3. Analyse du contenu
3.2 Analyse par parties
3.2.4 Anciens élèves
3.2.4.6 Annonces
La section sur les annonces n'apparaît que dans le calendrier de l'an IX. Cette section se
compose de deux parties :
- La première partie consiste en une liste de préparations commercialisées par la société
"commerciale" des pharmaciens (cf. § 3.2.4.5). La liste présentée dans cette section
diffère quelque peu de celle mentionnée dans les statuts de ladite société.
Statuts de la société "commerciale" Section annonces du calendrier
Destinés aux officiers de santé :
Huile d’amande douce
Thériaque
Emétique
Boules de mars
Kermes
Ammoniac ou alcali volatil.
Destiné au public :
Eau de Melisse dite des Carmes
Pierre Infernale
Phosphore et ses dérivés
Sans distinction d'acheteur :
Thériaque
Kermes minéral
Ammoniac
Eau de Mélisse, dite des Carmes
Phosphate de soude
Eau de Cologne
Tableau 14 : Préparations de la société "commerciale" dans les statuts et dans les annonces
La Thériaque est la préparation phare de polypharmacie destinée à servir de remède multi-usages. L'émétique est le vin d'antimoine. Les boules de mars sont du tartrate de potasse et de fer. Le kermes minéral est l'oxide d'antimoine hydrosulfuré rouge (d'où la similitude avec le kermes animal). La pierre infernale est un nitrate d'argent fondu destiné à servir pour la cautérisation.
L'annonce ne recense que 5 préparations trouvées dans les statuts mais ajoute l'eau de
Cologne préparée "d'après la véritable recette". Ladite eau est en effet l'objet de
nombreuses contrefaçons depuis que l'Aqua mirabilis, composée dans la première
décennie du 18
èmesiècle à Cologne, a conquis les cours d'Europe.
L'eau de Mélisse "dite des Carmes" a, pour sa part, été l'objet d'une vive opposition
entre le Collège de Pharmacie et les Pères Carmes de Paris dont on trouve trace dans les
PV de délibération des assemblées du Collège de Pharmacie (26 juin, 10 et 23 octobre
1780). Le différend porte sur le fait que le Collège de Pharmacie nouvellement créé
considère que l'eau de mélisse est une préparation pharmaceutique qui doit donc rester
sous son contrôle. Elle l'exprime ainsi dans sa contestation adressée à la Société Royale
de Médecine : "les Prévôts de Pharmacie ont l'honneur de vous observer 1° que l'Eau
de Mélisse composée que vendent les Carmes n'est point un Remède nouveau ; 2° qu'il
est décrit dans toutes les Pharmacopées, et qu'en cela il appartient en propre aux
Pharmaciens ; 3° Que l'article VIII de la Déclaration du Roy qui établit leur Collège
est impérativement contraire aux prétentions des Carmes ; 4° que les Brevets qu'ils ont
obtenus par le passé ne peuvent pas être pour eux une authorité auprès de vous, d'après
vos propres connoissances et vos propres lumières, parce que c'est par un de ces abus,
si communs alors en ce genre, qu'ils sont venus a bout de les obtenir, parce qu'ils ne
vous en imposeront pas sur les prétendues vertues tant multipliées de leur Eau, et qu'a
quelques variétés près, peut-être, l'Eau de Mélisse des Pharmacopées vaut la leur, et
n'est pas moindre en vertus". La querelle semblera s'apaiser suite à un accord fin 1780
aux termes duquel les Pères Carmes de Paris poursuivraient la fabrication de l'eau de
Mélisse mais verseraient un dédommagement financier semestriel au Collège de
Pharmacie. Les versements ne semblent pas avoir été scrupuleusement honorés puisque
le PV d'assemblée du 5 septembre 1791 fait mention des "arrérages dus par les Carmes
Collège entend traquer et dénoncer toutes les préparations des communautés dont elle
estime qu'elles tombent sous sa juridiction : "les Prévôts présenteront au Directoire de
Département un Mémoire en forme de dénonciation des Remèdes privilégiés et
particuliers débités par plusieurs Communautés, dont quelques unes ont déjà surpris
des patentes". Le conflit de l'eau de Mélisse trouvera un épilogue le 9 germinal an VI
(29 mars 1798) puisqu'à cette date "le citoyen Procureur des ci-devant Carmes de la
place Maubert, […] envoit et fait présent au Collège de Pharmacie des lettres de l'Eau
de Mélisse dite des Carmes, et de l'Eau d'Arquebusade [Note : alcoolat obtenu par
macération de plantes aromatiques, composé au 16
èmesiècle et utilisé dans le traitement
des plaies d'où son autre nom d' "eau vulnéraire"] composée en manuscrit original, sans
autre vue d'intérêt que le soulagement de l'humanité".
- La seconde partie est une annonce pour le citoyen Genthon, "ancien pharmacien de
l'amirauté à l'orient" et qui produit de la rhubarbe d'Orient, disponible chez le
pharmacien Solomé.
