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L’analyse de l’échantillon des EAM existantes ne permet pas de dégager une ou

plusieurs EAM « idéale(s) » que l’on pourrait adapter au contexte écologique et

règlementaire français. Le développement du cadre méthodologique standardisé peut en

revanche s’appuyer sur des tendances consensuelles (structure commune), tout en

intégrant des éléments innovants là où des oppositions entre les défis existent.

3.4.1. Structure

La structure commune des méthodes consiste globalement à calculer des

différentiels de biodiversité afin de pouvoir comparer sur une base commune les pertes et

les gains. Bien qu’entrainant un certain nombre de défis à relever, cette manière d’évaluer

l’équivalence est logique et pragmatique, d’où sa généralisation pour les EAM. Elle sera

donc globalement conservée pour le développement du cadre méthodologique, en

adaptant cependant certains éléments (Figure 16) pour qu’ils soient en adéquation avec

nos objectifs.

Agrégation des indicateurs

Les valeurs des indicateurs de biodiversité ne seront pas agrégées en une (ou

plusieurs) unité(s) de compensation décrivant les sites. Ce choix se justifie car

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l’agrégation des valeurs impliquent plusieurs phénomènes (Nardo et al. 2005) que nous

avons identifiés comme favorisant un effet « boîte noire » (en lien avec des discussions

avec les services instructeurs en charge de juger les dossiers) :

 L’uniformisation des métriques utilisées sur une même échelle de référence, par

exemple comme pourcentage de valeurs « idéales » (état historique, non perturbé

etc.),

 La compensation entre des indicateurs pouvant aboutir à des valeurs finales

similaires alors que les sites présentent des caractéristiques différentes (McCarthy et

al. 2004),

 Les pondérations des indicateurs souvent nécessaires afin de mieux représenter

l’information mais plus ou moins arbitraires.

Ne pas agréger les indicateurs permet une évaluation plus directe et transparente.

Le défi est alors de choisir les indicateurs pour que l’évaluation soit scientifique mais pas

trop fastidieuse, et interprétable par des non spécialistes. Cela peut se révéler délicat, et il

conviendra de guider les utilisateurs du cadre méthodologique dans la phase

d’interprétation des indicateurs.

Etat de référence

Pour le milieu aquatique, des états de référence (Stoddard et al. 2006) ont été

identifiés dans le cadre de la Directive Européenne Cadre sur l’Eau à partir de cours d’eau

les moins perturbés par l’activité humaine (Pardo et al. 2012). En revanche, pour le

milieu terrestre (sur lequel se focalise le cadre méthodologique), la prise en compte d’un

état de référence est plus complexe. Elle soulèverait en effet la question du choix d’un tel

état de référence (état historique, meilleur état souhaitable, état à haute naturalité ?...) et

de la définition des valeurs pour les composantes de biodiversité évaluées (comment

évaluer un état passé ?). Or, en France les milieux terrestres sont très anthropisés et ont

évolué depuis des siècles avec les activités humaines (notamment l’agriculture ; Gepts

2012), ce qui ne permet pas d’identifier un état de référence privilégié (comme par

exemple les zones humides « naturelles » prises comme référence dans UMAM et

CRAM). C’est pourquoi les valeurs des indicateurs ne seront pas comparées à un état de

référence.

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Figure 16 : Eléments de la structure commune des EAM conservés pour le développement du cadre

méthodologique (en vert), non pris en compte (en gris) et non conservés ou remplacés par d’autres

éléments (en rouge).

