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Conclusion générale : formalisation d’un modèle pour l’analyse de l’accessibilité

Cette étude a permis de mettre à jour un certain nombre de points.

Tout d’abord, les résultats démontrent que les personnes plus âgées (i.e. personnes âgées entre 50 et 71 ans) ont autant de capabilité à se déplacer que les plus jeunes (i.e. personnes âgées entre 21 et 32 ans). Deux hypothèses peuvent être proposées.

La première hypothèse est que malgré les déclins des ressources internes, liés à l’avancée en âge, les personnes mettent en place des stratégies qui compensent leurs pertes. La seconde hypothèse est que les effets de l’âge en mobilité sont visibles à des âges beaucoup plus avancés (i.e. après 75 voire 80 ans). Les effets de l’avancée en âge sont liés aux parcours de vie. Or, les participants exercent ou ont exercé des métiers aux contraintes moins physiques que dans certains autres métiers comme le bâtiment. Il est probable que le niveau de santé et de vie des participants aient participé ici au maintien des capabilités en mobilité.

Ensuite les résultats ont montré que les facteurs de conversion négatifs ont des effets multiples, à savoir qu’ils peuvent :

• entraver l’activité, c'est-à-dire contraindre l’activité,

• complexifier l’activité, c'est-à-dire ajouter des difficultés,

• altérer la perception de l’environnement, c'est-à-dire rendre déplaisant certaines

réalisations,

• mais néanmoins, ces facteurs peuvent aussi être moteurs de l’activité, c'est-à-dire

qu’ils peuvent inciter à chercher ou construire de nouvelles alternatives de fonctionnement.

Les facteurs de conversion négatifs ne constituent pas forcément des obstacles ou des entraves à l’activité. Les facteurs de conversion négatifs peuvent être des difficultés gérables et intéressantes favorisant le développement des personnes. Cependant, ils ne prennent le statut de difficultés que si la personne peut réellement les dépasser, c’est-à-dire si elle dispose

165 de ressources suffisantes et que des facteurs de conversion positifs permettent cette conversion pour contrebalancer l’effet du facteur de conversion négatif.

Les résultats confirment que les facteurs de conversion positifs sont des facilitateurs pour l’activité. Ils permettent aux personnes de considérer des alternatives. Ce sont des facteurs qui rendent disponibles, utilisables et convertissables des ressources en capabilité. Cependant, nos résultats ne montrent pas que les facteurs de conversion positifs contribueraient à construire de nouvelles alternatives de fonctionnement.

Les facteurs de choix, quant à eux, participent à la prise de décision, influencent la sélection ou le rejet de certaines ressources et/ou alternatives de fonctionnement, et permettent aux personnes d’ordonner les alternatives de fonctionnement qu’ils ont à disposition. Autrement dit, ces facteurs de choix entraînent une présélection des alternatives réellement envisagées par les acteurs, parmi l’ensemble des alternatives potentielles (i.e. non soumises à l’évaluation des acteurs). Ainsi, les personnes peuvent exclure temporairement des alternatives qui leurs semblent inadaptées et donc définissent leur propre capabilité. Cette capabilité, qui peut être qualifiée de perçue, peut amener les personnes à se contraindre elle-même en rejetant d’emblée certaines alternatives. Néanmoins, dans le cours de l’activité ces alternatives « exclues » peuvent être reconsidérées si les premières sont remises en cause par l’absence de ressource ou la présence de facteurs de conversion négatifs, par exemple. Par ailleurs, les résultats obtenus sur les facteurs de choix confirment qu’ils ne sont pas toujours liés aux préférences où à la maximisation des résultats.

Au travers de cette étude, les dimensions de l’accessibilité capacitante énoncées au chapitre précédent peuvent être précisées :

L’utilisabilité des transports comprend entre autre : la desserte, les horaires, les éléments qui facilitent la multimodalité (ex. des tickets compatibles pour les métros et les bus), le coût, la vitesse, les aspects physiques dans les transports.

L’utilisabilité des informations concerne les repères, la signalétique, les plans de ville et vise la lisibilité, la visibilité et la compréhension.

L’état du trafic doit être assuré par exemple s’il y a des travaux, des incidents ou des accidents.

Les flux des véhicules et des personnes et leur variabilité devront être étudiés afin de les gérer en cas de nécessité (ex. obstruction de la visibilité, obstacle au déplacement).

166 • Les contraintes météorologiques devront aussi faire partie de l’accessibilité dans une certaine mesure (ex. pour des zones à risques telles que celles sujettes aux inondations).

