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Le constat: un rapport exclusif avec la tradition religieuse japonaise

Dans le document Le syndrome perroquet. (Page 111-116)

SPIRITUELLE DES ARTS MARTIAUX JAPONAIS EN OCCIDENT

2.2.3 Le constat: un rapport exclusif avec la tradition religieuse japonaise

Dans le but de retracer la nature, c’est-à-dire, le type de rapport et les éléments qui caractérisent, en Occident, le discours sur la dimension spirituelle des arts martiaux japonais, nous avons procédé à l’exploration des différentes sources disponibles. Cette

exploration s’est effectuée en deux étapes. Voici le résultat de nos observations.

Nous avions mis en évidence, lors d’une étude antérieure170, un type de discours qui s’articulait à partir d’un rapport exclusif entre les arts martiaux et la tradition religieuse japonaise171. Nous avons approfondi cette recherche et la somme actuelle de nos obser- valions nous permet de confirmer ce même type de rapport. Plus précisément, nous avons remarqué que le discours actuel repose sur quatre composantes essentielles: primo, la référence à un art martial; secundo, la référence à la tradition religieuse japonaise; tertio, une démarche descriptive et explicative sur les divers éléments; et finalement, une démarche de nature apologétique qui s’appuie sur une perspective personnelle, culturelle et/ou historique justifiant le rapport entre cette tradition religieuse et l’art martial.

170 BLANCHETTE, Jean-Noël. Le croyant peut-il concilier le christianisme et les arts martiaux japonais?, mémoire (M.A.), Université de Sherbrooke, 1990, 133 p.

171 Id., p. 71. À cette époque, notre observation se formulait de la manière suivante: «Pour réellement comprendre la «Voie »[de la tendance do], on sent, de la part des auteurs, la nécessité d’adhérer aux religions et aux philosophies orientales telles que le shintoïsme et le zen, et de les intégrer dans la pratique des arts martiaux et dans la vie. »

Malgré la découverte de ces quatre composantes, on peut très bien se contenter du constat suivant: la dimension spirituelle des arts martiaux japonais en Occident repose sur un rapport exclusif entre l’art martial et la tradition religieuse japonaise. En d’autres mots, il s’agit d’un discours que l’on pourrait qualifier de foncièrement ethnocentrique. Pour illustrer ce constat, prenons, par exemple, l’aïkido, qui apparaît ici représentatif. Nous utiliserons à cette démonstration trois ouvrages choisis de manière aléatoire: le premier fut publié par le maître fondateur de l’aïkido; le second, par son fils, successeur officiel; et finalement, le troisième, par l’un des nombreux disciples de cet art martial.

L’aïkido est un art martial créé par le maître japonais Morihei Ueshiba vers le début du XXe siècle. En 1938, Ueshiba écrivait:

« Le budo est un chemin établi par les dieux, qui conduit à la vérité, à la bonté et à la beauté; un chemin spirituel qui reflète l’absence de limite, la nature absolue de l’univers et les ultimes secrets de la création.

Fort de la vertu que développe en lui une pratique assidue, l'homme peut percevoir les principes du ciel et de la terre. Les éléments techniques de son art, interaction subtile de l'eau et du feu, révèlent le chemin du ciel et de la terre, l’esprit de la Voie Impériale. L'application de ces techniques est l'affirmation éclatante du merveilleux fonctionnement du kotodama, le principe qui dirige et harmonise toutes les choses du monde, le principe qui résulte de l'unification du ciel, de la terre, du Dieu et de l'humanité ensemble. Cette vertu génère lumière et chaleur, c'est le sabre divin de l’harmonie spirituelle entre le ciel, la terre et l'humanité. Quand la situation le veut, armé de ce sabre divin et porté par les principes du ciel et de la terre, l'homme peut pourfendre sans faiblir le mensonge et le mal pour éclaircir le chemin vers un monde pur et beau. Ainsi Éveillé, il est libre d'utiliser tous les éléments contenus dans le ciel et dans la terre tout au long du printemps, de l'été, de l'automne et de l'hiver.

Modifiez votre perception de l'univers, de son apparence et de son mouvement; changez les techniques martiales en véhicule de pureté, de bonté et de beauté; rendez-vous maître de l’ensemble. Quand le sabre de l’harmonisation qui unit le ciel, la terre et l'humanité, est pleinement révélé, l'homme est libre et, seul forge et purifie ce qui est Lui.[...]

Vous, votre personne et tout ce que vous possédez, devez être voués à la Cause Majeure. Guerriers engagés dans la voie du combat, nous avons le devoir de suivre la volonté des dieux - en nous comme hors de nous - et de servir les hommes172. »

Cet extrait a été écrit par un Japonais et vraisemblablement pour les Japonais, à une époque où le Japon vivait sous l’influence montante du militarisme et de l’impérialisme. Le rapport que présente le maître Ueshiba entre l’art martial et la tradition religieuse japonaise se justifie pleinement. Mais allons plus loin.

Quelques années après la Deuxième Guerre mondiale et la mort du maître Ueshiba, son fils, Kisshômaru, deviendra le chef de file d’une organisation internationale. Dans son ouvrage sur l’esprit et le véritable sens de la pratique de l’aïkido, Ueshiba fils écrit:

«Les anciens arts de combat représentent un héritage culturel et historique. Ils trouvent leur origine sur les champs de bataille aux temps des conflits et se transformèrent ensuite en budô, la voie des arts martiaux, [...]. Mais, dans leur forme originale, ils sont inacceptables aujourd'hui et hors de propos dans le monde moderne [...] Son but hautement religieux par nature, peut se résumer en quelques mots: unification du principe fondamental de la création, le ki, assurant la permanence de l'univers, et du Id individuel, indissociable du souffle-énergie animant chaque personne [...].

