PARTIE II – OFFRE DE REPRISE DANS LE CADRE D'UN PLAN DE CESSION
A-‐1 ) A CQUISITION DES DROITS SOCIAUX
Pendant la période d'observation, l'acquisition des droits sociaux nécessite tout d'abord de
convaincre les anciens actionnaires, mais également le Tribunal, puisqu'il faut son accord
préalable107. A défaut d'accord amiable, une procédure rare de cession forcée peut également intervenir.
107 Uniquement lors d'un redressement judiciaire. Aucune autorisation n'est nécessaire en procédure de sauvegarde.
Acquisition des droits sociaux (à tout moment)
Acquisition des droits
sociaux (à tout moment) Consultation des créanciers
30 jours Convocation du greffe 2 semaines Délibéré du Tribunal 1 à 2 semaines Jugement arrêtant le plan
Présentation du plan de continuation = 2 ½ mois Audience de présentation
du plan
Plan de continuation Jugement
d'ouverture
une audience tous les 2 à 6 mois env. 3 à 6 audiences pendant la
période d'observation
Durée approximative de la période d'observation si plan de continuation ≈ 12 mois Acquisition des droits
sociaux (à tout moment)
Reprendre une entreprise à la barre du Tribunal – Guide pratique pour l'expert-‐comptable du repreneur 81 (a) Autorisation du Tribunal
A compter du jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, tous les
titres ou valeurs mobilières de la société sont versés sur un compte spécial bloqué et tout
mouvement devra faire l'objet d'une autorisation du Juge-‐Commissaire108.
De plus, et seulement pour les droits sociaux détenus directement ou indirectement par le
dirigeant de droit ou de fait, c'est à l'issue d'une audience en chambre du conseil que le Tribunal délibèrera sur les conditions de cette cession109.
Dans ces conditions, deux solutions s'offrent au repreneur :
§ soit solliciter cette autorisation dès les premiers mois de la période d'observation afin de se faire connaître du Tribunal et pouvoir travailler en amont avec les
organes de la procédure sur le redressement de l'entreprise. Cette solution, qui a
l'avantage de permettre au repreneur d'avoir les mains libres pour gérer la restructuration, présente néanmoins le risque de froisser le Tribunal qui pourrait
considérer comme un opportuniste le candidat à la reprise qui attendait le dépôt de bilan pour mettre la main sur la société110,
§ soit conditionner sa participation au capital à l'arrêté du plan de continuation :
en effet, quel est l'intérêt d'acquérir des titres si le Tribunal refuse le plan de continuation ? Cette solution a le double avantage de permettre au candidat à la reprise de pouvoir
travailler avec le gérant en place sur le plan de continuation et de bénéficier d'un rôle de "chevalier blanc" qui apporte bénévolement son expertise pendant la période
d'observation. Cela peut également donner au plan de continuation un gage de sérieux et éventuellement de solidité financière si un engagement de recapitalisation est donné. Pour autant, dans cette situation, le repreneur ne bénéficie d'aucune sécurité juridique sur le
rachat ultérieur des droits sociaux. En effet, il est possible que les anciens actionnaires
voyant le redressement se profiler, choisissent de ne plus céder leurs titres.
Dans les deux cas, c'est au repreneur de prendre l'initiative de rencontrer l'Administrateur Judiciaire pour expliquer, en toute transparence, sa démarche et sa
108 C. com. art. L.631-‐19-‐1 : le Juge-‐Commissaire devra être saisi par requête et ce dernier rendra une ordonnance autorisant ou pas le mouvement de titres
109 C. com. art. L.631-‐10 : le Tribunal devra rendre un jugement qui autorise ou pas le dirigeant à céder ses titres 110 Un rachat des titres et le changement de gérance avant la déclaration de cessation des paiement peut dans certains cas être préconisé pour avoir la légitimité aux yeux du Tribunal, même s'il y a là-‐aussi des inconvénients (nullité de la période suspecte, notation Banque de France du repreneur qui dépose le bilan…)
stratégie pour l'entreprise. Ce n'est qu'ensuite que ce professionnel rédigera un rapport et
présentera cette solution de reprise au Tribunal.
L'autorisation du Tribunal n'est régie par aucune condition législative particulière. Le
sérieux et la solidité financière du projet sont donc les principaux critères des juges. Par
ailleurs, s'il existe des risques que l'entreprise n'atteigne pas son point mort pendant la période d'observation, il n'est pas rare que l'Administrateur Judiciaire demande au repreneur des garanties ou des engagements, notamment pour couvrir les éventuelles
dettes générées pendant la période d'observation111.
Il est important de rappeler ici que, contrairement à l'offre de reprise via un plan de cession, aucune interdiction ne s'impose quant à la qualité du repreneur. Aussi, le repreneur peut être la famille proche des dirigeants, un contrôleur ou encore l'équipe dirigeante.
Pour rappel, la cession de titres en procédure de sauvegarde est régie par le droit
commun sans intervention du Tribunal.
(b) Négociations avec les actionnaires
Mise à part l'autorisation du Tribunal, la cession des droits sociaux suit les règles de droit
commun112 en matière juridique, fiscale et comptable.