Ratios surfaciques

Les ratios sont considérés comme une manière de prendre en compte les

dimensions spatiales, temporelles et/ou incertitudes, mais sont en réalité souvent

arbitraires. Ils représentent alors davantage un outil de dissuasion permettant de mettre

l’accent sur la phase d’évitement (de grandes surfaces compensatoires sont coûteuses et

difficiles à trouver pour les maîtres d’ouvrage) qu’un réel moyen d’atteindre

l’équivalence (Maron et al. 2010; Curran et al. 2013). Il est également difficile de fixer

des ratios réellement intégrateurs des multiples besoins écologiques des espèces (Bull et

al. 2016). Pour ces raisons, ils ne sont pas utilisés dans la version actuelle du cadre

méthodologique, mais ils pourraient l’être dans une version ultérieure avec une pertinence

scientifiquement fondée (sur des retours d’expérience notamment).

Prédiction des impacts

La prédiction des valeurs des indicateurs après impact et compensation restera à

dire d’expert comme pour la majorité des EAM. Des progrès ont été faits en termes

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d’écologie prédictive : modélisation de distribution d’espèces (Guisan & Thuiller 2005),

de trajectoires d’écosystèmes, de scénarios d’évolution de la biodiversité (Pereira et al.

2010). Ces résultats restent cependant encore peu mobilisables pour les maîtres d’ouvrage

et autres acteurs de terrain. Mettre en place un système de modélisation constituerait un

travail trop conséquent dans le cadre de ces travaux de thèse, malgré une plus grande

pertinence pour une évaluation rigoureuse de l’équivalence, c’est pourquoi le dire

d’expert (cadré scientifiquement) est dans un premier temps retenu.

3.4.2. Prise en compte des dimensions de l’équivalence

Les quatre dimensions de l’équivalence sont prises en compte dans les EAM de

trois principales manières : avec des indicateurs permettant de caractériser la biodiversité

des sites, avec des ratios surfaciques et/ou à l’aide d’outil de modélisation. La manière

dont les dimensions de l’équivalence seront traitées a été choisie en cohérence avec les

objectifs et les contraintes techniques et temporelles des travaux de thèse.

Dimension écologique

Un des objectifs du cadre méthodologique est de pouvoir être utilisé dans de

nombreux cas de projets d’aménagement impliquant des impacts et des compensations

sur divers milieux sur l’ensemble du territoire métropolitain. Le format le plus adéquat

serait alors un cadre méthodologique généraliste, qui puisse être adapté quels que soient

la région et le milieu concernés. Au regard de la spécificité de chaque milieu, nous avons

cependant jugé plus pertinent de proposer une approche « mixte », qui intègrerait des

éléments d’évaluation spécifiques dans un canevas plus généraliste. Au vu du temps

imparti pour ces travaux de thèse, il a été décidé de restreindre l’approfondissement des

éléments spécifiques aux milieux forestiers et zones humides (faisant l’objet de

règlementations spécifiques et donc plus particulièrement concernés par les mesures

compensatoires) ainsi qu’aux milieux prairiaux pour lesquels des travaux sur l’état de

conservation ont été réalisés au regard de leur fort intérêt écologique (Bensettiti et al.

2012).

Dimension spatiale

L’intégration des sites dans le paysage environnant sera prise en compte grâce à

des indicateurs dédiés, qui permettront notamment d’évaluer les connectivités

écologiques, et plus globalement l’insertion des sites impactés et compensatoires dans un

contexte paysager. En France, la définition des Trames Vertes et Bleues (suite aux lois

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Grenelles ; Boy et al. 2012) a, en effet, renforcé l’importance de la protection de zones de

corridors écologiques pour le maintien des populations faune et flore notamment dans le

contexte d’adaptation au changement climatique.

Dimension temporelle

La notion de temps est complexe à prendre en compte dans une EAM du fait que

le développement des écosystèmes s’étale sur plusieurs années, voire dizaines d’années (il

faudra par exemple des centaines d’années pour passer d’un stade pionnier à un milieu

forestier ; Oliver & Larson 1996). Le seul moyen d’effectivement réduire ou supprimer

les pertes intermédiaires est de mettre en place les mesures compensatoires avant que les

impacts n’aient lieu, à hauteur du temps nécessaire pour que l’écosystème compensé

retrouve un niveau de diversité similaire à celui détruit (ce qui apparait fortement

problématique pour un milieu forestier mature). Cela implique d’évaluer le niveau de

maturité de l’écosystème considéré et d’en connaitre sa dynamique. La dimension

temporelle sera donc prise en compte à l’aide d’indicateurs de maturité et de dynamique

dans le cadre méthodologique, ce qui permet d’avoir une notion du temps nécessaire au

développement de l’écosystème, et à dire d’expert pour la prédiction de la valeur des

indicateurs après impacts et compensation.