Les deux textes qui composent cette section du calendrier sont très sobres dans leur contenu
et illustrent une préoccupation importante de la Société Libre : préserver la réputation de
sérieux de ses membres, lutter contre le charlatanisme et contrôler la composition des
remèdes composés/spécialités. Ce point s'illustre notamment à travers un incident dont nous
conservons la trace dans les PV des assemblées du 8 nivôse an VI (28 décembre 1797) et
du 5 nivôse an VII (25 décembre 1798). Le problème vient de pharmaciens faisant de la
publicité pour des compositions particulières qu'ils commercialisent : "Le Conseil se
prononce contre la publicité à laquelle quelques confrères se livrent pour des remèdes
particuliers. Plusieurs membres observent que plusieurs de nos confrères se sont fait
annoncer dans différents journaux comme ayant des remèdes qui leur étoient particuliers
tels que les Citoyens De Lunel, pour le thé européen, Bordes, pour la pommade de
Mezereum, et Quinquet pour l'Eau de neige et l'Eau de neige bezoardiquée, que ces espèces
d'annonces sont contraires aux Règlements qui, jusqu'à présent, ont servi de conduite aux
Pharmaciens, et qui les ont toujours distingués des Empiriques. Ils demandent que le
Conseil délibère sur les moyens de maintenir les Règlements afin d'arrêter un abus qui
conduiroit infailliblement à donner un mépris des Pharmaciens, et finiroit par avilir la
Pharmacie". C'est bien la crainte d'un jugement de valeur du public qui sous-tend l'action
de la Société Libre (à noter l'emploi du terme très péjoratif d'"empirique" c’est-à-dire
quelqu'un qui pratique sans avoir fait les études requises – donc implicitement quelqu'un
qui est dangereux). Lors de la comparution des mis en cause, le PV de l'assemblée débute
par un rappel sans équivoque : "Le Comité entend les pharmaciens accusés de « s'afficher
comme charlatans, ce qui déshonore la Pharmacie", et de faire de la publicité pour des
remèdes particuliers. Le directeur signale que 280 contraventions ont été relevées".
La volonté de lutter contre le charlatanisme, de maintenir une haute image de la profession
pharmaceutique et d'affirmer l'activité de contrôle de la société libre de pharmacie sur les
spécialités, conduit finalement à adopter une réglementation stricte à compter du 15 frimaire
an X (6 décembre 1801) en amendant le règlement du 15 fructidor an IX :
"Art. 1er. Aucun Membre du Collège de Pharmacie ne pourra, à l'avenir, faire imprimer,
publier, distribuer ou insérer dans les journaux des avis ou placards qui auroient pour objet
d'annoncer au public la vente de drogues ou médicamens quelconques, tant internes
qu'externes, sans avoir été soumis à l'examen du Comité, et obtenu préalablement son
assentiment : cet assentiment ne lui sera accordé que sur le rapport qui sera fait au Comité par
une Commission de deux ou plusieurs de ses Membres nommés à cet effet. L'auteur sera tenu
1° de communiquer, sous le secret, sa recette aux Commissaires ; 2° de préparer sous leurs
yeux le remède ou médicament, suivant la dite recette ; 3° de déposer au Comité un échantillon
cacheté du médicament pour servir au besoin comme objet de comparaison, et, dans le cas où
le Comité déclareroit que le médicament peut être annoncé au public par la voye des journaux,
il indiquera la forme de l'annonce à laquelle l'auteur sera tenu de se conformer exactement.
Art. 2. Le Collège de Pharmacie déclare que, dans le cas où il accorderoit son assentiment, il
ne portera que sur le choix, la préparation ou la composition du remède, et non sur des
propriétés médicinales.
Art. 3. En cas de contravention à l'article 1er, le contrevenant sera mandé au Comité par les
Prévôts du Collège ; le Comité assemblé entendra le prévenu dans ses moyens de défense, et
en fera son rapport à l'Assemblée générale qui sera convoquée à cet effet.
Art. 4. L'Assemblée générale pourra, suivant la qualité du délit, déclarer le délinquant
incapable de devenir Membre du Comité, ni d'être élu aux fonctions de professeur, de
conducteur d'aspirans, ni de Prévôt, même lui interdire, pour un temps limité, la faculté
d'assister aux Assemblées du Collège ; et si, malgré cette déclaration de l'Assemblée, le
délinquant, au mépris des Réglemens du Collège, persistoit à annoncer de manière quelconque
au public ses remèdes ou médicamens, les Prévôts restent autorisés à faire connoître la décision
de l'Assemblée à son égard par la voye des journaux.
Art. 5. Dans le cas où le contrevenant ne se rendroit point, sans cause légitime, d'après le
mandat des Prévôts, il encourroit de droit les peines portées par l'article précédent.
Art. 6. Le présent arrêté sera présenté par les Prévôts à l'approbation du Préfet du Département
de la Seine, imprimé et distribué à tous les Membres du Collège. "
L'article 2 de ce règlement est particulièrement intéressant puisqu'il montre bien qu'il s'agit, non
pas de juger de l'efficacité de la composition mais bien de vérifier ce qu'elle contient. On n'est
donc pas encore dans la lignée d'une AMM mais bien plus dans volonté de reconnaissance de
la Société de libre de Pharmacie à travers l'affirmation d'une activité de contrôle rigoureux des
composants. Cette attitude est dans la lignée de celle déjà présentée plus haut dans le cadre de
la commission pour l'examen des remèdes secrets et des eaux minérales (cf. § 3.2.4.2.6).
Dans le document
Faculté de Pharmacie de Paris
(Page 108-111)