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L’arrêt du 18 mai 2006 de la Cour de cassation retient également notre attention quant au principe de la relativité des conventions et aux limi-

Quelles perspectives pour le mécanisme de l’action directe ?

50. L’arrêt du 18 mai 2006 de la Cour de cassation retient également notre attention quant au principe de la relativité des conventions et aux limi-

tes dans lesquelles on peut y déroger.

En l’absence de disposition légale reconnaissant une action directe du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant, de nombreux auteurs ont avancé diverses pistes pour combler cette lacune. D’importantes critiques se sont éle- vées contre les différents fondements proposés jusqu’ici pour reconnaître une action “contractuelle” au maître de l’ouvrage 107.

Il est objecté à l’article 1122 du Code civil, selon lequel on est censé avoir stipulé pour soi, pour ses héritiers et pour ses ayants cause, que celui-ci vise tous les ayants cause à l’exception précisément des ayants cause à titre particulier 108.

La stipulation pour autrui (article 1121 du Code civil) ou la cession de créance tacite sont écartées au motif qu’elles reposent sur la nécessité d’établir la volonté tacite des parties d’agir en ce sens.

107. À ce sujet, en ce qui concerne l’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant, voyez not. : J. CABAY, op. cit., pp. 769 et s. ; H. De PAGE, Traité, t. II, 1964, p. 698 ; E. MONTERO, « L’article 1798 du code civil et l’action directe du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant », obs. sous C.A., 28 juin 2006, J.L.M.B., 2007/5, pp. 188 et s. En France : J. GHESTIN, C. JAMIN

et M. BILLIAU, Les effets du contrat, 3e éd., Paris, L.G.D.J., 1993, n° 1106 et s. ; C. JAMIN, La notion

d’action directe, Paris, L.G.D.J., 1991, n° 223 et s.

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La théorie de l’accessoire est celle qui retient le plus grand assentiment jusqu’ici. Fondée au départ sur l’article 1615 du Code civil 109, une partie de

la doctrine plaide pourtant depuis un certain temps déjà pour l’extension de la solution dégagée en matière de vente aux cas du fournisseur 110 et du sous-

traitant 111, en justifiant l’extension de la solution par le recours à la règle de

l’article 1135 du Code civil 112.

L’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2006 emprunte plus ou moins cette voie en ce qui concerne le fournisseur. Il se réfère non à l’article 1615 du Code civil, mais au principe (général ?)« l’accessoire suit le principal ».

Cette thèse est fondée sur l’idée d’un lien étroit entre l’action et le bien transmis qui justifierait la transmission de celle-ci propter rem comme un acces- soire de la chose vendue ou ouvragée.

Elle est toutefois critiquée en ce qu’elle ne peut s’appliquer que « dans le seul contexte des chaînes de contrats translatives de propriété (c’est-à-dire, qui se terminent par un contrat de “transfert” de la propriété : vente + vente ou entreprise + vente) » 113, soit l’acquisition par un mode dérivé, par trans-

fert de droit. Cette théorie ne tient donc pas compte de « l’acquisition origi- naire, à savoir l’accession (par incorporation des matériaux au sol) ; il acquiert

109. La jurisprudence admet depuis longtemps déjà, sur le fondement de l’article 1615 du Code civil, la transmission au sous-acquéreur des actions en garantie d’éviction et des vices cachés. La même explication justifie la transmission au maître de l’ouvrage de l’action en responsabilité décennale contre l’entrepreneur ou l’architecte, à l’acquéreur de l’immeuble, voire au client du promoteur immobilier. La Cour de cassation a cependant précisé qu’en cas de vente de l’immeuble après mise en œuvre de l’action en garantie décennale, cette action restait dans le patrimoine du pro- priétaire-maître de l’ouvrage, sauf cession prévue dans les conditions de la vente (Cass., 15 sep- tembre 1989, Pas., 1990, I, p. 65). À ce sujet, voy. : E. MONTERO, op. cit., p. 190.

