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Analyse des définitions française et québécoise de l’« écrit »

Partie I- La notion de l’écrit face à l’avènement des nouvelles technologies de

Section 1- Éléments de similitudes entre le droit français et le droit québécois quant à la notion de

A- Analyse des définitions française et québécoise de l’« écrit »

[94] Il aura fallu attendre le 13 mars 2000 pour la France et le 21 juin 2001 pour le Québec pour enfin disposer d’une définition légale de l’écrit dans chacune de ces juridictions. En effet, en vertu de l’article 1 de la loi française n° 2000-230 introduisant l’article 1316 au C.c.F., l’écrit a été défini comme suit :

« La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission » (nos soulignés).

[95] De même, aux termes de l’article 3 de la loi sur les technologies de l’information, un document se définit comme suit :

« Un document est constitué d’information portée par un support. L’information y est délimitée et structurée, de façon tangible ou logique selon le support qui la porte, et elle est intelligible sous forme de mots, de sons ou d’images. L’information peut être rendue au moyen de tout mode d’écriture, y compris d’un système de symboles transcriptibles sous l’une de ces formes ou en un autre système de symboles.

Pour l’application de la présente loi, est assimilée au document toute banque de données dont les éléments structurants permettent la création de documents par la délimitation et la structuration de l’information qui y est inscrite.

Un dossier peut être composé d’un ou de plusieurs documents. Les documents sur des supports faisant appel aux technologies de l’information visées au paragraphe 2° de l’article 1 sont qualifiés dans la présente loi de documents technologiques. » (nos soulignés).

La preuve et la conservation de l’écrit dans la société de l’information

 Stéphane Caïdi-2002

[96] Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler l’approche distincte des législateurs français et québécois qui ont défini la notion « d’écrit » sous le couvert de la preuve littérale en droit français et sous celui du document en droit québécois. D’ailleurs, la notion de document telle que définie à l’article 3 est très vaste et englobe autant l’écrit traditionnel que l’image, l’enregistrement sonore, les dossiers ou encore les banques de données. Comme nous l’avons souligné dans chacune de ces définitions, le vocabulaire utilisé par le législateur français et québécois est très semblable, et il tend à donner un caractère neutre et englobant à l’écrit. Selon nous, les législateurs français et québécois ont opté pour cette approche afin de réaffirmer de façon implicite leur volonté d’élaborer un cadre juridique aux documents qui soit technologiquement neutre. En effet, l’utilisation de termes particulièrement abstraits tels que « délimitée », « structurée », « tangible», « logique », « signes » ou « symboles » résulte du souci du législateur d’englober le plus grand nombre de possibilités afin d’éviter que l’avancement des technologies ne rende sa loi rapidement désuète.

[97] Qu’il s’agisse de la définition française ou québécoise, il est intéressant de constater la présence des deux éléments essentiels qui caractérisent l’écrit au niveau juridique : d’une part l’élément matériel et d’autre part l’élément intellectuel130.

1- Élément matériel de l’écrit

[98] L’élément matériel de l’écrit au niveau juridique signifie l’ensemble des moyens par lesquels la pensée d’un individu prend une forme concrète. Cette matérialisation de la pensée peut prendre toute sorte de formes (signes, symboles ou caractères susceptibles d’être perçus directement ou indirectement). Selon la loi française n° 2000-230, l’élément matériel de l’écrit est clairement établi. En effet, l’article 1316 du C.c.F. dispose que l’écrit « résulte d’une suite de lettres, de caractères,

de chiffres ou de tous autres signes ou symboles ».

130 Maurice BIBENT, « La signature électronique », Jusdata, Équipe de Recherche Informatique et Droit,

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[99] Il en est de même de l’article 3 de la loi québécoise sur les technologies de l’information qui prévoit que « [l]’information peut être rendue par tout mode d’écriture, y compris d’un système de symboles transcriptibles sous l’une de ces formes ou en un autre système de symboles »131. En d’autres termes, l’information peut se manifester par toute sorte de représentations concrètes de la pensée ou de la parole au moyen d’un système de signes ou de symboles susceptibles d’être transcrits sous forme de mots, de sons ou d’images (par exemple le langage du braille ou du morse). Le terme « symbole » utilisé à la fois dans la loi française et dans la loi québécoise signifie un signe conventionnel (tel qu’un caractère, un diagramme, une lettre ou une abréviation) utilisé dans le domaine de l’écriture ou de tout autre moyen de communication à la place d’un ou de plusieurs mots, d’une chose ou encore d’une opération. Outre l’élément matériel, l’écrit suppose également un élément intellectuel.

