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Conformité à l’ordre public (suite) Exécution de travaux « en noir », en violation des règles d’accès à la profession ou des règles

Formation du contrat d’entreprise

9. Conformité à l’ordre public (suite) Exécution de travaux « en noir », en violation des règles d’accès à la profession ou des règles

d’urbanisme. Plusieurs décisions de jurisprudence frappent de nullité le con-

trat d’entreprise concluen violation des dispositions d’ordre public. Par exem- ple, dans un jugement du 2 juin 2003 65, le Tribunal de commerce de Gand,

après avoir constaté que les parties avaient procédé de commun accord au paiement « en noir » d’une partie substantielle des prestations commandées, prononce la nullité de la convention et déclare irrecevable l’action de l’entre- peneur tendant à obtenir l’exécution par le maître de l’ouvrage de son obliga- tion de payer le solde du prix. Le Tribunal se fonde sur l’arrêt de la Cour de

cassation du 12 octobre 2000 66, rendu en matière de « carroussels T.V.A. »,

et dans lequel la Cour décide qu’« (…) une convention qui a pour but d’orga- niser une fraude envers des tiers, en l’espèce [le Trésor], dont les droits sont protégés par une législation d’ordre public, a une cause illicite et est frappée de nullité absolue » 67. Dans un arrêt du 24 décembre 2003 68, la Cour d’appel

d’Anvers adopte une position similiare à propos d’une infraction commise à la législation sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme : dans cet arrêt, la

64. Voy. Civ. Charleroi, 8 avril 1982, R.R.D., 1982, p. 222 (contrat ayant confié à l’entrepreneur le choix de l’architecte) ; Civ. Nivelles, 18 juillet 1994, J.L.M.B., 1995, p. 1341 (contrat par lequel l’entrepeneur se chargeait de choisir un architecte ayant pour seule mission de tracer les plans) ; Liège, 21 juin 1995, J.L.M.B., 1996, p. 416 (contrat d’architecture signé largement après le contrat d’entreprise après que le type de construction ait été défini avec l’entrepreneur et pour un taux d’honoraires largement inférieur au marché, les honoraires étant en outre intégralement versés dès la signature du contrat avec l’architecte). Voy. également sur ces décisions I. DURANT, « Le monopole légale conféré à l’architecte », in I. DURANT et R. DE BRIEY (éd.), L’exercice de

la profession d’architecte, coll. Droit immobilier, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 33.

65. Comm. Gand, 2 juin 2003, T.G.R., 2003, p. 12.

66. Cass., 12 octobre 2000, R.G.D.C., 2001, p. 549, R.C.J.B., 2003, p. 74, note P. WÉRY, Arr.

Cass., 2000, p. 1564, Bull., 2000, p. 1531, F.J.F., 2003, p. 854, J.L.M.B., 2001, p. 1508, Rev. not. b., 2001, p. 109, R.W., 2002-2003, p. 416, T.F.R., 2002, p. 69.

67. La Cour de cassation adopte la théorie du mobile illicite unilatéral, en décidant également que « (…) s’agissant de l’intérêt général, il suffit que l’une des parties ait contracté à des fins illicites et qu’il n’est pas nécessaire que ces fins soient connues du cocontractant » (voy. P. WÉRY, « Le

mobile illicite unilatéral, cause de nullité des actes juridiques », note sous Cass., 12 octobre 2000,

RC.J.B., 2003, pp. 78 et s.).

Cour dénie à l’entrepreneur le droit au paiement de son travail, en frappant de nullité absolue le contrat d’entreprise, au motif que la toiture placée par celui- ci différait de celle autorisée par le permis d’urbanisme. Pour la Cour, accorder à l’entrepreneur la rémunération de ses prestations lui aurait permis de profiter de l’infraction pénale commise par ce dernier en connaissance de cause 69.

Enfin, le non-respect de la réglementation relative à l’accès à la profession 70

actuellement régi par la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante 71 –est également source de nullité du contrat

d’entreprise 72. Il suffit à cet égard que « (…) le défaut d’accès à la profession

affecte une partie des travaux exécutés pour que la nullité de l’ensemble de la convention doive être prononcée » 73 74.

69. Dans la mesure où le maître de l’ouvrage avait également participé à l’infraction (en prenant la décision de s’écarter des plans déposés à l’appui de la demande de permis), l’action reconvention- nelle de dernier fut également jugée irrecevable.

70. En revanche, l’enregistrement des entrepreneurs a perdu son caractère obligatoire, suite à la modification législative consécutive à la condamnation du régime belge antérieur par la Cour de Justice des Communautés Européennes. Voy. à ce égard B. KOHL, « Enregistrement des entre-

preneurs étrangers. La Belgique condamnée », note sous C.J.C.E., 9 novembre 2006, J.L.M.B., 2007, pp. 177 et s. ; D. FISSE et A.-L. DURVIAUX, « L’enregistrement des entrepreneurs de tra-

vaux immobiliers », A.P.T., 2007-2008, p. 290 et s.

71. M.B., 21 février 1998. Cette loi abroge la loi du 15 mars 1970 sur l’exercice des activités pro-

fessionnelles dans les petites et moyennes entreprises.