110. Voyez not. : F. GLANSDORFF, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant ou le fournisseur de l’entrepreneur principal », obs. sous Bruxelles, 28 octobre 1987, J.T., 1988, pp. 668 et s. ; Y. HANNEQUART et A.DELVAUX, « La responsabilité des édificateurs : état actuel de quelques problèmes et perspectives », in Statuts et responsabilité des édificateurs, F.U.S.L., 1989, p. 178 ; concl. av. gén. G. DUBRULLE sous Cass., 18 mai 2006, précité.

111. Voyez not. : F. GLANSDORFF, op. cit., p. 668 et s. ; Y. HANNEQUART et A. DELVAUX, op. cit.,

p. 179 ; concl. av. gén. G. DUBRULLE sous Cass., 18 mai 2006, précité.

112. Y. HANNEQUART et P. HENRY, « La responsabilité de l’architecte face aux immixtions du maître

de l’ouvrage et face au promoteur », note sous Cass., 21 septembre 1979, R.C.J.B., 1982, p. 514 ; A. DELVAUX et D. DESSARD, « Le contrat d’entreprise de construction », Rép. not., t. IX, liv. III, Bruxelles, Larcier, 1991, p. 208. Sur la portée de l’article 1135 du Code civil, voy. : C. DELFORGE, « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à

toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature »,inDroit

des obligations, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2011, pp. 5 et s.

en réalité un droit nouveau, pur de toute charge, mais aussi dépouillé de toute prérogative accessoire » 114.

Par ailleurs, cette théorie lie la transmission de l’action (l’accessoire) à la transmission de la « chose », ce qui exclut les contrats de service. On pourrait alors s’interroger sur la justification de cette interprétation au regard du prin- cipe d’égalité.

Un autre fondement proposé au mécanisme de l’action directe est la notion de groupe de contrats 115.On est d’emblée frappé par l’apparente faci-

lité de la solution : la notion de groupe de contrats confère à l’action directe un fondement contractuel et dispense donc du débat sur le fondement de l’exception au principe de la relativité des conventions.

La notion de groupe de contrats amène à apprécier les notions de tiers et de parties, non à l’échelle du contrat mais à celle du groupe. « Le principe de la relativité des conventions formulé par l’article 1165 du code civil ne retrouverait son empire qu’au-delà des limites du groupe de contrats, obli- geant les tiers “véritables” à situer leurs actions en responsabilité sur le seul terrain délictuel » 116.

Julien Cabay voit dans l’arrêt précité du 18 mai 2006 de la Cour de cas- sation, une autre occasion de revenir sur ce fondement. Il souligne qu’à défaut pour le demandeur de pouvoir être considéré comme une partie con- tractante, seule la position de cessionnaire de créance lui permettrait de se prévaloir de cette qualité. Si on exclut le cas de la cession expresse (présumer la cession étant artificiel), seule la théorie de l’accessoire, fonctionnant sur le mécanisme de la cession de créance, permet au demandeur de devenir partie. L’auteur ajoute que « si l’on accepte l’idée que la Cour est sensible au fait que certains contrats présentent des liens particuliers entre eux, on pourrait voir dans l’arrêt du 18 mai 2006 une étape vers la consécration de la notion de groupe de contrats (…) en élargissant le champ d’application de la théorie de l’accessoire à une situation non visée par la loi » 117.

114. Ibid.

115. J. CABAY, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : action directe et groupe de contrats à l’appui d’une solution », J.T., 2009, pp. 771 et s.

116. E. MONTERO, « L’article 1798 du Code civil et l’action directe du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant », obs. sous C.A., 28 juin 2006, J.L.M.B., 2007/5, pp. 186 et s. (se référant aux tra- vaux de B. TEYSSIÉ – Les groupes de contrat, Paris, L.G.D.J., 1975 – et de J. NÉRET – Le sous-contrat,

préface de P. CATALA, Paris, L.G.D.J., 1979).