2- Élément intellectuel de l’écrit

[100] L’élément intellectuel de l’écrit signifie que les signes expriment, du fait de leur ordonnancement, leur organisation, leur syntaxe ou encore le jeu de certaines règles grammaticales, une signification compréhensible par l’individu. Peu importe le nombre de personnes pour lesquelles les signes sont compréhensibles : il suffit qu’il y en ait au moins une qui possède les moyens de rendre les signes lisibles. Cet élément intellectuel de l’écrit est également reconnu de manière explicite par la loi française et la loi québécoise. La loi française, à l’instar de la loi québécoise, prévoit en effet que les signes matériels de l’écrit doivent être dotés « d’une signification intelligible » c’est à dire être compréhensibles par l’être humain quelle que soit leur forme.

[101] La loi québécoise précise en outre que l’information doit être délimitée et structurée c'est-à-dire qu’elle doit être restreinte ou circonscrite sur un support, et posséder un minimum d’ordre, d’organisation et de forme. L’information peut être délimitée et structurée de façon tangible c'est-à-dire sur un support matériel et palpable

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ou de façon logique. Le terme « logique » s’oppose ici à l’expression « tangible » dans le sens où elle fait référence à des modes de représentation de l’information d’un tout autre genre132. D’un point de vue technique, cette représentation de l’information peut se traduire par un ensemble de bits133 ordonnés et structurés qui ont été répliqués, transmis puis traités par une succession de processus logiciels jusqu’à une interface matérielle tel qu’un écran, un haut-parleur ou encore une feuille de papier. Ces ensembles de bits ordonnés et structurés sont le support logique de l’information. Ils contiennent les données et les codes nécessaires pour qu’un flux binaire apparaisse à son consommateur comme une information compréhensible134.

[102] En outre, le législateur québécois a également pris le soin de préciser que la définition du document inclut les banques de données et les dossiers135. Cependant, il n’a pas spécifié le sens à donner à ces deux termes dans le cadre de la loi. Selon le glossaire de la loi sur les technologies de l’information réalisé par le Centre de Recherche en Droit Public de l’Université de Montréal136, on entend par banque de données « un fichier, ou

un ensemble de fichiers, dans lequel sont regroupées plusieurs informations, habituellement délimitées et organisées de façon à être consultées par un usager ».

Quant au terme dossier, ce glossaire le définit comme étant « un ensemble de documents

relativement à une personne ou à une question spécifique, par exemple un dossier médical, un dossier de conduite automobile, un dossier scolaire ». La signification de

ces deux termes démontre plus encore le caractère large et englobant de la notion de document au sens de la loi québécoise. Rappelons que cette approche extensive de la notion de document par le législateur avait fait l’objet d’un certain nombre de critiques notamment par la chambre des notaires du Québec. Celle-ci a effectivement jugé qu’une banque de données ne peut pas être assimilée à un document puisqu’elle ne constitue en

132 Mentionnons à titre d’exemple la technologie numérique. Pour plus de détails sur cette technologie,

voir le paragraphe sur « la technique de numérisation », Partie I, Chapitre I, p. 13.

133 Le terme « bit » signifie une petite unité d’information manipulable par un ordinateur et qui appartient

au système de numérotation binaire (ne peut avoir que la valeur de 1 ou 0).

134 Michel THÉVENET, « L’infosphère, lieu d’existence de l’objet numérique », 3 octobre 2002,

disponible à http://www.boson2x.org/article.php?id_article=50

135 Article 3 alinéas 2 et 3 de la loi québécoise sur les technologies de l’information.

136 Daniel POULIN et Pierre TRUDEL (dir.), Loi concernant le cadre juridique des technologies de

l’information, texte annoté et glossaire, Centre de recherche en droit public (CRDP), Université de

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réalité que « le cadre ou le moyen qui permet d’emmagasiner des informations »137. La Chambre des notaires avait d’ailleurs proposé au législateur de modifier cette disposition afin d’exclure l’expression « banques de données ».