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La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : une

Section 1. Les organes communautaires : une architecture

F. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : une

Il faut désormais se pencher plus en avant sur le pouvoir judiciaire au sein de l’Union Européenne, dévolu à la CJUE. En un sens, elle est sans doute plus importante que ses homologues nationales, puisqu’elle donne sa couleur à tout le droit de l’Union, qui sera suivi par les juridictions de tous les Etats membres. Ses décisions couvrent tous les citoyens européens.

Elle harmonise et adapte le droit au gré des affaires qui se présentent à son jugement. A travers sa jurisprudence, c’est une certaine vision de la justice européenne qui est traduite. Tout son pouvoir d’interprétation du droit communautaire dépend des saisines dont elle fait l’objet. Son rendu de décisions en matière sociale allant croissant, il est absolument crucial de suivre la jurisprudence qu’elle développe.

Le principe majeur du droit communautaire est sa primauté sur les droits nationaux. Les pères fondateurs l’ont conçu comme le ciment de la construction communautaire et comme une façon pour chacun de retrouver ainsi un peu de la souveraineté nationale transférée, par le respect par tous de la décision prise en commun. Dès 1964, dans un arrêt « Costa c/Enel », la Cour

s’est appliquée, non sans difficultés toutefois, à le faire reconnaître par les Etats membres.

La Cour de justice de l’Union européenne (ex-CJCE) veille au respect de la législation européenne. Elle interprète la législation européenne pour en garantir l’application uniforme dans tous les pays de l’Union. Elle statue aussi sur les différends entre gouvernements des Etats membres et institutions de l’Union européenne. Des particuliers, des entreprises ou organisations, donc des syndicats, peuvent saisir la CJUE s’ils estiment qu’une institution de l’Union n’a pas respecté leurs droits (voir en ce sens la section consacrée à la transposition).

La Cour de justice compte un juge par État membre, et 8

« avocats généraux » qui présentent des avis sur les affaires soumises à la Cour. Tous sont nommés pour un mandat renouvelable de six ans, par les gouvernements des États membres.

Afin d'aider la Cour de justice à traiter le grand nombre d'affaires qui lui sont soumises, et d'offrir aux citoyens une meilleure protection juridique, un Tribunal a été créé pour rendre des décisions en première instance, sur les recours introduits par des personnes physiques, des entreprises et certaines organisations, ainsi que dans les affaires de concurrence67. En outre, un Tribunal de la fonction publique statue sur les différends opposant l'Union aux membres de son personnel – c’est une forme de Tribunal administratif européen.

5 types de recours sont envisageables devant la CJUE :

67 … Pour lesquelles, par ailleurs, la Commission a un pouvoir législatif direct et autonome.

Les demandes en renvoi préjudiciel sont formulées par les juridictions nationales lorsqu’elles nécessitent d’éclaircir un point de droit communautaire : elles n’ont pas l’obligation juridique de le faire (sauf dans certains cas). En imaginant que le droit communautaire soit correctement transposé (et dans les délais) dans tous les Etats membres, des divergences entre cultures jurisprudentielles peuvent conduire à des divergences d’interprétation de la lettre communautaire. Par contre, une fois la décision rendue par la CJUE, les juridictions nationales doivent se tenir à la décision rendue.

Dans l’affaire Kücükdeveci (C-555/07, 19 janvier 2010), la Cour d’appel de Düsseldorf a posé une question préjudicielle à la Cour, pour savoir si la loi allemande qui prévoit qu’en cas de rupture du contrat de travail, la durée du préavis est calculée en fonction de l’ancienneté acquise après l’âge de 25 ans, doit être considérée comme contraire à la Directive 2000/78CE qui interdit les discriminations à raison de l’âge. La CJUE a répondu que la disposition allemande constituait une discrimination à raison de l’âge, prohibée par le droit de l’UE. En conséquence, toute disposition nationale contraire doit rester inappliquée.