117. J. CABAY, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : action directe et groupe de

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Mais l’auteur ne pense pouvoir offrir ce fondement qu’aux actions direc- tes en responsabilité dans les groupes de contrats liés par leur objet. Dans ce cas, l’action directe ne modifie en rien la situation patrimoniale du débiteur intermédiaire, de sorte qu’elle est sans incidence du point de vue des créan- ciers de celui-ci. Ne pourraient, par contre, être admises en dehors de toute intervention du législateur, selon lui, les actions directes en paiement qui ris- quent de porter atteinte au principe de l’égalité des créanciers et qui, à ce titre, ne pourraient être prévues que par lui puisque leur mise en œuvre aboutirait à soustraire un actif de son patrimoine.

On pourrait ajouter que la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de responsabilité aquilienne du sous-traitant à l’égard du maître de l’ouvrage pourrait être lue en ce sens, car elle revient à considérer que le sous-traitant n’est, vis-à-vis du maître de l’ouvrage, pas un tiers comme les autres 118. La notion de groupe de contrats ne transparaît-elle pas, en filigrane,

de cette jurisprudence ?

Si la solution est à première vue séduisante, le concept de groupe de contrats présente d’importantes faiblesses, qui expliquent ou confortent en grande partie les réticences de la jurisprudence.

L’imprécision du concept suscite la réserve. La portée des dérogations que l’on pourrait reconnaître au principe de la relativité des conventions sur cette base est également incertaine 119.

On rappellera qu’après avoir été consacrée dans un premier temps par la Cour de cassation de France le 21 juin 1988 120, la notion de groupe de con-

trats a été laminée dans un arrêt en assemblée plénière du 12 juillet 1991 121faisant suite aux vives critiques de cette brève consécration.

La notion de groupe de contrats appelle donc d’importantes réserves. Le grief fondé sur la dérogation au principe de la relativité des conventions ne nous semble cependant pas décisif.

Dans une note pénétrante, le professeur Dieuxrappelle ainsi que le prin- cipe de la relativité des conventions doit être envisagé au regard de son fonde- ment volontariste (l’autonomie de la volonté). Dès lors, il considère que l’action directe ne doit pas être vue comme une réelle dérogation à ce principe.

118. Voy. : F. BALLON, « Relations maître de l’ouvrage / sous-traitant », in La sous-traitance, J.L.M.B.

Opus, n° 1, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 108.

119. À ce propos, voy. : E. MONTERO, op. cit., p. 194.

120. Cass. fr. (1rech.), 21 juin 1988, Bull. civ., 1988, I, n° 202, p. 141.

Selon l’auteur, « l’idée est indépendante de l’origine du transfert de droits par lequel ces opérations se traduisent et, singulièrement, du caractère, volontaire ou non, de la cession dans le chef du créancier. En ce sens, l’action directe, dès lors qu’elle se traduit par un transfert, fût-ce, selon l’analyse classique, par l’effet de la loi, des droits du débiteur intermédiaire au créancier agissant, n’emporte aucune entorse au principe de la relativité des contrats » 122. Il faut donc plutôt

voir dans l’action directe et la possibilité pour le sous-traitant d’agir contre le maître de l’ouvrage, avant tout une question de détermination de la commune intention des parties contractantes concernées de créer des liens entre un tiers et elles par la reconnaissance d’un droit direct d’action au bénéfice de ce tiers.

Dans une même perspective, la notion de groupe de contrats nous paraît relever également de la détermination d’une commune intention des parties de créer des liens entre différentes conventions. Il n’y aurait donc, là non plus, pas de réelle dérogation au principe de la relativité des conventions. Cette objection souvent avancée contre la notion de groupe de contrats n’est donc pas suffisante pour en justifier le rejet pur et simple.

122. X. DIEUX, « Nature et limites du droit du titulaire d’une action directe contre un cocontractant

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