C'est donc lors de la phase de négociation que sera fixée l'ensemble des conditions d'acquisition des droits sociaux. Les clauses habituelles peuvent être intégrées au contrat de cession comme notamment :
§ Complément de prix (clause dite de earn-‐out) : relativement peu utilisée en matière de procédure collective, le repreneur peut y avoir recours pour d'une part, limiter le prix payé up-‐front, et d'autre part, pour faciliter l'accompagnement de la reprise,
§ Garantie de passif : dans la mesure où le passif est rapidement connu113 et que le
prix de cession se négocie souvent à un prix symbolique, la garantie de passif n'est en général pas évoquée dans ce type de reprise,
111 Ce fut notamment le cas dans deux dossiers que j'ai traités :
-‐ Dossier où la société avait demandé la liquidation et c'est à la demande du repreneur qu'un redressement judiciaire a été ouvert en contrepartie de cette garantie de couverture des dettes de la période d'observation -‐ Dossier où le maintien de l'activité profitait au repreneur pressenti
112 Conformément au droit commun, la cession de parts sociales ou d’actions suppose un consentement valable et la capacité requise dans la personne du cédant et celle du cessionnaire, un prix déterminé ou déterminable selon des critères objectifs.
Reprendre une entreprise à la barre du Tribunal – Guide pratique pour l'expert-‐comptable du repreneur 83 § Autres : les clauses d'agrément114 et/ou de préemption figurant dans les statuts ou
les pactes d'actionnaires continuent à s'appliquer en procédure collective. Il y a donc lieu d'obtenir leur levée.
De plus, il convient d'intégrer dans le contrat de cession une condition suspensive relative
à l'autorisation du Juge-‐Commissaire ou du Tribunal.
La difficulté de la négociation réside avant tout dans la dimension psychologique de la discussion. En effet, les anciens actionnaires sont face à un échec qu'ils croient dans la
plupart du temps pouvoir surmonter. Il faut donc qu'ils fassent le deuil de cette déconvenue dans laquelle ils ont pu investir significativement tant en termes de temps que d'argent.
Aussi, à plusieurs reprises, j'ai été, dans ma vie professionnelle, confronté au refus pur et
simple des anciens actionnaires. A chaque fois, la raison du refus ne concernait pas le prix
proposé mais relevait plus d'un conflit entre actionnaires, d'un désintérêt pour la société, ou bien au contraire d'un dirigeant-‐fondateur extrêmement attaché à sa société.
Les exemples d'acquisition de droits sociaux concernent des dossiers où la dimension psychologique est moins présente comme avec des fonds d'investissement ou avec des filiales de groupe. D'ailleurs, dans ces derniers cas, il n'est pas rare que le prix de cession
soit négatif, c'est à dire que le cédant verse une "soulte" au cessionnaire115.
L'argumentaire du repreneur s'adaptera donc à son interlocuteur et à son intérêt en tant qu'actionnaire, d'où la possibilité d'évoquer :
§ L'image de marque des anciens actionnaires peut être quelque peu ternie par une
procédure collective, un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui se passe mal, un redressement qui n'aboutit pas favorablement…
§ Les risques de sanctions sont bien évidement moindres pour les dirigeants si un plan de continuation est accordé116.
113 Dans les 2 mois de la période d'observation pour les créanciers français et 4 mois pour les créanciers
étrangers
114 Dans le cas spécifique où le plan de continuation prévoit une modification du capital, l'article L.626-‐3 du Code de Commerce stipule que "les clauses d'agrément sont réputées non écrites".
115 Cette "soulte" peut avoir pour objet de couvrir, par exemple, tout ou partie de la restructuration et pour éviter d'avoir à liquider purement et simplement la filiale d'un groupe international avec toutes les conséquences financières, sociales et de notoriété que cela génère.
116 L'action en comblement de passif ne peut être diligentée qu'en cas de clôture de la procédure pour insuffisance d'actif.
§ Les moyens de rétorsion117 dont le Tribunal dispose sont :
o à la demande du Ministère Public, le Tribunal peut imposer le remplacement d'un ou plusieurs dirigeants de l'entreprise,
o de même, il peut être décidé l'insaisissabilité des droits sociaux des dirigeants, rendant leurs investissements illiquides,
o ou bien, une cession forcée des droits sociaux peut être ordonnée à un prix fixé à dire d'expert.
En revanche, le Tribunal ne peut imposer une cession forcée ou une augmentation de capital à un actionnaire non dirigeant. Pour autant, le Tribunal a le pouvoir de refuser le
plan de continuation si les actionnaires ne font pas d'efforts pour reconstituer les capitaux propres. Par exemple, les actionnaires peuvent accepter d'abandonner ou de
postérioriser leurs comptes courants au remboursement intégral du passif ou bien autoriser l'apport de nouveaux fonds par un tiers.
Malgré tous ces arguments de bons sens, l'acquisition des droits sociaux reste difficile, surtout si le repreneur ne souhaite y consacrer qu'un prix symbolique.
A-‐2 ) D
EROULEMENT DE LA PERIODE D'
OBSERVATION(a) Collaboration avec l'Administrateur Judiciaire
La période d'observation est le moment privilégié pour le repreneur de prendre ses
marques, restructurer l'entreprise et identifier les leviers du retournement.
Toute cette phase se déroule sous la surveillance (en sauvegarde) ou l'assistance (en
redressement judiciaire) de l'Administrateur Judiciaire. Ce dernier est le principal interlocuteur. Il suivra au quotidien l'évolution du dossier, essayera de trouver des solutions aux difficultés rencontrées, contresignera les règlements118, élaborera des
rapports pour le Tribunal, exposera en audience le déroulement de la période d'observation, travaillera à l'élaboration du plan de sauvegarde ou du plan de continuation et participera aux éventuelles négociations avec les co-‐contractants ou les principaux créanciers.
Une bonne collaboration entre le repreneur et l'Administrateur Judiciaire est indispensable à la réussite d'un dossier.
117 C. com. art. L.631-‐19-‐1 al. 1 et 2 118 Uniquement en redressement judiciaire