72. Voy. par exemple Bruxelles, 29 mai 2009, Entr. et dr., 2010, p. 454, note C. WIJNANTS ; Comm.

Mons, 26 juin 2002, D.A.O.R., 2002/63, p. 271 ; Mons, 25 mars 2002, J.L.M.B., 2003, p. 638,

R.R.D., 2003, p. 9 ; Comm. Mons, 13 décembre 2001, R.R.D., 2002, p. 366 ; Comm. Namur, 28 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 1304 ; Liège, 21 décembre 1999, R.R.D., 2000, p. 190 ; Civ. Charleroi, 16 février 1995, J.L.M.B., 1996, p. 790, R.G.D.C., 1996, p. 163. Voy. entre autres à ce sujet I. FRANCK et S. FANTIN, « De vestigingswetgeving en de gevolgen

van de niet-nalevingervan », note sous Cass., 3 février 2005, T.B.O., 2005, pp. 180 et s. ; C. WIJNANTS, « Nullité du contrat d’entreprise pour violation des règles d’accès à la profession ;

rappel des principes », note sous Bruxelles, 29 mai 2009, Entr. etdr., 2010, pp. 460 et s. 73. Bruxelles, 29 mai 2009, Entr. etdr., 2010, p. 454, note C. WIJNANTS ; voy. dans le même sens :

Bruxelles, 6 mars 1986, Entr. etdr., 1987, p. 15, Resjur. imm., 1988, p. 29.

74. La jurisprudence considérait auparavant que la validité du contrat d’entreprise avec l’entrepre- neur général ne disposant pas d’un accès à la profession n’était, par exception, pas mise en cause lorsqu’il apparaissait que, recourant à la sous-traitance totale, il n’effectuait pas lui-même les tra- vaux nécessitant un accès à la profession (voy. Bruxelles, 27 avril, 1989, Entr. etdr., 1998, p. 383,

Resjur. imm., 1990, p. 245 ; Civ. Nivelles, 11 mars 2004, Resjur. imm., 2004, p. 24). Depuis lors,

l’arrêté royal du 29 janvier 2007 relatif à la capacité professionnelle pour l’exercice des activités indépendantes dans les métiers de la construction et de l’électrotechnique, ainsi que de l’entre- prise générale (M.B., 27 février 2007), impose certaines compétences de base pour la personne exerçant l’activité d’entrepreneur général (étant, aux termes de l’article 32, « (…) celui qui, au nom et pour compte de tiers, construit, rénove, fait construire, ou rénover un bâtiment, en exé- cution d’un contrat d’entreprise de travaux, jusqu’a l’état d’achèvement et fait appel pour cela à plusieurs sous-traitants »). Voy. également en ce sens S. STIJNS, B. TILLEMAN, W. GOOSSENS,

B. KOHL, E. SWAENEPOEL et K. WILLEMS, « Overzicht van rechtspraak. Bijzondereovereenkoms-

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Dans un arrêt du 2 mars 2006 75, la Cour de cassation semble toutefois

relativiser le caractère automatique de la nullité, à propos d’une affaire dans laquelle l’entrepreneur réclamait le paiement de montants convenus « en noir ». Après avoir énoncé le principe selon lequel « (…) celui qui ne pour- suit que le maintien d’une situation contraire à l’ordre public ou un avantage illicite n’a pas un intérêt légitime », la Cour relève que, dans leur décision, en constatant que la demande de l’entrepreneur tendait à l’exécution des obliga- tions contractuelles du maître de l’ouvrage de payer le solde du prix de l’entreprise en contrepartie des travaux de rénovation exécutés entre-temps, et « (…) en ne constatant donc pas que cette demande tend uniquement au maintien d’une situation ou d’un avantage illicite, les juges d’appel n’ont pas justifié légalement leur décision et ont violé l’article 17 du Code judiciaire ». Comme l’observe W. Goossens, par l’emploi du terme « uniquement », la Cour semble exiger qu’un lien direct existe entre la situation illégale et le contrat concerné ou l’action se fondant sur ce contrat. En d’autres termes, il ne semble plus correct d’affirmer sans nuance que tout contrat d’entreprise ou d’architecture est automatiquement nul en cas de travail payé – en tout ou en partie – « en noir » ou en cas de travaux exécutés sans permis.

Cette décision s’inscrit dans la ligne de l’arrêt rendu le 18 mars 1988 76

en matière de vente d’immeuble par la Cour de cassation. Dans cet arrêt, la Cour décide que « lorsque lors d’un contrat d’achat, les parties conviennent de dissimuler le prix exact dans l’acte en vue d’éluder les droits d’enregistre- ment, cette convention est contraire à l’ordre public et dès lors nulle, mais la vente ne peut être déclarée nulle pour cette raison ». Selon l’interprétation donnée à cet arrêt par I. Moreau-Margrève, la contrariété à l’ordre public ne réside pas en réalité dans l’accord sur la fixation du prix qui est librement faite par les parties. Au contraire, cette contrariété vient de la dissimulation de la réalité du prix envers l’administration fiscale 77. Cette jurisprudence a été

appliquée à de multiples reprises ces dernières années par les juges du fond 78

et nous paraît transposable dans le domaine du contrat d’entreprise.

75. Cass., 2 mars 2006, N.j.W., 2006, p. 703.

76. Cass., 18 mars 1988, Pas., 1988, I, p. 868, R.W., 1988-1989, p. 711, note E. DIRIX, Ann. Dr.

Liège, 1989, p. 387, note I. MOREAU-MARGREVE et P. DELNOY, Arr. Cass., 1987-1988, p. 973,

Bull., 1988, p. 868, J.T., 1989, p. 5, T. Not., 1990, p. 106.

77. I. MOREAU-MARGREVE, « Chronique de jurisprudence. Obligations », in Chronique de droit à

l’usage du notariat, Liège, éd. Faculté de droit de Liège, 1989, p. 52.

78. Voy. par exemple Gand, 14 juin 2007, T.G.R., 2008, p. 108 ; Gand, 27 janvier 2005, R.W., 2006-2007, p. 1568 ; Liège, 30 novembre 2006, R.G.D.C., 2008, p. 103, note M. DUPONT ;

contra : Mons, 26 janvier 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1041, note B. KOHL. Comme le relevait ainsi

10. Conformité à l’ordre public (suite). L’assurance de la responsa-

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