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Contenu du concept juridique de l’écrit

Partie I- La notion de l’écrit face à l’avènement des nouvelles technologies de

Section 3- Nécessité d’une définition légale de l’écrit

I- Contenu du concept juridique de l’écrit

[63] L’appréhension du concept juridique de l’écrit soulève nécessairement un certain nombre d’interrogations. En effet, il y a lieu de se demander si les éléments de la matérialisation d’un signe sont des éléments de la notion d’écrit au sens juridique. Que faut-il entendre par un écrit juridiquement ? S’agit-il exclusivement de certaines inscriptions réalisées sur un support déterminé au moyen de substances également définies ? Si tel était le cas, il nous serait certainement possible d’observer l’existence de principes juridiques obligatoires gouvernant le choix du support et des substances permettant d’en réaliser l’impression.

[64] Habituellement, on entend par « signe écrit » une inscription effectuée à l’encre sur un support papier. Pourtant, il n’y a rien, là, de juridiquement obligatoire. D’ailleurs selon la jurisprudence et surtout la doctrine78, il existe divers éléments assurant la matérialisation du signe écrit. Par exemple, le testament olographe pourra être rédigé et signé de la main du testateur sur divers supports tels que le papier, le parchemin, le métal, le bois, le cuir, le carton, le verre voire même l’épiderme du testateur79. Le testament peut aussi être rédigé à l’encre, à la craie, à la peinture, au

78 René SAVATIER, « L’écriture du testament olographe », (1936) Rép. Gén. Not., p.510 ; Nicolas

REUTER, « La main du testateur », (1976) 11 J.C.P., I, 2829; Louis COUPET, « Testaments », 970 J.

Cl.civ., 1, n° 60, p.14 ; François TOURTELIER, L’écriture dans le testament olographe, thèse de

doctorat, Rennes, Faculté de droit, 1934, p. 15-22 ; Yves LOUSSOUARN et Maurice VANEL, « Testament », 2e éd., 57 Rép. Dr. Civ. Dalloz; Jacques DUPLAT, conclusions, C.A. de Versailles, 1er juin

1989, D., 1990, p. 221.

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crayon à papier ou avec du sang 80. Enfin, en fonction du support choisi, l’écriture sera plate, incurvée ou en relief. L’ensemble de ces solutions jurisprudentielles illustre le fait qu’un certain nombre de signes écrits ayant des formes matérialisées différentes constituent néanmoins des actes valables. Leur admission, au niveau jurisprudentiel, souligne l’indifférence que le droit témoigne théoriquement à la nature du support et à la substance du signe. Ainsi, dans le but de matérialiser son écrit, chaque partie choisit un support ainsi qu’une substance d’impression. Elle n’est tenu de respecter aucune exigence tenant à des qualités physiques particulières des outils utilisés, si ce n’est que ces substances doivent former avec le support dont elles assurent l’impression une entité indissociable81.

[65] Étant donnée que les outils traditionnels utilisés jusqu’à récemment par des scripteurs ne permettaient pas une telle dissociation, le caractère indissociable des substances d’impression et des supports d’écriture n’avaient jamais été perçu comme pouvant être une condition essentielle de l’écrit. Or, c’est dans ces termes qu’il y a lieu à présent de raisonner afin de déterminer si un document électronique constitue ou non un écrit au sens juridique. Autrement dit, l’étude de la matérialisation du signe doit être l’occasion de se demander quelle valeur reconnaître à un écrit dématérialisé c'est-à-dire enregistré sur un support autre que le papier. Ces documents sont-ils des écrits ?

[66] Plusieurs constatations semblent permettre de défendre le concept d’écrit dématérialisé. L’élaboration de ce concept peut d’ailleurs s’autoriser du fait que pendant longtemps il n’existait aucune définition légale de la notion d’écrit82. S’il ne fait aucun

doute que pour les rédacteurs du Code civil français de 1804, l’écrit ne pouvait être que celui matérialisé sur un support papier, cela n’impose pas pour autant une interprétation restrictive de ce terme. Il paraît concevable que, face aux changements des réalités

80En droit français : Aix, 27 janvier 1846, D. 1846.II.250 ; Besançon, 6 juin 1882, D.P.1883.II.60 ; Trib.

civ., Beauvais, 1er juillet 1897, D.P.1898, II.502; Paris, 19 avril 1983, JCP.1983.II.310; Nancy, 26 juin

1986, JCP.N.1987.II, 96, note Venandet; Paris, 21 octobre 1999, 1999/11865. En droit québécois :

Mercier et Mercier-Charron, [1995] R.J.Q. 1446 (C.S.); Lavoie c. Boivin, J.E. 95-640 (C.S.); Rioux (succession de), J.E. 97-263 (C.S.); Boulos c. Beauchamp (Succession de), J.E. 98-1069, REJB 98-06928

(C.S.); Tremblay c. Roy, J.E. 2001-60 (C.S.).

