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Correspondance sur l'Opium

Dans le document Faculté de Pharmacie de Paris (Page 125-128)

3. Analyse du contenu

3.2 Analyse par parties

3.2.6 Travaux

3.2.6.2 Correspondance sur l'Opium

La rubrique

La correspondance est une rubrique qui apparaît brièvement dans le calendrier de l'an IX. Il s'agit a

priori de porter à la connaissance des lecteurs, les travaux envoyés par des associés nationaux ou

étrangers (aussi nommés correspondants dans le règlement du 16 thermidor an IV) de la société libre

nouvellement créée (cf. § 3.1, 3.2.4.5 et Annexe 4 articles 4 et 17).

Assez curieusement, et sans que ce point soit explicité dans les calendriers, cette section

« correspondance » n'apparaît plus par la suite.

La correspondance de l'an IX porte sur les résultats de plus de deux années d'expérimentations sur

la purification par fractionnement de l'opium afin de séparer la part résineuse de la part hydrosoluble

tannique. Le travail est présenté par Joseph Louis Proust (1754-1826) alors qu'il travaille au

laboratoire royal de chimie de Madrid dont il occupe le poste de directeur.

L'auteur : Joseph Louis Proust

Biographie 34 : Joseph Louis Proust (1754-1826)

J. L. Proust est originaire d'Angers et fils d'apothicaire. Après un apprentissage à l'officine de son

père, il gagne la capitale en 1774. Il remporte en 1776 le concours de gagnant-maîtrise la Salpêtrière

(faisant partie à l'époque de "l'Hôpital Général") et devient apothicaire en chef dans cet

établissement (94). Pour mémoire, le gagnant-maîtrise est un parcours permettant l'accession à la

maîtrise de pharmacie sans concours après 6 ans de service non rémunérés. C'est la conséquence

d'un privilège accordé par Louis XIV à certains hôpitaux parisiens (95) et il est reconnu par le

règlement du Collège de Pharmacie de 1779 à l'article 15 (cf. Annexe 2).

Son intérêt le pousse à travailler dans le domaine de la chimie et sans démissionner de son poste de

gagnant-maîtrise d'apothicairerie, il occupe plusieurs postes d'enseignant chimiste en Espagne

d'abord (1778-1780) puis en France (1781-1785) dans le musée fondé par Pilatre de Rozier

(1754-1785). Il se lie avec plusieurs grands chimistes de son temps, dont Lavoisier, et également avec des

botanistes et des apothicaires montrant des intérêts variés qui ont fait dire qu'il était un

chimiste-apothicaire ou un chimiste-apothicaire-chimiste.

En 1784, sur la recommandation de Lavoisier, il est engagé pour enseigner la chimie et la

métallurgie au collège royal d'artillerie à Ségovie. En attendant la construction du laboratoire, il

réalise divers travaux pour l'état à Madrid. En 1788 il gagne enfin Ségovie et à partir de 1790, il

bénéficie des installations modernes du laboratoire du collège. Il y mène des expériences aboutissant

à énoncer en 1794 la loi des proportions définies (ou loi de Proust).

Cette loi est une base de la chimie moderne. Elle précise que lorsque deux ou plusieurs corps simples

s'associent pour former un composé, leur combinaison s'effectue suivant un rapport pondéral

constant. Une application pratique de cette loi est de permettre de distinguer un simple mélange

d'une combinaison chimique. Associée à la loi des proportions multiple (1803) de John Dalton

(1766-1844), elle forme la base de la stœchiométrie en chimie.

Fin 1798, Proust est appelé à Madrid pour diriger la nouvelle école de chimie. Il y demeure jusqu'en

1806 et c'est précisément de cette époque que date le mémoire relaté par le calendrier du Collège de

Pharmacie.

Il aborde, à l'occasion de la famine de 1803-1804, le domaine de l'agroalimentaire, travaillant

notamment sur les vertus nutritives du lichen.

De retour en France en 1806, pour un séjour durable pour affaires de famille, l'invasion de l'Espagne

par les troupes de l'Empire de 1808 lui interdit de retourner à Madrid. Il demeure dès lors en France

jusqu'à la fin de sa vie, menant des recherches dont beaucoup ont trait à la chimie alimentaire :

extraction du sucre de raisin, travaux sur la fermentation du raisin et de l'orge et les levures,

utilisation de la pomme de terre, isolement de la leucine du pain et du fromage…

Le contenu de la communication

L'intérêt de l'opium en médecine est reconnu depuis l'Antiquité. La récolte du latex de Papaver

somniferum L. (ou d'espèces associées) est par exemple déjà décrite à la charnière du IV

ème

et du

III

ème

siècle avant J.C. dans l'œuvre de Théophraste "Recherches sur les plantes", au livre IX sur les

"vertus des simples" (probablement composée ou assemblée par son disciple Nélée de Scepsis) (96).

