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Chapitre 4 Expériences de dépôt de charges par la pointe

4.4 Nanocristaux de silicium enfouis dans du SiO 2

4.4.1 Comportements au chargement

Nous avons mis en évidence à l’aide des échantillons présentés dans la partie 3.5.3 page 97, trois grands types de comportement à l’injection de charges.

Echantillon E1 : comportement métallique

Le premier échantillon, dénommé E1, possède le plus fort taux de silicium dans la couche de SRO. L’ajustement de la mesure de spectroscopie ellipsométrique fournit un taux de∼40% de silicium dans la

matrice de SiO2, ce qui correspond à une couche de SRO de SiO0,81. Ce pourcentage élevé de silicium suggère que la densité de nanocristaux est très grande, car il a été établi que la taille varie peu avec le taux de silicium déposé. Rappelons que la plus forte densité de nanocristaux observée en microscopie électronique à transmission est de1012cm−2. Cette hypothèse de haute densité est confirmée par les ex- périences de chargement par AFM que nous avons menées. Ainsi que l’illustre la figure 4.12, l’injection locale de charges par la pointe ne peut être correctement imagée, car les charges se dispersent dans le

4.4. Nanocristaux de silicium enfouis dans du SiO2

FIG. 4.12: Comportement au chargement de l’échantillon E1. Seules les images de signal EFM sont représentées,

avec une pleine échelle de 4◦. a) : L’injection de -10 V/1 s est effectuée à la moitié de l’image. Il apparait des

régions diffuses de charges. b) : Au retour, les charges ont déjà disparu.

réseau de nanocristaux sur une échelle de temps inférieure au temps caractéristique d’imagerie en mi- croscopie. Afin de réussir à imager une partie des charges au moins, l’injection de -10 V/1 s est faite à mi-chemin du balayage, c’est-à-dire à l’endroit même où sont injectées les charges. De faibles contrastes du signal EFM, dispersés sur toute la surface imagée, indiquent que des charges se trouvent encore autour du point d’injection. Cependant elles ne perdurent pas car elles ont disparu sur l’image suivante. Nous avons par conséquent classé cet échantillon comme présentant un comportement métallique, c’est-à-dire laissant librement les charges circuler. Il faut cependant nuancer le terme "métallique" : s’il est juste que l’AFM ne permet pas d’imager correctement les charges injectées sur cet échantillon, en revanche la mo- bilité de ces charges est tout de même fortement réduite en comparaison avec un vrai métal. C’est pour cette raison que nous imageons au moins une partie des charges. Tout n’est question que d’échelle : la mobilité des charges à l’échelle du temps d’imagerie en AFM est très grande. A l’échelle de la mobilité des électrons dans un métal, elle serait certainement très petite.

Echantillon E2 : comportement partiellement confinant

Le deuxième échantillon, dénommé E2, présente un taux bien inférieur de silicium : les mesures de spectroscopie ellipsométriques fournissent un taux de 8% environ. La couche de SRO est donc du SiO1,67 et la densité de nanocristaux est plutôt faible. Une expérience d’injection de charges à -10 V pendant 10 s est représentée sur la figure 4.13. De toute évidence, l’échantillon E2 confine plutôt bien les charges, car il est tout à fait possible de les imager par EFM. La particularité de cet échantillon réside dans le contour rugueux de la zone chargée que l’on distingue très bien sur la figure 4.13a).

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FIG. 4.13: Comportement au chargement de l’échantillon E2. Les conditions de chargement sont -10 V/10 s. a) :

Image de signal EFM. La tache de charge est rugueuse. b) : Profi l de l’image EFM montrant l’inhomogénéité des régions chargées.

Nous attribuons cette rugosité à la distribution inhomogène des nanocristaux au sein de la couche. Les charges, fixées dans les nanocristaux par blocage de Coulomb, ne font que refléter cette distribution. Nous pouvons d’ores et déjà remarquer que la plus petite fréquence spatiale mesurée sur la figure est de l’ordre de la centaine de nanomètre. Or cette valeur correspond à la limite de résolution de l’EFM. Nous avons par conséquent conclu que le contour est certainement encore plus rugueux. C’est la méthode de mesure qui nous limite. Cette inhomogénéité ne se limite pas au contour du nuage d’électrons : comme le souligne le profil de charges de la figure 4.13b), la répartition même des électrons au sein du nuage n’est pas homogène. Il existe des régions dans lesquelles les électrons se regroupent préférentiellement. Il est donc possible sur cet échantillon de visualiser indirectement la distribution très inhomogène des nanocristaux. En outre, cet échantillon possède la propriété de laisser s’étaler dans le plan les électrons sur une échelle de temps mesurable par EFM. En d’autres termes, nous pouvons observer le mouvement de l’ensemble des électrons, et cela sur une échelle de l’heure. Cet étalement des charges fait l’objet d’une étude plus approfondie dans la partie 4.4.4, afin de déterminer quels mécanismes gouvernent la mobilité des électrons.