L’aïkido a pour unique préoccupation de préserver l’essence du Budô en transmettant les valeurs spirituelles des arts martiaux traditionnels. Pour cela, l'aïkido reste fidèle au principe fondamental du budô, tel que l'a exprimé maître Ueshiba, un entraînement constant du corps et de l'esprit conduisant l'homme sur le chemin de la spiritualité173. »

À la fin de son ouvrage, Kisshômaru Ueshiba formule des commentaires sur les pratiquants

172 UESHIBA, Morihei. Budô, Les enseignements du fondateur de l'aïkido (trad, de l'anglais), Paris : Budo Store, 1991, p. 31.

d'aïkido de par le monde, faisant l'éloge des uns, mais critiquant aussi les autres:

« [...] l'aïkido représente l'aboutissement de la culture spirituelle du Japon.

Ils [les Occidentaux] reconnaissaient non seulement l’unicité de l'aïkido, mais également ses fondements philosophiques profondément ancrés dans la tradition japonaise.

[...] En ce qui concerne l'aïkido, son essence est l'émanation de la

spécificité philosophique japonaise et je suis, pour ma part, convaincu que quiconque n'accepte pas ce concept de base n’est pas un pratiquant d'aïkido.

[...] Le futur de l’aïkido est assuré aussi longtemps que tous les pratiquants,

japonais et étrangers sans distinction, s'efforceront de s'entraîner avec rigueur et de poursuivre la quête spirituelle. Lorsque cela sera fait, nous serons en mesure de contribuer, chacun selon ses moyens, à rendre le monde meilleur pour nous-mêmes et pour nos enfants. Car ceci, après tout, est l’objet du budô authentique174. »

Comme on peut le constater, pour s’adapter au monde moderne «japonais » - il faut s’entendre - les arts martiaux ont été transformés. On comprend aussi que le but des arts martiaux japonais (budo) est hautement religieux et que l’unique préoccupation de l’aïkido est de préserver l’essence des budo: la quête spirituelle. Or, dans le cadre de l’organisa- don internationale de l’aïkido, une question se pose: Kisshômaru Ueshiba a-t-il développé son discours en fonction du but hautement religieux des budo ou à partir d’une conception culturelle de ce but? En d’autres mots, a-t-il tenté de présenter un discours sur les arts martiaux japonais adaptés aux exigences des autres cultures religieuses? Pas vraiment. Même s’il affirme avec force que l’aïkido est «ouvert au monde175 ־״et qu’il «ne connaît

ni frontières, ni nationalité, ni race, ni religion176 », tout son ouvrage dont le discours

174 Id., p. 23. 175 Id., p. 13. 176 Id., p. 39.

porte, rappelons-le, sur le véritable sens de la pratique, est une véritable antithèse de ce qu’il affirme; car, en ne dissociant pas le contenu (la dimension spirituelle) de la forme (l’art martial), son discours reste prisonnier d’une frontière, d’une race, d’une religion et par conséquent ne peut prétendre s’ouvrir sur le monde. Il est donc foncièrement ethnocentrique.

Voilà l’idée qui se dégage du discours tenu par une lignée de Japonais sur la dimension spirituelle des arts martiaux. Maintenant, ce qui est intéressant, c’est de pour- suivre la démarche en se posant la question suivante: le discours des Occidentaux est-il différent?

Réponse: pas vraiment! Le discours des Occidentaux est le reflet de celui véhiculé par les maîtres de la tradition japonaise. Comme nous l’avons mentionné, Ueshiba fils y fait référence dans son ouvrage. Mais regardons ici, à titre d’exemple, la position de l’expert américain William Gleason qui écrivait, au sujet de l’aïkido:

«L’aïkido, forme moderne du budo, met en oeuvre Γessence-même du shinto, la religion indigène sur laquelle s’est construite la spiritualité du Japon, à tel point qu’ “esprit shinto ” et “esprit japonais” sont en réalité synonymes. Le shinto originel, [...] voie qui précède la religion, est né d’une tradition plus ancienne que l’histoire écrite. Il est un mode de vie, fondé la description du monde [sic], qui sous-tend le code des responsabilités sociales des samouraïs. Le shinto est donc le coeur-même du “bu”. Le sabre japonais - essentiel aux techniques les plus pointues de Vaikido et central dans l’histoire de I’aïkido - est d’ailleurs l’un des trois symbole sacré du shintô.

Le shintô et l’aïkido sont liés par une fondation commune, le principe du kototama. L’énergie universelle (le Ki) se manifeste par l’intermédiaire du kototama (âmes-mots) qui la divise en cinquante fonctions différentes, origines de tous les phénomènes. [...]

enseigner. Cette voie martiale est devenue le centre de ma vie. [...] VdMdo doit être pratiqué comme un michi - un engagement de toute une vie177. »

2.3 L’OBJECTIF DE LA RECHERCHE: ÉTUDE SUR LE RAPPORT ENTRE

Dans le document Le syndrome perroquet. (Page 111-116)