Les recours en manquement sont introduits à l’encontre des gouvernements des Etats membres qui ne s'acquittent pas des obligations imposées par la législation européenne. C’est la Commission qui peut entamer cette procédure (en principe, les Etats peuvent se « dénoncer » entre eux, mais cette solution diplomatiquement discutable n’est pas utilisée en pratique). En cas de manquement, l’Etat doit impérativement se conformer à la décision rendue (il peut être condamné au paiement d’une amende). La France en fait souvent les frais lorsque les délais de transposition d’une directive sont dépassés.

Dans un arrêt Commission c/Grèce, affaire 70/86, 17 septembre 1987, la CJCE a estimé que des circonstances relatives à une grève générale,

prévue à l’avance, étaient prévisibles. L’Etat membre n’a pas pu justifier son omission des obligations qui lui incombent en vertu du traité.

Les recours en annulation sont introduits à l'encontre d'actes législatifs européens qui sont pris en violation des traités de l'UE ou des droits fondamentaux. Les demandeurs à l’instance peuvent être un Etat membre, le Conseil, la Commission, le parlement, ou toute personne physique qui s’estimerait directement et individuellement lésée.

Attention : l’abstention d’une institution européenne ne donne pas naissance à une décision implicite (CJCE, 13 juillet 2004, Commission c/Conseil). En outre, « Les sujets autres que le destinataire d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue a celle du destinataire » (CJCE 15 juillet 1963, Plaumann &

Co c/ Commission).

Les recours en carence sont introduits à l'encontre des institutions de l'UE qui ne se conforment pas à l'obligation de prendre certaines décisions. Le Traité impose au Parlement européen, au Conseil et à la Commission de prendre certaines décisions dans certaines circonstances. S'ils ne se conforment pas à cette obligation, les États membres, les autres institutions de l'Union et, dans certaines conditions, des personnes physiques ou des entreprises peuvent saisir la Cour afin d'obtenir la reconnaissance officielle de cette carence.

C’est sur ce fondement qu’en 1982 et en 1993, le Parlement européen a introduit des recours en carence contre respectivement le Conseil puis la Commission. Dans le premier cas, il lui reprochait d’avoir négligé de fixer le cadre de la politique commune des transports ; dans

le second, elle constatait la carence de présentation des propositions nécessaires à l’établissement de la libre circulation des personnes dans le Marché intérieur.

Les recours en action directe sont introduits par des personnes physiques, des entreprises ou des organisations contre certaines décisions ou actions de l'UE, voire certaines inactions qui auraient entraîné un dommage.

Les décisions rendues par la CJUE sont d’une grande importance première. Le principe général est le suivant : la Cour de justice de l’UE œuvre en faveur de l’intégration du droit communautaire dans les systèmes de droit nationaux (le Juge national pouvant, à revers, recourir à l’interprétation « à la lumière du droit de l’UE » à l’appui de toutes ses décisions.

C’est l’invocabilité d’interprétation).

Encadré : plusieurs arrêts fondateurs

CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos : affirmation du principe de l’effet direct du droit communautaire en droit interne.

CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/Enel : la solution qui renforce l’intégration supranationale doit toujours prévaloir ; le droit communautaire, qui forme un ordre juridique propre est d’application immédiate ; il prime sur les autres normes de droit.

CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste « Les Verts » : les traités constituent la « Charte constitutionnelle » du droit communautaire.

Les droits internes doivent lui être conformes. Cette primauté vaut aussi pour le droit communautaire dérivé (directives, règlements…) par rapport au droit constitutionnel des Etats membres.

Quelques exemples de décisions éclairent cette force de la jurisprudence communautaire. Dans les récents arrêts Laval et

Viking68, la Cour avait, dans les deux affaires, mis en balance deux libertés fondatrices de l’Union : une liberté économique (d’entreprendre dans un cas, d’établissement dans l’autre), et une liberté syndicale (action collective)69.

Dans l’affaire Laval, les syndicats suédois ont entrepris une action contre Laval, société de construction lettonne, sur les conditions de travail des travailleurs lettons qui effectuaient des travaux de rénovation dans une école de la ville de Vaxholm.

