• Aucun résultat trouvé

Contexte historique de Sétif :

Deuxième partie: Recherche empirique

Chapitre 7 : Résultats obtenus et recommandations

4.2. Formes et transformations urbaines dans la ville de Sétif : périodes coloniale et postcoloniale

4.2.2. Contexte historique de Sétif :

Lors de l'exploration scientifique française de l'Algérie entre 1840 et 1842, tout en décrivant l'importance de Sétif, Ravoisié écrit:

L'heureux emplacement de Sétif, la salubrité du climat, la fécondité du territoire, l'importance d'une position centrale, et le caractère pacifique des tribus environnantes, ne pouvaient permettre au gouvernement de se borner à y maintenir un établissement militaire. Un entrepôt de vivres et de munitions, si utile qu'il eût été et qu'il pût devenir, devait bientôt former un centre de population. En effet, un grand nombre de familles sont déjà venues s'y grouper, et commencer ainsi la fondation d'une ville destinée à prendre beaucoup d'importance.

Tout favorise en cet endroit le développement d'un établissement nouveau : les pierres de taille provenant d'édifices antiques se trouvent sur place ; elles couvrent une immense étendue de terrain occupée par la ville romaine ; des moellons d'excellente qualité se tirent à peu de frais d'une carrière éloignée de 5oo mètres du camp ; la pierre à chaux est très-abondante, ainsi que la terre à tuiles et à briques. Les Arabes apportent la pierre à plâtre, qu'ils tirent des carrières situées à 16 kilomètres de Sétif, carrières fort riches et d'une exploitation très-facile.145

Le témoignage et la vision d’Amable Ravoisié l’architecte, qui continue sa description, reflètent les perspectives et ambitions que présentait déjà Sétif à l’arrivée des forces coloniales :

145Ravoisié, A. (1842), « Exploration scientifique de l’Algérie: pendant les années 1840, 1841, 1842 », Premier

volume, Beaux-arts: architecture et sculpture / par Amable Ravoisié; publiée par ordre du Gouvernement, ed. F. Didot, Paris, 1846, p. 70.

Pendant longtemps la question des bois de construction paraissait la plus difficile à résoudre à Sétif. Dans le commencement de notre occupation, les planches de sapin de moyenne dimension, apportées à dos de mulets de Philippeville, ne coûtaient pas moins de 6 à 7 francs la pièce ; mais depuis que nos relations ont été bien établies avec les Arabes qui habitent le Djebel-bou- Thaleb, au sud de Sétif, et avec la plupart des montagnards fixés dans la chaîne qui sépare le Tell du Sahara, le bois revient beaucoup moins cher à Sétif que celui qu'on emploie pour le même usage à Constantine.

La communication qu'il importe d'ouvrir au plus tôt pour faire de Sétif un établissement imposant, c'est celle de Bougie. Sétif doit s'approvisionner par cette dernière ville de la même manière que Constantine s'approvisionne par Philippeville. Dès qu'il sera possible d'ouvrir cette voie de communication, que la guerre entre les Kabyles du Sah'el a rendue impossible jusqu'à présent, Sétif ne sera plus seulement une des plus fortes positions militaires de l'Algérie : reliée pour ainsi dire à la mer, ainsi que Constantine, et vivifiée par elle, cette ancienne cité se relèvera plus puissante de ses ruines.146

Sétif était à l'origine une ville romaine appelée Sitifis et, selon Rocca (1903), les français ont décidé de fonder une ville sur les ruines de ce site sacré et ont pris la tour byzantine (aujourd'hui appelée Citadelle) et les fontaines existantes en tant que préexistences. Quelques années après l'invasion française de l'Algérie, le Maréchal Bugeaud impose en 1841 l'application des règles concernant la concession des terres et la création de colonies qui étaient cruciales pour la politique officielle de colonisation dans le pays.147

Pendant l'ère coloniale, Sétif a été décrite comme ville en plein essor avec « ferveur »:

(Elle) est devenue une commune à part entière en 1854 puis sous-préfecture du département de Constantine en 1858. Situé à environ 130 kilomètres à l'ouest de Constantine, Sétif devint tôt au vingtième siècle un carrefour pour le commerce régional et a connu une période de grande croissance économique et démographique après la Première Guerre mondiale. Dans les années trente, c'était une communauté urbaine d'un peu plus de trente mille résidents, passant à 53 mille vers la fin des années cinquante et à 96 mille juste avant l'indépendance de l’Algérie en 1962.148