Les facteurs de conversion sont les éléments qui permettent aux personnes de convertir (ou non) les ressources en capabilité (i.e. en alternatives de fonctionnement). Il apparaît que les facteurs de choix amènent les personnes à définir leur propre capabilité. Il y a d’une part les ressources et les facteurs de conversion qui déterminent une accessibilité capacitante réelle, c'est-à-dire un espace de possibles, et d’autre part, les facteurs de choix qui déterminent une accessibilité capacitante perçue qui correspond à la représentation que se font les acteurs de l’accessibilité capacitante réelle.

A partir de l’analyse de contenu nous avons mis à jour les déterminants des capabilités. Le modèle ci-dessous propose une vision synthétique de la dynamique des choix d’action sur la capabilité à se déplacer et qui repose sur les analyses proposées dans ce chapitre et dans le précédent (Cf. Figure 29).

Ce modèle se distingue du précédent. Il fait apparaître de nouveaux éléments à savoir : la capabilité qui intègre les fonctionnements et donc la notion de fonctionnement présent dans le modèle précédent, le choix qui peut être contraint (ou non) par la personne, et la réalisation qui est l’actualisation du choix, c'est-à-dire le résultat du choix. De plus, le schéma inclut la distinction de deux parties, les conditions de l’activité et l’activité.

La première partie représente les conditions de l’activité. Elle comprend les ressources et les facteurs de conversion déterminant l’espace des possibles, c'est-à-dire la capabilité à atteindre une réalisation. Cette capabilité représente l’ensemble des possibles offerts par l’accessibilité capacitante réelle. Pour qu’il y ait capabilité il faut nécessairement une ou des ressources et un ou des facteurs de conversion positifs. Par ailleurs, la présence de facteurs de conversion négatifs ne constitue pas toujours une entrave à la capabilité d’agir, alors que l’absence de ressource le fait. On peut aussi souligner que les fonctionnements ou les alternatives peuvent augmenter soit avec l’augmentation du nombre de ressources pouvant être converties, soit avec les différentes manières d’utiliser une ressource pour agir. Les ressources et les facteurs de conversion sont propres à chaque individu et à chaque situation. Les ressources ne le sont que si 1) elles sont accessibles à la personne, 2) si elles sont utilisables par la personne, et 3) si elles constituent des moyens effectifs pour améliorer la situation (Masciotra & Medzo, 2009). Dans ce schéma, les conditions de l’activité

167 représentent le couplage entre la tâche et le sujet. Toutefois, le sujet et la tâche n’apparaissent pas en tant que tel dans cette représentation. Ce choix tient au fait que l’approche par les capabilités nécessite un autre découpage que celui usuellement adopté par l’ergonomie. Ce découpage permet d’avoir un autre regard sur l’activité et ses conditions. En effet, les conditions internes correspondent ici aux ressources internes et aux facteurs de conversion personnels, et les conditions externes aux ressources externes et aux facteurs de conversion environnementaux et sociaux.

La seconde partie formalise l’aspect activité. L’individu engagé dans l’activité, est orienté par des buts qu’il se fixe. Ces buts amènent l’individu à modifier d’une certaine manière la situation, c’est-à-dire à réorganiser son espace d’activité (Kirsh, 1999). En effet, il va alors être sensible à certaines ressources, parce qu’il va créer les ressources de sa propre action (Béguin & Clot, 2004). L’acteur à partir de ses facteurs de choix va agir sur la situation, sélectionner et rejeter des ressources et des alternatives de fonctionnement qui vont participer à la construction de l’accessibilité capacitante perçue. Ces choix se basent sur la représentation de la situation de l’acteur, et sont influencés par les facteurs de conversion. Dire qu’une personne à une capabilité perçue signifie que la personne a le choix. Ainsi, elle peut réaliser une activité choisie ou une activité contrainte. Quel que soit l’activité retenue elle peut décider d’exécuter ou non la réalisation.

Ce modèle met en évidence qu’il existe deux types d’accessibilité capacitante. La première est l’accessibilité capacitante réelle qui émane des conditions de l’activité. La seconde est l’accessibilité capacitante perçue qui est construite au cours de l’activité par la personne, et qui implique une redéfinition des capabilités.

168 Figure 29 – Modélisation de l’accessibilité capacitante dans l’activité

Dans cette étude, les scénarios simulés ont porté sur des situations de libre choix, c'est-à-dire où les personnes ont la capabilité de se déplacer. La question qui se pose alors est celle des situations de non-choix, comment elles se manifestent et quels en sont les déterminants. Cet aspect de l’activité, non abordé ici, interroge aussi l’accessibilité et l’inaccessibilité. Si l’accessibilité doit offrir aux personnes la capabilité, alors comment se définit l’inaccessibilité empêchant l’expression de la capabilité à se déplacer. L’étude suivante a pour objet d’éclairer cette partie de l’activité entravée.

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