Les utilisations de l'opium pour les soins sont multiples incluant, utilisé seul ou en combinaison

avec d'autres ingrédients actifs ou excipients :

- un effet analgésique local

o on mentionne la propriété de refroidir les parties échauffées, en l'occurrence les

hématomes ou les blessures, le sang étant suivant la classification de Galien, chaud

et humide et le pavot froid et sec

- un effet somnifère qui peut aussi s'appliquer à la réalisation d'une anesthésie générale légère

(spongia somniferis). Les différents auteurs insistent en général sur le risque de surdosage

- un effet relaxant pour les yeux (on parle d'assécher les yeux humides, probablement de

fatigue ou d'irritation)

Les sources écrites décrivant les utilisations de l'opium sont nombreuses depuis l'Antiquité. Citons

par exemple "l'alphabet de Galien", probablement composé en Grèce, peut-être avant les écrits de

Dioscoride, et dont l'utilisation est attestée au milieu du Moyen-Age (les exemplaires conservés

datant du 7

ème

au 10

ème

siècle) (97).

Figure 36 : Représentation du pavot somnifère du "pseudo Dioscoride"

Il s'agit d'une version abrégée du texte de Dioscoride et présenté ici dans la compilation de texte du Codex Vind. 93 daté de la première moitié du XIIIème siècle. (98)

Citons également pour les sources médiévales, le "Circa instans" et "l'antidotaire Nicolas", tous deux

attachés à l'école de Salerne.

L'utilisation d'opium reste présente dans les pharmacopées post-médiévales comme la

"pharmacopée royale galénique et chymique" de Moyse Charas (1619-1698), la "pharmacopée

universelle" de Nicolas Lémery (1645-1715) et les pharmacopées régionales comme le "codex

medicamentarius seu pharmacopoea parisiensis".

L'opium reste néanmoins un produit composé. Les préparations à base d'opium sont réalisées en

général à partir du latex issu des capsules incisées, mais dans certains cas on utilise directement les

capsules immatures qu'on broie et dont on exsude le jus. Ce type de préparation devient insatisfaisant

aux yeux des chimistes dont Proust fait partie et les travaux faisant l'objet de cette communication

s'inscrivent totalement dans un courant de pensée du moment : il s'agit d'une démarche analytique

qui remet en cause les positions du passé (au même titre par exemple que Proust s'oppose à la théorie

des signatures) et qui cherche à purifier le principe actif et d'en mesurer les effets.

Le mouvement est général et aboutit à partir du début du XIX

ème

siècle :

- à une série d'isolement de principes actifs par purification des alcaloïdes contenus dans les

préparations végétales (1804 : morphine issue de l'opium par Friedrich Wilhelm Adam

Sertuerner (1783-1841) ; 1818 : strychnine du vomiquier par Joseph Bienaimé Caventou

(1795-1877) ; 1820 : quinine issue du quinquina par Pierre Joseph Pelletier (1788-1842) et

Joseph Bienaimé Caventou…) ;

- à la naissance d'une pharmacologie basée sur l'isolement par la pharmacie chimique, les

évaluations d'effet physiologique des matières isolées et enfin les indications thérapeutiques

et dont François Magendie (1783-1855) est un représentant important à travers son ouvrage

"le formulaire" paru en 1822.

La communication de Proust utilise diverses opérations chimiques classiques, essentiellement pour

séparer la partie gomme du latex et obtenir une fraction purifiée retenant l'effet actif :

- mise en solution dans l'eau ou l'alcool ;

- filtration ;

- évaporation ;

- précipitation acido/basique ;

- chauffage…

Les effets des différents produits obtenus sont testés (par exemple sur un résidu gommeux, l'auteur

précise : "Je n'eus qu'à la laver de nouvel alcool pour la mettre ensuite à sécher. Cette gomme fond

dans la bouche ; elle est sans saveur & il est à croire qu'elle n'a d'autre fonction dans l'opium que

de servir d'excipient aux autres principes") et l'auteur rappelle également les effets constatés et les

dangers associés à l'ingestion d'opium tels que rapportés par d'autres auteurs.

Dans le document Faculté de Pharmacie de Paris (Page 125-128)