Selon Belguidoum (1985), l'historique de Sétif montre aussi que cette ville, où la voie urbaine méridienne - celle du « Souk » et de la transhumance, est empruntée au centre colonial pour en tenir lieu par opposition à l'axe est-ouest, celui de la liaison Alger-Constantine. L'indépendance n'y a supprimé que la dichotomie ethnique, sans effacer celle des affaires : quartiers périurbains et monde rural restent directement dépendants de ce centre et, à travers

146Idem. 147

Rocca, E. (1903), « Historique de la ville de Sétif », Imprim. Artistique Emile Rocca, Sétif, pp. 7-8.

148

Camborieux, A. (1978), « Sétif et sa région: essai de monographie historique, géographique et économique », Imprimerie Gabelle, Carcassonne, p. 122.

lui, de l'ancien centre colonial.149 Jusqu'en 1926, la ville de Sétif était enfermée dans des remparts, avec quatre portes : Alger, Constantine, Biskra et Béjaia. Il y avait alors deux parties importantes dans la ville : le quartier civil au sud et le quartier militaire au nord. C'est un centre colonial typique, avec un plan régulier, il a encore aujourd'hui de grandes rues commerçantes, des arcades, des places et des jardins publics.

Un des objectifs de la colonisation était de détruire les équilibres existants, au nom du progrès, de la civilisation et pour des raisons d’exploitation. Après l'indépendance, « la ville coloniale a préservé sa fonction commerciale et substitué la classe moyenne à l'élite partie peupler les quartiers de villas. La présence d'équipements centraux et la stabilisation des structures de desserte en transport en commun et de voirie et d'autres facteurs contribuent à en faire un lieu central ».150 A savoir que jusqu'à une date récente, le vieux centre-ville de Sétif représentait environ un tiers du total des activités commerciales locales. Donc réellement, l'indépendance n'a fait que supprimer la dichotomie ethnique, sans pour autant supprimer le caractère commercial : la périphérie et les zones rurales restent directement dépendantes de l’ancien noyau d’origine coloniale.

La Route Nationale numéro 5 (RN5) est devenue la rue principale de toutes les villes coloniales qu'elle traversait en devenant un élément générateur pour le reste de leur forme urbaine. Créés au cours de la période coloniale, ces centres urbains sont passés plus tard au rang de petites villes et les villages sont devenus des villes de taille moyenne. Ces villes initiales du 19e siècle ont adopté un plan qui visait à servir principalement les besoins de la colonisation. Néanmoins, ces centres historiques ont révélé une forte capacité à accueillir les commodités de la vie moderne, ce qui explique dans une large mesure la longue vie du système urbain basé sur ces villes.

Après 1970, la croissance rapide de Sétif n'a pas laissé assez de temps pour que la forme urbaine de la vieille ville soit prise comme référence. Cela a entraîné une discontinuité contrastée entre le schéma urbain de la vieille ville et celui des nouveaux quartiers urbains construits pendant la période d'expansion urbaine effrénée. C’est ainsi que le déclin du centre historique se prononce, bien que la forme urbaine originale existe toujours avec ses principaux éléments structurant et définissant.

Avec plus de 300 000 habitants, Sétif compte actuellement parmi les plus grandes villes d'Algérie. Positionnée à un carrefour géographique, Sétif a développé, en plus des activités industrielles et agricoles, des fonctions commerciales et administratives. La ville de Sétif s'est étendue dans toutes les directions mais, comme c’est déjà établi ailleurs, la frange qui ceinture la périphérie urbaine est la zone qui connait les plus profonds changements socio-

149

Belguidoum, S. (1985), « Les nouvelles périphéries urbaines en Algérie: rupture avec les oppositions traditionnelles – Centre / Périphérie », polycopié non publié (emprunté au Schéma économique de Samir Amin), Institut d’Architecture de Sétif, pp. 1–8.

150

Boumaza, N. (1995), « Transformations et dynamiques formelles dans les villes du nord du Maghreb », in Actes du Colloque: ‘Les identités de la ville méditerranéenne’, Montpellier, 18–20 Novembre 1993, éd. De l’Espérou / EALR, Montpellier, (pp. 21–41), p. 21.

