 La paroi scorifiée

Parmi les fragments de paroi scorifiée, on peut relever que trois proviennent des alentours immédiats d’un trou de soufflet. Ce nombre est relativement élevé (± 6 %), si l’on tient compte de la faible taille du corpus étudié. Un des deux grands fragments montre sur sa face intérieure une très forte vitrification, ce qui est l’indice soit d’une température très élevée dans le foyer, soit d’une composition favorisant cette vitrification. A l’examen macroscopique, les fragments de paroi scorifiée sont de nature plus argileuse que ceux étudiés par exemple sur le site médiéval de Develier - Courtételle. Ayant déjà vu des pièces avec une vitri-fication similaire dans des contextes laténiens, je penche plutôt pour la seconde explication.

5.6.3.3.3 Les autres déchets scorifiés

Les quelque huit fragments de scories coulées et les deux seuls fragments de scories ferreuses ne permettent guère d’avancer une interprétation plus élaborée. Toutefois, l’extrême rareté de la se-conde catégorie plaide en faveur d’un travail de forgeage au sens strict avec un métal déjà bien propre, voire usagé.

5.6.3.4 Les battitures

Comme de manière générale le remplissage des anomalies ou des structures potentielles n’a pas été facile à distinguer de la couche encaissante, dans plusieurs cas le sédiment constituant leurs remplissages n’a pas été prélevé, ou, s’il l’a été, ce ne fut que de manière très partielle. Il est ainsi difficile d’évaluer objective-ment d’éventuelles concentrations de battitures. Toutefois, tous les indices disponibles tendent à confirmer que la quantité de battitures conservées dans les structures est négligeable. Si l’on norme cette quantité pour un volume de 100 kg de sédiment avant tamisage, on obtient dans un seul cas entre au minimum 5 et au maximum 15 g de battitures. Ceci représente par exemple des quantités dix à septante fois inférieures à celles qui pro-viennent de foyers de forge d’un site de la même époque situé à Rheinau (communication personnelle de Marianne Senn). Tous les autres cas de La Deute présentent des valeurs encore inférieures.

Tous les refus de tamis du sédiment provenant des différentes parties de la structure 82 contiennent des battitures. Les quan-tités observées sont toutefois très faibles. Là encore, l’influence importante de l’érosion et du lessivage est à présumer. Outre ce constat, il convient de préciser que selon toute vraisemblance, tout le sédiment n’a pas été prélevé dans toutes les parties de cette structure. En effet, si l’on extrapole à partir d’une estimation de volume de chaque partie et du poids de sédiment disponible au moment du tamisage, on obtient des chiffres s’échelonnant de 300 à 1200 kg de terre par m3, avec des valeurs intermédiaires de 560 kg et 640 kg !

Occupations protohistoriques au sud de Delémont : de l’âge du Bronze final au Second âge du Fer CAJ 31

L’examen rattache ce petit corpus à la phase technologique du travail du métal de la sidérurgie ancienne. On relève des indices probants en faveur de l’existence d’un bas foyer de forge, matéria-lisé par la structure 82. Le mauvais état général de conservation du mobilier métallurgique, ainsi que celui de la structure ne per-mettent pas de conclusions plus poussées. Dans l’état actuel de nos connaissances dans le Jura central suisse, ce mobilier consti-tue un ensemble cohérent pour l’époque laténienne de laquelle il date assurément (Eschenlohr 2001).