Laval refusant de signer une convention collective, un barrage à l’accès aux lieux de travail a été mis en œuvre par les syndicats. La Cour de travail suédoise a renvoyé l’affaire devant la Cour de Justice de l’Union européenne.

Selon son jugement, il apparaît que le droit de grève est un droit fondamental mais pas aussi fondamental que le droit pour les entreprises de fournir des services transfrontaliers. Le jugement revient à autoriser le dumping social. Les caractéristiques essentielles des systèmes nationaux de relations industrielles apparaissent comme étant supplantées par les dispositions sur la libre circulation.

Dans l’affaire Viking, la Cour devait trancher sur la relation existant entre les règlements de libre circulation, un droit garanti par le Traité instituant la Communauté européenne, et les droits fondamentaux des travailleurs de mener des actions collectives, y compris des actions syndicales collectives et des grèves.

68 Affaires « Viking c/ITWF » et « Laval c/Byggnads » du 11 et du 18 décembre 2007.

69 Cette dernière est reconnue par l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux incluse au Traité, les articles 12 et 13 de la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, et les articles 136 et 140 du TCE et 156 du TFUE (Traité de Lisbonne).

Viking Line est une compagnie finlandaise de transport de passagers. Elle est propriétaire d’un ferry, qui bat pavillon finlandais et avait un équipage essentiellement finlandais qui était couvert par une convention collective négociée par le syndicat des marins finlandais. L’action en justice a commencé lorsque Viking a décidé qu’il serait préférable que ce ferry soit enregistré comme bâtiment estonien, avec un équipage de marins estoniens au salaire moins élevé.

La CJUE reconnaît bien le droit de mener des actions collectives, tel qu’il est garanti par le droit international et communautaire.

« Le droit de mener une action collective ayant pour but la protection de l’État d’accueil contre une éventuelle pratique de dumping social peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général ». Mais elle n’en fait pas application en pratique : la directive concernant le détachement de travailleurs n’obligeait pas les prestataires de services étrangers à respecter les normes de travail au-delà du salaire minimum. Le fait que la convention collective en cause n’était pas de niveau national n’est pas retenu par la Cour comme un élément lui donnant un caractère d’intérêt général. Elle conclue : l’action collective entreprise avait pour effet de rentre moins attractif ou plus difficile, les travaux de construction en Suède. Elle constituait donc… une restriction à la libre prestation de services.

La Cour avait par là-même semblé instaurer une hiérarchie des politiques communautaires, plaçant en tête les libertés du marché, reconnues comme des droits fondamentaux. La négociation et l’action collective sont reconnues comme des droits fondamentaux mais l’exercice de ces droits est à la fois considéré comme une entrave à la libre circulation, sauf s’il est justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général telles que la protection des travailleurs contre le dumping social, et s’il est

« proportionnel ». Dans les cas Laval et Viking, la CJUE conteste donc aux syndicats non seulement le principe d’égalité vis-à-vis

des entreprises européennes mais viole également les droits fondamentaux tels qu’inscrits dans les constitutions et réglementations nationales, dans l’article 28 de la Charte des Droits fondamentaux et dans de nombreux instruments juridiques internationaux.

Pour FO, le problème est simple : bien que les conditions d’exercice du droit à l’action collective soient définies au niveau national, les raisons qui conduisent les syndicats à envisager une action collective dépassent de plus en plus les frontières nationales. La mobilité croissante des entreprises dans un marché élargi peut, en l’absence d’un dialogue social sérieux et d’une réglementation appropriée, représenter une menace pour la protection des travailleurs dans toute l’Europe.

Cependant, il faut aussi insister sur le caractère progressiste que revêt à l’occasion la CJUE en matière de droits sociaux. Elle permet alors de faire avancer les droits nationaux, en imposant de fait un alignement de la jurisprudence nationale sur ses propres décisions. Cela a notamment été le cas en matière d’égalité des chances, particulièrement en termes d’égalité hommes-femmes70.