Incertitudes

La prédiction des pertes et des gains de biodiversité s’accompagne d’incertitudes

qui peuvent amener à sous-estimer les impacts du projet et/ou surestimer les bénéfices

apportés par les mesures compensatoires amenant ainsi à une perte nette de biodiversité.

Afin de les réduire au maximum, nous proposons d’attribuer au calcul des pertes et des

gains de biodiversité un certain taux d’incertitude. Il ne se traduira pas systématiquement

par une augmentation de surface du site compensatoire, mais sur un renforcement des

objectifs de gestion et de suivi permettant d’intervenir au besoin pour atteindre les

objectifs (de type « adaptative management » ; Keith et al. 2011). Il est actuellement basé

sur un retour d’expérience du succès de mesures compensatoires réalisées en Isère ainsi

que sur des bases bibliographiques et se concrétisera par l’identification de facteurs

influençant le succès des mesures mises en place. L’incertitude pourra à l’avenir être

réduite si des bases de données de portée nationale se développent (voir 3.3.).

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3.4.3. Combinaison des trois défis

Les critères d’opérationnalité, de bases scientifiques et d’exhaustivité utilisés pour

l’évaluation des EAM ont été renseignés pour le cadre méthodologique à développer afin

de répondre au mieux aux objectifs fixés et de faire les meilleurs compromis possibles

(Tableau 3). Avec les modalités ainsi fixées, le cadre méthodologique a une note finale

(moyenne des notes des trois défis) de 77,47%. Cette note est plus élevée que celle des

EAM étudiées (voir Annexe 2D). Le cadre méthodologique combine donc théoriquement

mieux les trois défis avec les modalités choisies.

Tableau 3 : Notation du cadre méthodologique à développer selon les trois défis. Le critère en italique

n’est pas utilisé pour l’évaluation des EAM mais adapté au cadre méthodologique.

Les bases scientifiques et l’exhaustivité sont atteintes à plus de 85 % tandis que

l’opérationnalité à 60 %. Le cadre méthodologique n’a en effet pas vocation à être une

méthode rapide d’évaluation (voir les RAM – Rapid Assessment Method qui sont très

opérationnelles ; Fennessy et al. 2007), mais plutôt un cadre standardisé utilisé au fur et à

mesure des études d’impact et des diverses autres procédures (dérogations espèces

protégées, incidences loi sur l’eau…) afin d’accompagner au mieux la conception de

mesures compensatoires équivalentes aux impacts. La durée de récolte des données doit

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donc être adaptée au temps nécessaire pour réaliser les inventaires (selon le nombre

d’espèces à prospecter les inventaires peuvent s’étaler sur plusieurs mois) impliquant une

faible rapidité d’implémentation globale. Les indicateurs n’ont pas de système de notation

et ont des métriques uniquement quantitatives, ce qui permet de garder une information

précise et objective mais altère un peu l’opérationnalité. Il sera donc important de tester

le cadre méthodologique sur des cas concrets, afin de déterminer si une combinaison de

bases scientifiques et exhaustivité n’entrave pas la réelle opérationnalité.

4. Conclusion

L’étude d’EAM existantes à l’international a permis de définir des bases sur

lesquelles développer le cadre méthodologique en accord avec nos objectifs et les

contraintes liées à la thèse. Celui-ci sera adapté au contexte règlementaire et écologique

français et combinera au mieux opérationnalité, bases scientifiques et exhaustivité. La