économiques.151 Néanmoins, même le centre-ville subit des changements rapides sur une courte période, en termes d'utilisation du sol, de la forme du bâti et de la circulation.

Sétif, en tant que ville coloniale française, était divisée en quartiers militaires et civils. En outre, les maisons traditionnelles étaient perçues comme des lieux de mémoire collective pour leurs anciens habitants. Ce vieux noyau d’origine coloniale, communément appelé « Bled » dans le langage populaire, reste le centre dominant avec une sorte de valeur symbolique acquise au cours de sa longue histoire. C'est un centre-ville non seulement au niveau local, mais aussi à l'échelle régionale. Son tissu urbain est caractérisé par un système parcellaire dense. Une forme régulière marque la limite de la ville « intra-muros » et fournit la même régularité pour le découpage des parcelles et le tracé des rues.

Figure 8 : Théâtre municipal de Sétif durant la période coloniale.

En général, les édifices publics - mairie, banques, théâtre (Figure 8), église et mosquée, école, et ainsi de suite, sont situés sur deux rues principales formant historiquement les deux axes Decumanus et Cardo de la ville romaine. Ces principales rues commerçantes se distinguent architecturalement par des arcades, tandis que d'autres équipements publiques - marché central (couvert), bureau de poste, cinémas, etc. - occupent des rues secondaires. Pourtant, il est intéressant de noter le cas exceptionnel de la synagogue située en face de la citadelle historique en se cachant derrière les îlots juifs.

La structure urbaine régulière du quartier civil a continué à supporter les diverses transformations exigées par l'évolution de la vie urbaine, tout en conservant sa forme en damier avec les principaux éléments structurants : les rues et places, les îlots et parcelles, le bâti. Cela confirme le processus de transformation urbaine discuté par Moudon (1987), « les rues, les bâtiments et les parcelles sont classés comme éléments qui changent au cours de la

151Whitehand, J.W.R. et N.J. Morton (2006), “The Fringe-Belt Phenomenon and Socio-Economic Change”, Urban

vie d'un établissement humain. Ensemble, ces éléments définissent non seulement l'anatomie d'une ville, mais aussi les processus par lesquels elle est formée et réformée au cours de l'histoire ».152

Les équipements administratifs et culturels étaient concentrés dans la vieille ville, mais leur expansion récente a imposé leur délocalisation ailleurs dans la ville et a laissé des bâtiments transformés en annexes de même type de fonction. Cependant, le commerce et les services envahissent maintenant ces rues, quelque soit leur rang dans le réseau urbain, et pénètrent même le cœur des îlots au fur et à mesure que c’est possible. Les professions libérales sont remarquablement les plus affluentes dans la zone centrale de la ville, qui continue à perdre sa population résidente. Un processus spontané de renouvellement urbain se déroule à Sétif mais cette lente transformation se poursuit sans modification significative de la structure urbaine originelle et, en général, a lieu conformément aux règles d'urbanisme. Dans le même temps, les habitants de la banlieue semblent être de retour dans le centre-ville, cette fois-ci principalement comme lieu de détente et de loisirs.

Situé sur le site historique romain de la ville, le camp militaire a été transformé en un parc d’attraction en 1986 et a donc perdu sa configuration initiale - sauf l'axe nord-sud qui a été préservé en tant que voie piétonnière. Le parc de la citadelle de Sétif est un site sacré qui raconte toute l'histoire de la ville. Devenu un endroit dangereux de débauche, une décennie durant, cet espace a finalement bénéficié d’une reconquête urbaine en évitant ainsi l'alternative d’une densité très élevée avec du bâti ; option tant convoitée par les promoteurs immobiliers et les spéculateurs.

Le renouvellement urbain de cet espace, longtemps abandonné, contribue socialement, économiquement, physiquement, et esthétiquement à revitaliser l'environnement urbain local et soutenir le tourisme dans la ville. Ce véritable poumon de 35 hectares en plein cœur de la cité, a donné à la ville une dimension écologique nationale. Garder la Citadelle en tant qu'espace public majeur au centre historique, était une option politique importante et positive, saluée par l’ensemble des habitants de la ville : « Les gens et surtout les enfants de Sétif et de toute la région viennent chaque jour profiter de ce lieu de loisirs. Notamment, l'impact social et économique de ce parc sur la ville est énorme et son ‘influence’ sur les territoires environnants est grande ».153