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La conjecture de Coase Intuition

1 2 Les fondements de la tarification dyna mique

1.2.2 La conjecture de Coase Intuition

La prise en compte des anticipations rationnelles des différents acteurs (firme en place et consommateurs) commence avec la conjec- ture de Coase (1972). Coase (1972) s’interroge sur la possibilité théo- rique de la politique d’écrémage. Selon lui, le monopole intertem- porel de biens durables, lorsque les consommateurs anticipent l’évo- lution des prix, s’il ne peut s’engager de manière crédible sur la politique de prix, se concurrence lui-même intertemporellement et tarifie au coût marginal. Le monopole est ainsi face à un problème d’incohérence dynamique.

L’intuition est qu’en première période, le monopoleur pratique le prix de monopole A et propose la quantité M, maximisant ainsi son profit. En seconde période, il remarque qu’il peut encore profiter de la demande insatisfaite en vendant sa production à un prix plus bas. Il continue ainsi jusqu’à épuiser la demande en vendant au prix B, c’est à dire au coût marginal, la dernière quantité du bien. Le mono- pole aura vendu au final la quantité Q. Si les consommateurs anti- cipent cette pratique, alors la demande devient infiniment élastique au prix et ils n’acceptent d’acheter qu’au coût marginal puisqu’ils an- ticipent que ce sera le prix de la dernière période. Paradoxalement, le monopole intertemporel perd tout pouvoir de marché s’il ne peut s’engager sur les prix. Les solutions possibles pour sortir de cette impasse sont pour le monopole de rendre ses engagements de prix crédibles ou de diminuer la durabilité du bien. Ces deux pratiques sont de nature à lui rendre un certain pouvoir de marché.

La conjecture de Coase intègre des anticipations rationnelles des consommateurs sur l’évolution future des prix. C’est donc différent des modèles issus de l’article fondateur de Evans (1924) où les anti- cipations des consommateurs sont données.

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Vitesse d’ajustement des prix

Bulow (1982) et Stokey (1981) formalisent la conjecture de Coase. Stockey (1981) montre que cette conjecture tient avec un modèle continu, mais pas forcément avec un modèle discret. Dans le modèle discret, si la période nécessaire à l’ajustement de la production est courte alors l’équilibre réalisé se rapproche de celui de la conjecture de Coase (lorsque la durée de la période tend vers zéro, la limite du modèle discret est le modèle continu). En revanche, lorsque la durée de la période s’allonge, le monopole retrouve son pouvoir de mar- ché. Cette situation est en effet équivalente à celle où le monopoleur s’engage de manière crédible sur des prix pour la durée de la pé- riode de production. Gul et Sonnenschein (1986) montrent que pour des fonctions de demande plus générales, le profit intertemporel du monopoleur est nul lorsque la durée entre deux réajustements de prix tend vers zéro. Ainsi, paradoxalement, plus le monopoleur peut changer rapidement le prix de son bien pour satisfaire la demande, plus il perd son pouvoir de monopole.

Bulow (1982) remarque aussi que le monopole peut éviter la conjecture de Coase en proposant du leasing plutôt que de la vente. L’intuition est que le monopole loue en seconde période des produits déjà utilisés en première période. Ainsi le monopole internalise la manière dont ses décisions de seconde période affectent la valeur de son produit en première période.

La décroissance des coûts

Le prix de certains produits, comme les produits technologiques tels que les ordinateurs ou les consoles, décline au cours du temps (Stokey, 1979). C’est aussi le cas d’autres biens comme les livres ou les films qui, lors de leur lancement sont vendus à un prix unique

pour tous les consommateurs. Leur prix diminue ensuite avec le temps lorsque le bien change de support (un livre est d’abord dis- tribué en édition reliée puis en format de poche, un film sort en premier lieu au cinéma, puis en DVD puis passe à la télé). Si dans certains cas, la baisse de ces prix peut-être attribuée à la baisse des coûts de production associés au support du bien, cela sert souvent à tirer profit des différences entre les prix de réservation des consom- mateurs.

Stokey (1979) montre que lorsque le vendeur peut s’engager sur des prix futurs, la discrimination intertemporelle n’est jamais opti- male si les coûts de production sont nuls (la conjecture de Coase est vérifiée). Dans ce cas, l’entreprise vend toute sa production en première période. En revanche, si les coûts de production sont suffi- samment importants et décroissants avec le temps (en raison de l’ap- parition de nouvelles technologies), alors la firme peut pratiquer une politique d’écrémage. La décroissance des coûts peut être exogène et liée à l’apparition de technologies de production moins couteuses. Elle peut aussi être endogène et venir de l’apprentissage de l’acti- vité de production (Arrow, 1962). Dans tous les cas, qu’il y ait ou non discrimination intertemporelle, l’entreprise profite de son pou- voir de monopole, respectivement en augmentant le prix et en ne vendant le produit qu’en première période ou en commençant les ventes avec un prix élevé qui diminue ensuite graduellement.

La prise en compte des externalités de réseau

Pour Bensaid et Lesne (1996), la conjecture de Coase est remise en cause lorsque le bien présente des externalités de réseau. Lorsque ces externalités sont suffisamment importantes, les prix de la firme augmentent au cours du temps. Economides (2000) retrouve ce ré-

1.2. Les fondements de la tarification dynamique 33 sultat dans un modèle à deux périodes. L’intuition du résultat est

que, en présence d’externalités de réseau positives, la valeur que le consommateur attribue au bien augmente continuellement avec la base installée (donc avec les ventes passées). Ainsi au fur et à mesure de la diffusion du bien, la disponibilité à payer des consommateurs augmente et le monopole peut en tirer partie. Remarquons que dans ce cas, la politique de tarification mise en place n’est plus l’écrémage étudié initialement dans la conjoncture de Coase mais la politique de pénétration.

Applicabilité de la conjecture de Coase

Tout d’abord, pour Stokey (1979), la discrimination intertempo- relle par les prix est envisageable pour des biens durables. La ca- ractéristique d’un bien durable est de ne nécessiter qu’un seul achat comme un ordinateur ou un téléphone portable. Il s’oppose au bien à achat répété comme l’abonnement à internet. Ensuite, la firme est en situation monopolistique (ou elle doit avoir un certain pouvoir de marché pour lever la contrainte de tarification au coût marginal) et peut s’engager sur des prix. Enfin, les consommateurs disposent d’un prix de réservation différent (dû à une différence dans l’évalua- tion de la valeur du bien et/ou dans leur impatience à consommer). Waldman (2003) ajoute que, pour que la conjecture de Coase soit correcte, les stratégies des acheteurs ne doivent pas dépendre du comportement passé du monopole. Ainsi, la formation de la répu- tation du vendeur n’est pas possible. Toutefois, comme Ausubel et Deneckere (1989) le montrent, si la formation de la réputation est possible et si le coût marginal est supérieur ou égal à la plus faible valeur de réservation du consommateur, alors il existe des équilibres

tels que le monopole retrouve une partie ou l’ensemble de son pou- voir de monopole.

Enfin, la conjecture de Coase ne s’applique pas si les coûts di- minuent ou la qualité augmente suffisamment vite (Stockey, 1979). La diminution des coûts peut être exogène (le progrès technique se diffuse) ou endogène (indirect et liée à l’apprentissage en produc- tion ou direct et liée à un investissement en innovation). De la même manière l’augmentation de la qualité peut être exogène ou endo- gène. Elle est indirecte en présence d’externalité de réseau (Bensaid et Lesne, 1996 ; Economides, 2000) ou directe avec un investissement (Saha, 2007).