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2.2 Vibrations de tuyauterie induites par l’écoulement

2.2.4 Couplages dans le système fluide-structure

La turbulence établie dans les longs conduits droits ne transmet généralement pas assez d’énergie cinétique aux parois mouillées pour provoquer des vibrations importantes de la tuyauterie. Toutefois, au passage des coudes ou des changements de section, par exemple, la turbulence s’organise dans des structures cohérentes dont les longueurs de cor- rélation ont tendance à être supérieures aux longueurs associées à la turbulence développée de conduits droits. Ces structures se traduisent ainsi en une source non négligeable d’exci- tation des modes de vibration de la structure de la tuyauterie.

La turbulence organisée dans des structures cohérentes est capable d’exciter di- rectement les parois fines de la tuyauterie avant de dissiper son énergie et disparaître à environ une dizaine de diamètres en aval de la singularité qui les a générées. Cette mani- festation locale de l’excitation est souvent moins importante que la source acoustique asso- ciée à ces structures. Les ondes planes issues de la région située en aval des singularités (et amplifiées par les modes acoustiques du système) n’y sont pas limitées et impactent la structure même à des points situés à des distances importantes de leur source. L’excitation locale ainsi que l’excitation acoustique ont leurs origines dans les fluctuations du champ de

pression en aval des singularités et sont ainsi corrélées ; néanmoins, elles ne décrivent pas entièrement l’excitation fluide. Les vibrations de la structure remplie de fluide peuvent ré- sulter en une nouvelle source acoustique, couplant la réponse vibratoire à l’excitation, phé- nomène qu’on appellera Couplage Acoustomécanique.

Hambric et al. (59) prennent en compte ce couplage pour le calcul des densités spectrales de puissance à utiliser comme terme source dans un modèle de calcul de la ré- ponse vibratoire d’un coude dû à l’écoulement fluide turbulent. Les auteurs se servent des propriétés statistiques du calcul stationnaire (RANS) sur le coude pour estimer les densités spectrales de puissance des efforts appliqués par le fluide sur les parois du conduit autour de la courbe (Peltier et Hambric (55)). Leur méthode applique les spectres croisés de l’ex- citation turbulente sur les parois à la fois à un modèle éléments finis de la structure du conduit coudé et à un modèle d’éléments de contour discrétisant les limites du domaine fluide pour obtenir enfin le spectre de l’excitation couplée. Les auteurs font néanmoins l’hypothèse que les vibrations de la tuyauterie ont un effet négligeable sur le champ de pression induit directement par la couche limite turbulente, ce qui leur permet de calculer les densités spectrales croisées du champ de pression à partir d’un maillage structurel fixe. L’hypothèse que les vibrations des parois ne modifient pas l’écoulement turbulent local peut se justifier par le fait que les déplacements de la paroi sont généralement très petits en comparaison avec l’épaisseur des couches limites retrouvées dans les conduits. Cette simplification permet ainsi de découpler le calcul du champ de pression dû directe- ment au fluide du calcul de réponse vibratoire de la structure, même si les deux seront couplés ensuite de façon acoustomécanique.

Pour prendre en compte le couplage entre le champ turbulent de pression et les mouvements de la paroi, des méthodes couplées de calcul instationnaires existent et sont basées dans le transfert périodique d’information sur le champ de pression entre le domaine fluide et le domaine solide au niveau de l’interface (les parois mouillées). Dans ces cas, un maillage déformable peut être utilisé, permettant de résoudre, à chaque pas de temps ou chaque itération, les déplacements la structure dus au champ de pression issu du calcul fluide. L’information mise à jour sur les conditions aux limites solides est ensuite renvoyée au calculateur fluide, qui passera au pas de temps suivant. Melville et al. (60), Wong and Tsai (61) et Chen et al. (62) présentent des exemples de ces calculs couplés, surtout pour les vibrations de profils d’aile en écoulement.

