• Aucun résultat trouvé

Du terrain du risque au terrain de la crise.

2.1. Du concept de risque au concept de crise

De nombreux essais de théorisation de la notion de crise ont été menés durant les années quatre-vingt laissant croire que « l’affaire était entendue » selon Lagadec (Gilbert, 2002). Or, la multitude de définitions émanant des différents domaines de recherche amène du flou, de l’ambiguïté dans ce concept (Roux-Dufort, 1999). En se basant sur différents courants de pensée, l’objectif de cette partie est d’esquisser les contours d’une définition de la crise.

2.1.1. Etymologie du terme crise

Au cours des siècles, la signification du mot crise a revêtu différents sens selon le domaine d’étude et l’évolution de la recherche. Crise dérive du grec ancien krisis, qui signifie la décision. Le terme était employé en médecine pour désigner le moment à partir duquel le médecin devait décider du traitement du malade car il était en phase grave d’une maladie. L’équivalent en latin renvoie au terme discriminen signifiant ce qui sépare et qui correspond à un moment de décision.

La langue française (Larousse 2005) hérite de ce terme qu’elle cantonne au domaine de la médecine (crise de nerf, crise d’adolescence) puis par extension qu’elle utilise pour qualifier des moments d’extinction dans le domaine de la géologie et de la biologie (crise du permien et du crétacé correspondant à l’extinction de certaines espèces animales), une phase de rupture d’équilibre entre des grandeurs économiques (crise économique), une remise en question du pouvoir exécutif (crise politique, ministérielle).

Dans la langue chinoise, le sinogramme de la crise est défini à partir de deux symboles, l’un signifiant danger, l’autre opportunité.

L’étymologie du terme crise fait ainsi apparaître quelques attributs : décision, moment, rupture, remise en question du pouvoir, danger mais également opportunité.

Comme le soulignait E Morin (1976) dans son essai « Pour une crisologie » :

« La notion de crise s’est répandue dans tous les domaines […]. Mais cette notion en se généralisant s’est comme vidée de l’intérieur. (Morin, 1976)».

Plusieurs analyses des définitions de crise ont été faites afin de cerner ce concept (Forgues, 1998 ; Lagadec, 1991 ; Jacques, 1997, Libaert, 2003). Or ces définitions semblent difficilement agrégeables puisque, selon le domaine d’étude et le courant de pensée adopté, les situations de crises sont étudiées de manières différentes (Turner, 1978 ; Forgues, 1993). Plusieurs angles de vues sont envisagés pour comprendre les crises : énumération de leurs caractéristiques, détails de leurs causes et de leurs conséquences au travers de définitions synthétiques, développement de typologies de crise basées sur les observations de similarités.

2.1.2. Les caractéristiques des crises dans les définitions

Hermann (1963, in Billings, 1980) définit la crise comme un évènement ayant trois caractéristiques :

la mise en péril des objectifs prioritaires de l’organisation ;

un temps de décision court, les décisions peuvent seulement être prises lors de circonstances favorables ;

la surprise : le côté inattendu ou non anticipé par les décideurs.

Faulkner (2001) énumère les caractéristiques suivantes pour définir une crise :

un évènement déclencheur assez signifiant pour menacer les structures, les opérations de routine et la survie d’une organisation ;

une menace élevée, un temps de décision restreint, la surprise et l’urgence ; la perception d’une incapacité à répondre à l’évènement ;

une situation de changement « turning point », des effets positifs ou négatifs du changement ;

une situation perçue comme fluide, instable, dynamique voir chaotique.

Boin et Lagadec (2000), ayant constaté un changement de nature et de terrain des crises, proposent de nouvelles caractéristiques pour définir les crises futures :

le changement est irréversible ;

les crises ne sont plus dues à un évènement spécifique mais à une mise en résonance globale et polymorphe des systèmes ;

les procédures doivent être repensées dans leur globalité ;

il existe un déséquilibre, une décomposition et une désintégration profonde des systèmes ;

la crise est itérative avec cristallisation rapide du contexte ; la crise est transfrontalière et globale.

Ces nouvelles crises sont qualifiées d’inconcevables, d’impensables. Les multiples attentats terroristes depuis 2001 ont étoffé cette idée.

Ces définitions apportent un éclairage sur le phénomène de crise dans son ensemble sans détailler les causes primaires et les conséquences. Une situation de crise est donc un phénomène menaçant, surprenant car non prévu.

2.1.3. Des définitions synthétiques des crises

Deux types de crises sont envisagés dans notre propos : les crises organisationnelles et les crises de désastres ou de catastrophes. Le premier type est étudié principalement par le domaine des sciences de gestion qui mettent au centre de la réflexion l’organisation en tant qu’initiateur de la crise. Le second type, quant à lui peut être rattaché à l’étude plus générale des catastrophes et des désastres provoqués par un agent naturel ou anthropique.