81 Isabelle DAURIAC, La signature, thèse de doctorat, Paris, Université Panthéon-Assas, 1997, p.66.

82 Bernard AMORY et Marc SCHAUSS, « La formation des contrats par des moyens électroniques »,

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pratiques, le contenu de cette notion évolue et s’ouvre à de nouveaux procédés d’enregistrements. Ceci ne semble pas constituer un exemple isolé d’évolution d’une notion juridique sous l’effet des progrès de la technique83 mais plutôt une illustration que la loi peut naturellement évoluer. D’ailleurs, à ce propos, le professeur Ripert déclara que : « [c]e qui assure la stabilité du droit c’est la plasticité des règles générales, qui

peuvent toujours être étendues à des objets nouveaux »84.

[67] En outre, plusieurs autres indices permettraient de révéler l’émergence d’un concept d’écrit affranchi du support papier. Tout d’abord, la conception libérale du commencement de preuve par écrit telle que retenue par la jurisprudence française laisse entrevoir une évolution possible de la notion d’écrit. En effet, lorsque, pour définir cette notion, l’article 1347 du Code civil français énonce: « On appelle ainsi tout acte par

écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu’il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué », il place le document écrit sur un

support traditionnel, au premier rang de ces éléments constitutifs85. D’ailleurs, le professeur Baudry rappelle que, dans les travaux préparatoires du Code civil français, les rédacteurs n’ont jamais envisagé aucune autre forme de document86. Cependant, la jurisprudence adopte une position extrêmement libérale à l’égard de cette exigence. En effet, à propos de la position de la jurisprudence, le professeur Mazeaud mentionnait que « non seulement un écrit quel qu’il soit suffit, mais elle [en parlant de la jurisprudence]

se contente de ce que l’on peut appeler un semblant d’écrit ; elle [en parlant de la

jurisprudence] va même jusqu’à s’en passer entièrement »87. En effet, la notion d’écrit

semble avoir été assouplie de manière considérable par les juges, au point que même les déclarations verbales contenues dans un procès-verbal peuvent valoir commencement de preuve par écrit88. Certes, ces déclarations verbales sont contenues dans un procès-verbal

83 Cass. Crim., 12 décembre 1984, Bull. crim., 1984, n° 403. Le vol défini, par le Code pénal français de

1810, comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ne s’appliquait à l’époque que pour les seuls biens matériels. Il a pu être étendu, par la jurisprudence, à certains biens incorporels tels que l’électricité.

84 Georges RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 1994, p.39. 85 Robert-Joseph POTHIER, «Traité des obligations », n° 808.

86 Gabriel BAUDRY-LACANTINERIE, Traité théorique et pratique de droit civil, t. 4, R.G.L.A., 1905. 87 Henri MAZEAUD, La conception jurisprudentielle du commencement de preuve par écrit de l’article

1347 du Code civil, thèse de doctorat, Lyon, Faculté de droit, 1921, p. 9.

88 Civ., 1ère, 15 juillet 1957, Bull., I, 1957, n°329, p. 260; Civ., 1ère, 24 juillet 1960, Bull., I, 1960, n°127,

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c'est-à-dire un document écrit, toutefois il ne faut pas s’y tromper, ce qui fait véritablement preuve est bel et bien les déclarations verbales uniquement et non le procès-verbal89. D’ailleurs, cette solution a été consacrée par l’ajout d’un alinéa 3 à l’article 1347 du C.c.F. suite à l’adoption de la loi du 5 juillet 197590. Ainsi, selon cet exemple, il est possible qu’il y ait commencement de preuve par écrit en l’absence de tout document écrit.

[68] De même, avec l’adoption du nouveau Code pénal français en 1992, le législateur a élargi encore la notion d’écrit en reconnaissant comme infraction de faux l’altération de « tout autre support d’expression de la pensée »91, notamment les bandes magnétiques, les disquettes, les compacts disques.

[69] Lorsque l’on s’interroge sur la matérialité du document écrit, la diversité des supports et des substances d’impressions admissibles nous permet de conclure que les éléments de la définition de l’écrit évoluent. Par conséquent, tenter de définir juridiquement l’écrit suppose de tenir compte de ce caractère évolutif, et donc d’adopter une approche qui soit neutre et la moins restrictive possible.