Un autre exemple, dans un arrêt du 21 juin 2012, la Cour a reconnu qu’une disposition nationale ne peut pas empêcher un travailleur dont l’incapacité de travail survient pendant sa période de congés payés, de bénéficier de ce congé après la fin de la période d’incapacité de travail.

Des syndicats de salariés espagnols avaient formé des recours collectifs visant à faire reconnaître, aux salariés soumis à la convention collective des grands magasins, le droit de

70 Article 119 du traité de Rome, par exemple.

bénéficier de leur congé annuel payé quand bien même ce dernier coïnciderait avec une incapacité de travail.

Dans sa décision, la Cour rappelle que le droit au congé payé annuel de chaque travailleur est un principe du droit social de l’Union européenne revêtant une importance particulière (d’ailleurs consacré par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle a la même valeur que le traité). Il ne peut pas être interprété de manière restrictive. Elle ajoute que la finalité du droit au congé annuel payé implique que le travailleur en congé maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a droit, à sa demande, au bénéfice effectif de ce congé et ainsi de le prendre à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé maladie.

C’est la solution que prônait FO depuis longtemps71. Elle avait soulevé que la législation française se trouvait sur la question des congés payés en désaccord total avec le droit européen72. Dans un autre arrêt daté du 18 janvier 2007, la CJUE avait reconnu qu’on ne pouvait pas exclure les salariés de moins de 26 ans du calcul des effectifs des entreprises. Dans cette affaire, c’est 5 organisations syndicales françaises, dont FO, qui avaient formé un recours visant à l’annulation de l’ordonnance du 2 août 2005, aux termes desquels les salariés de moins de 26 ans ne seraient plus pris en compte dans le calcul des seuils sociaux, afin de favoriser l’embauche de ce type de public. Sur le fondement des directives 98/59/CE et 2002/14/CE concernant respectivement les licenciements collectifs et l’information et la consultation des travailleurs, la Cour avait estimé que ces dernières s’opposaient à ce qu’une « règlementation nationale » puisse exclure « fût-ce temporairement, une catégorie

71 Force Ouvrière, Chronique juridique du vendredi 6 juillet 2012.

72 InFOjuridiques n°77 mars-mai, p. 33

déterminée de travailleurs du calcul du nombre de travailleurs employés ».

Sur ce point encore, la Cour a donné gain de cause aux organisations syndicales : une égalité de traitement des salariés qui permet d’appliquer de manière pleine et entière les droits collectifs des salariés auxquels ils ont légitimement droit (Le seuil de 50 salariés implique la désignation de délégués syndicaux, la constitution d’un comité d’entreprise, d’un CHS-CT, une procédure différente de licenciement pour motif économique…)

Bon nombre d’autres arrêts ont permis de faire avancer la marche du droit social, sur laquelle ont dû se calquer les dispositions nationales. Ainsi, la CJUE a défendu une position particulièrement innovante en termes de droit du temps travail, reconnaissant le temps de garde comme temps de travail effectif. Selon la directive 93/104/CE du 23 novembre 1993 sur l'aménagement du temps de travail, le temps qui n'est pas du temps de repos est considéré comme du temps de travail, que la personne travaille activement ou soit en veille, prête à intervenir. Cette directive intéresse le système français des heures d'équivalence utilisé par exemple dans les secteurs de la santé, médico-social, hôtels, cafés-restaurants, transports routiers, etc.

Selon la CJCE, la directive « doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à la réglementation d'un État membre qui, s'agissant des services de garde que les travailleurs de certains établissements sociaux et médico-sociaux accomplissent selon le régime de la présence physique sur le lieu même de travail (le temps de garde), prévoit, pour les besoins du décompte du temps de travail effectif, un système d'équivalence tel que celui en cause au principal, lorsque le respect de l'intégralité des prescriptions minimales édictées par cette directive en vue de

protéger de manière efficace la sécurité et la santé des travailleurs n'est pas assuré ». Autrement dit, la CJCE estime que les heures de présence doivent être comptabilisées intégralement en tant qu'heures de travail lorsqu'il s'agit de vérifier le respect de toutes les prescriptions minimales édictées par la directive 93/10473.