Un autre couplage possiblement présent dans des écoulements à haut nombre de Reynolds se caractérise par une instabilité de la couche limite sous action du champ acous- tique par elle générée, en présence de parois. Rossiter (63) a été le premier à observer un couplage aéroacoustique entre le sillage formé dans le bord amont d’une cavité soumise à un écoulement à haut nombre de Mach subsonique et à développer un modèle décrivant le mouvement des tourbillons dans la couche de mélange et leur impact sur le bord aval de la cavité. Les oscillations du champ de vitesse dans le bord de la cavité peuvent ainsi induire un champ acoustique qui sera amplifié, aux fréquences de résonance caractéristiques de la géométrie de la cavité, et impactera l’écoulement sur son bord, générant une instabilité auto-entretenue (Chatellier et al. (64)).

Axisa (65) considère que ce couplage peut être négligé pour les écoulements de fluides lourds dans des réseaux de tuyauteries, de manière à ce que le champ de vitesse turbulent ne soit pas affecté par les ondes planes établies dans le système. L’auteur propose que la prise en compte de la présence du fluide vis-à-vis du calcul de réponse vibratoire se traduise seulement par un couplage inertiel et par un couplage acoustomécanique au niveau des singularités. Tout d’abord on peut regarder le fluide comme une masse ajoutée qui vient modifier la base modale de la structure seule. En effet, même si le fluide à l’intérieur des tubes est considéré incompressible et en repos, les effets inertiels sont les premiers à tra- duire l’influence de la présence du fluide dans le système.

En addition aux effets inertiels, un couplage acoustomécanique a lieu au niveau des changements de direction et de section offerte au fluide dans la tuyauterie. Cela veut dire que les ondes planes établies dans la tuyauterie exercent un effort de press ion sur les parois au passage de ces singularités ; les parois, à leur tour, se déplaceront de façon à introduire un débit supplémentaire dans le circuit, engendrant ainsi des nouvelles fluctua- tions de pression. Cet ajout de débit traduit le couplage acoustomécanique dans la tuyaute- rie. Ces couplages sont brièvement exposés dans les sections suivantes pour fournir des éléments utiles à la discussion qui clôtura le présent chapitre.

2.2.4.1 Couplage inertiel : la matrice de masse ajoutée

La présence d’un fluide modifie le comportement vibratoire de la structure. D’un point de vue inertiel (on considère le fluide incompressible), les mouvements des parois entraînent une certaine masse du fluide, ce qui augmente l’énergie cinétique du système couplé et donne origine au concept de masse ajoutée ; elle peut être inférieure, égale ou même supérieure à la masse réelle du fluide présent dans le système.

Lorsque plusieurs structures vibrent au contact d’un même volume fluide (surtout les liquides), leurs vibrations sont couplées par l’inertie du fluide, la pression fluctuante devenant une combinaison linéaire des pressions qui seraient induites par le mouv ement de chacune des structures prise isolément. La projection sur la base modale de la structure sans fluide permet de représenter le couplage inertiel par moyen d’une matrice de masse ajoutée symétrique et définie positive. Sur une paroi 𝒫 mouillée par un fluide, nous avons la con- dition aux limites :

𝑿̇. 𝒏|𝒫= 𝒀̇. 𝒏|𝒫 (2.22)

où 𝑿̇ et 𝒀̇ désignent la vitesse du fluide et de la structure, respectivement, et 𝒏 est le vecteur normal à un point courant de la paroi 𝒫.Les opérateurs ∎̇ et ∎̈ indiquent les dérivées tem- porelles de premier et deuxième ordre, respectivement. L’équation de quantité de mouve- ment pour un fluide peut s’écrire :

𝜌0𝑿̈ + 𝛻𝑝 = 0 (2.23)

Les deux équations ci-dessous combinées donnent la condition de paroi vibrante, qui exprime le couplage inertiel du fluide avec la structure :

𝛻𝑝. 𝒏|𝒫 = −𝜌0𝒀̈𝒏|𝒫 (2.24)

Le couplage est inertiel puisque les fluctuations sont fonction d’une accélération ; il exprime que les petits mouvements de la paroi mouillée par un fluide induisent un gra- dient de pression dans le volume fluide. Les efforts qui excitent la structure se traduisent sous forme de pression du fluide. L’équation de l’oscillateur généralisée est :