2.1.3.1. Les crises organisationnelles

Les crises organisationnelles sont définies comme des évènements de faible probabilité, à forts impacts, menaçant la survie des organisations, de par l’ambiguïté des causes, des effets et des moyens de résolution (Pearson, 1997 ; Loosemore, 1998, Sayech, 2004, Sommer, 2006). Shrivastava (1988) définit les crises industrielles comme des phénomènes organisationnels et inter organisationnels, provoqués par des activités organisées entraînant des dommages pour la vie humaine, l’environnement naturel et social ainsi que pour les organisations

Selon les auteurs, les crises résultent des activités à risque des organisations et menacent ces dernières par leur ambiguïté et la complexité de leurs causes et conséquences.

2.1.3.2. Les crises résultantes d’un désastre ou d’une catastrophe

L’utilisation du terme désastre pour nommer des situations de menace pour les communautés, provoque une certaine confusion.

Un désastre est perçu comme un évènement dramatique occasionnant des destructions massives sur les structures techniques, sociales, organisationnelles et économiques des communautés. Les organisations et les entités de réponse sont impactées (Quarantelli, 2000) et elles sont en proie à de multiples problèmes de gestion (Comfort, 2004). Une situation de désastre est perçue comme une construction sociale (Quarantelli, 1998).

Les conséquences des désastres sont sensiblement les mêmes que celles définies lors d’une crise organisationnelle. Seul le point de vue varie entre ces deux conceptions. Dans le premier, les études portent sur les conséquences sociales au sein des communautés, dans le second, les recherches sur les crises organisationnelles se focalisent sur les causes et les conséquences au sein des organisations privées. Dans les deux cas, la liaison avec le risque majeur est présente. A ce titre, les désastres et les catastrophes peuvent être assimilés à des crises. Pour cette étude, les désastres et les catastrophes seront nommés « crise de catastrophes » par opposition aux « crises organisationnelles ».

2.1.4. Des essais de typologies des crises

Diverses typologies de crises existent. Les situations sont classées selon leurs origines, leurs causes ou leurs traits communs. Etablir une typologie permet de rassurer le décideur sur la nature de la situation à laquelle il est confronté.

Mitroff et Pauchant (1988), après avoir étudié prés de 1 000 entreprises mondiales, ont crée un modèle de repérage des crises basé sur deux critères que sont : l’origine de la source de danger (interne ou externe à une organisation) et les facteurs primaires (causes techniques/économiques versus humaines/ sociales/organisationnelles).

De cela découle cinq grandes familles de crises pouvant toucher les organisations : crises économiques, crises informationnelles, crises technologiques, crises environnementales, crises psychologiques et culturelles (Pauchant, 1995).

Kovoor-Misra (1995) définit six types de crises déclenchées par des défaillances présentes dans les dimensions de l’organisation – crises techniques, crises humaines, crises politiques, crises juridiques, crises éthiques, crises économiques – et les catastrophes naturelles à l’origine de situation de crise pour l’organisation qu’elle ne peut contrôler.

Gundel (2005) s’interroge sur le pourquoi et le comment classifier les crises. Selon lui, « si l’on veut connaître comment se développent les différentes crises, quels sont les problèmes qui apparaissent et plus important, comment elles peuvent être appréhendées, une classification qui identifierait les traits communs des crises pourrait être utile. » Ainsi, il préconise de classer les situations selon deux critères : la prédictibilité de la crise et les possibilités d’influence de la part de l’organisation avant et pendant la situation de crise. Selon ces critères, quatre types de crises sont définis :

les crises conventionnelles : ces situations sont prédictibles et le degré d’influence de la part de l’organisation sur la crise est élevé. Les organisations disposent d’une certaine connaissance (probabilité d’occurrence, analyse de risque) de ce type de crise ;

les crises inattendues : ce type de crise est perçu comme rare, non prédictible et l’organisation dispose de peu d’influence sur la crise (manque de préparation, de planification) ;

les crises insurmontables : ces crises peuvent être anticipées mais du fait d’un défaut de préparation, de conflit interne aux organisations, les possibilités d’influence sont faibles ;

les crises fondamentales : elles représentent le type le plus dangereux pour les organisations. Elles sont non prévisibles et non contrôlables du fait d’une absence de connaissance sur la réponse à apporter. Elles sont surprenantes mais rares. Les attentats du World Trade Center sont pris en exemple pour illustrer cette configuration.

Hwang (2000) définit deux types de crises : les crises abruptes et les crises cumulatives. Les premières seraient dues à un évènement déclencheur externe ou interne aux organisations. Les secondes résultent d’une métamorphose ou d’une stagnation de l’organisation. Les causes et les caractéristiques de crises organisationnelles abruptes et cumulatives sont synthétisées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Caractéristiques des crises organisationnelles abruptes ou cumulatives (Hwang,

2000)

Crise abrupte Crise cumulative

Causes Evènement déclencheur (1)

interne ou (2) externe

(1) Métamorphose de l’organisation ;

(2) Stagnation de l’organisation

1. Vitesse de création Rapide Graduelle

2. Prédictibilité Faible Elevée

3. Spécificité Focus Nébuleuse

4. Identification de la crise Claire Floue

5. Point déclencheur Evènements spécifiques Approche de type seuil

6. Probabilité d’occurrence Probabilité constante Probabilité croissante