𝐾(𝒓)𝒀(𝒓, 𝑡) + 𝑀(𝒓)𝒀̈(𝒓, 𝑡) − 𝑝(𝒓, 𝑡)𝒏(𝒓)𝛿(𝒓 − 𝒓0) = 0 (2.25)

où 𝒓0 est un point courant de la paroi baignée et 𝐾 et 𝑀 sont les opérateurs linéaires de raideur et de masse de la structure, respectivement. Le Delta de Dirac 𝛿 indique que la source de la force du fluide se situe à l’interface entre le domaine fluide et la paroi. Cet effort exercé par le fluide sur la paroi est fonction de la variation de débit imposée par la paroi sur le fluide lors de ses petits mouvements vibratoires :

∆𝑝(𝒓, 𝑡) + 𝜌0𝒀̈(𝒓, 𝑡)𝒏(𝒓)𝛿(𝒓 − 𝒓0) = 0 (2.26)

On récrit ce système en considérant que les solutions de l’équation de l’équilibre sont développées en série modale :

𝒀(𝒓, 𝑡) = ∑ 𝑞𝑖(𝑡) ∞ 𝑖=1

𝜱𝑖(𝒓) (2.27)

Les déformées modales de la structure (𝜱𝑖(𝒓)) correspondent aux vecteurs propres issus de la solution du problème aux valeurs propres posé par l’équation de l’oscillateur (équation 2.25). En projetant cette équation et l’équation du fluide (2.26) sur la ième forme

modale (𝜱𝑖) de la structure, nous obtenons le système :

{ 𝐾𝑖𝑞𝑖+ 𝑀𝑖𝑞̈𝑖 = ∫ 𝑝(𝒓0, 𝑡)(𝜱𝑖(𝒓0). 𝒏)𝑑𝒫 𝒫 ∆𝑝 + 𝜌0∑ 𝑞̈𝑗 ∞ 𝑗=1 𝜱𝑗(𝒓). 𝒏(𝒓)𝛿(𝒓 − 𝒓0) = 0 (2.28)

On peut remplacer le terme source dans l’équation d’équilibre par la pression dé- crite comme dans l’équation du fluide. L’utilisation, ensuite, de la condition de paroi vi- brante permet d’écrire l’équation qui décrit le calcul de la masse ajoutée, comme suit :

𝐾𝑖𝑞𝑖+ 𝑀𝑖𝑞̈𝑖 = −𝜌0∑ 𝑞̈𝑗 ∞ 𝑗=1 ∫ 𝑝𝑗(𝒓0)(𝜱𝑖(𝒓0). 𝒏)𝑑𝒫 𝒫 𝑀𝑎𝑖,𝑗 = ∫ 𝜌0𝑝𝑗(𝒓0)(𝛻𝑝𝑖(𝒓0). 𝒏)𝑑𝒫 𝒫 (2.29)

Les modes propres de la structure couplée {𝜱𝑛} sont ainsi solution de l’équation modale :

[[𝐾𝑖𝑖] − 𝜔2[[𝑀𝑖𝑖] + [𝑀𝑎𝑖𝑗]]] [𝑞] = [0] (2.30)

La matrice de masse ajoutée est généralement pleine, ce qui indique que les modes vibratoires en présence d’eau seront différents de ceux de la structure seule.

2.2.4.2 Couplage acoustomécanique

Jusqu’à ce moment, nous avons limité l’influence du fluide aux aspects inertiels, le fluide étant considéré incompressible. De cette façon, la matrice de masse ajoutée vient modifier les modes vibratoires de la structure sèche puisqu’on a projeté la masse d’eau sur la base modale de la structure seule. On a intérêt à prendre en considé ration le terme de compressibilité dans l’équation qui décrit le terme de source apparu dans l’équation de l’équilibre de la structure. La compressibilité induit un nouveau type d’excitation qui se propage à la vitesse du son dans le système fluide-structure couplé. L’équation du fluide devient :

∆𝑝− 1

𝑐02𝑝̈ + 𝜌0𝒀̈. 𝒏𝛿(𝒓 − 𝒓0) = 0 (2.31)

La base modale sert ainsi à porter à la fois des modes vibratoires de la structure (modes mécaniques) et les modes du fluide (modes acoustiques). On a déjà vu que les sources acoustiques s’établissent sous forme d’ondes planes dans le système de tuyauterie. Ces ondes ne vont interagir avec la structure que lors d’un changement de la section offerte au fluide. En pratique, ce couplage se manifestera principalement en deux types de singu- larités, les changements de section transversale et les changements de direction.

L’équation du fluide met en évidence que le mouvement de la structure peut in- duire une source de débit. Dans le cas d’un changement brusque de section transversale 𝑆(𝑠), où 𝑠 est la variable curviligne qui suit la fibre neutre du conduit, le déplacement lon- gitudinal de la structure 𝑫(𝑠, 𝑡) induit une source de débit 𝑄(𝑠, 𝑡) au niveau du fond de la structure, comme suit :

𝑄(𝑠, 𝑡) = 𝜌0(𝑆2− 𝑆1)𝑫̇(𝑠, 𝑡). 𝒍 = 𝜌0(𝑆2− 𝑆1)𝑿̇(𝑠, 𝑡) (2.32)

où 𝒍 est le vecteur unitaire longitudinal associé à la position 𝑠. La formulation différentielle est appropriée pour une tranche continument variable, et permet de récrire les termes de source de débit et d’effort comme suit :

𝑑𝑄 𝑑𝑠(𝑠, 𝑡) = 𝜌0 𝑑𝑆 𝑑𝑠 𝑿̇ (𝑠, 𝑡). 𝒍(𝑠) ; 𝑑𝐹 ⃗ 𝑑𝑠(𝑠, 𝑡) = −𝑝(𝑠, 𝑡) 𝑑𝑆 𝑑𝑠 . 𝒍(𝑠) (2.33) Dans le cas des coudes, une analyse semblable est effectuée. La source de débit induite localement par le coude dans le cas d’un changement de direction progressif à rayon de courbure 𝑅𝑐 peut s’écrire :

𝑑𝑄 𝑑𝑠(𝑠, 𝑡) = 𝜌0𝑆 1 𝑅𝑐𝑫.̇ 𝒏 ; 𝑑𝐹⃗ 𝑑𝑠(𝑠, 𝑡) = 𝑝𝑆 1 𝑅𝑐𝒏 (2.34)

Ces sources induisent une discontinuité de pression qui se propagera dans le milieu fluide confiné sous forme d’ondes planes. Au niveau des coudes et changements de section, les ondes appliqueront une force sur la section transversale du tuyau ; il est clair que débit et force couplent le système acoustique et mécaniquement. Les forces peuvent être ajoutées à l’équation de l’équilibre du système et les débits à l’équation du fluide, ce qui nous ramène au système acoustomécanique couplé :

{ 𝐾𝑠𝒀 + 𝑀𝑠𝒀̈ + 𝜌0𝑆(𝒀̈. 𝒕)𝒕 − 𝑝𝑆𝑅 𝑐. 𝒏 + 𝑝 𝑑𝑆 𝑑𝑠 𝒍 = 𝑭𝒆(𝑠, 𝑡) 𝜕 𝜕𝑠 (𝑆 𝑑𝑝 𝑑𝑠) − 𝑆 𝑐02 𝜕2𝑝 𝜕𝑡2− 𝜌0𝑆 𝒀̈. 𝒏 𝑅𝑐 + 𝜌0 𝑑𝑆 𝑑𝑠 𝒀̈ 𝒍 = 𝑺𝒂(𝑠, 𝑡) (2.35)

𝒕 est le vecteur unitaire transversal associé à la position 𝑠. Les termes à droite de chaque équation représentent des forces ou des sources externes au couplage fluide -structure. La démarche proposée par Axisa et représentée par le système d’équations 2.35 permet ainsi de découpler la source du calcul de la réponse vibratoire.