Echantillon E3 : comportement fortement confinant

Le troisième échantillon, appelé E3, est quant à lui à l’opposé du premier : il confine très fortement et durablement les électrons injectés. Avec un taux de silicium mesuré par spectroscopie ellispométrique de 6% environ, sa densité de nanocristaux est la plus faible parmi les trois échantillons étudiés. Ainsi que l’illustre la figure 4.14a), les charges injectées se répartissent uniformément sur un disque autour du point d’injection. Le nuage d’électrons présente un profil ressemblant à une gaussienne (fig. 4.14b). Cette variation est un indice que la distribution de charges est uniforme. Si elle semble plus forte au centre du nuage, ceci est dû au fait de la taille non nulle de la sonde AFM qui détecte un signal avant d’être

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FIG. 4.14: Comportement au chargement de l’échantillon E3. Les conditions de chargement sont -8 V/0,5 s. a) :

Image de signal EFM. La tache de charge est un disque centré sur le point d’injection. b) : Profi l de l’image EFM montrant la distribution homogène des charges.

à l’aplomb de la charge. Néanmoins, cette hypothèse demandant à être confirmée, nous avons poussé l’étude dans la partie 4.4.3 en partant de l’idée que si la distribution en charge dans les nanocristaux est uniforme, c’est qu’il y a un phénomène de saturation qui interdit de concentrer plus de charges. C’est cette saturation que nous abordons par la suite.

La particularité de cet échantillon réside de plus dans la stabilité de la charge injectée : non seulement la charge est détectable plusieurs heures après injection, mais les dimensions du nuage d’électrons ne pré- sentent pas de variation. Ce phénomène est illustré par la figure 4.15. Afin de tracer le sigle "ESRF", la pointe est polarisée alternativement pour chaque lettre à -6 V puis +6 V, puis déplacée sur la surface à vitesse constante (typiquement 1µm par seconde). Pour l’imagerie EFM, la pointe est polarisée à -

2 V, afin de faire apparaître un contraste entre les électrons et les trous injectés (fig. 4.15b). Les nuages

FIG. 4.15: Stabilité de la charge dans l’échantillon E3. Le sigle "ESRF" a été "écrit" avec des charges, en polarisant

la pointe alternativement à -6 V et +6 V. a) Image de topographie de1, 5 × 3 µm2

. Les charges apparaissent comme une hauteur apparente. b) : Image EFM effectuée en polarisant la pointe à -2 V. La polarité des charges est mise en valeur : contraste clair pour les électrons, contraste sombre pour les trous. c) : Image EFM effectuée 4 heures après injection. La pointe est polarisée à +1 V. Le sigle est toujours bien lisible, les nuages d’électrons ne sont pas étalés mais seulement estompés.

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s’estompent bien au fur-et-à-mesure du temps, mais ne s’étalent pas (fig. 4.15c). Ceci est d’autant plus surprenant que l’on s’attend à une attaction entre électrons et trous tendant à la recombinaison de ces charges. Cette observation est une indication que les électrons sont très fortement liés aux nanocristaux. Malgré la forte répulsion qui existe entre les électrons, la mobilité des charges est nulle. Nous expli- querons ce phénomène dans la partie 4.4.3 par le blocage du passage d’un nanocristal à l’autre par effet tunnel. Cet effet serait en effet impossible du fait de la saturation en charge des nanocristaux, sauf à la périphérie du nuage.

Afin de mettre en évidence le confinement très fort des charges au sein des nanocristaux, nous avons tenté des expériences de déchargement (voir figure 4.16). Immédiatement après avoir injecté des élec-

FIG. 4.16: Déchargement de l’échantillon E3. a) : Image EFM après injection d’électrons dans les conditions

-12 V/0,5 s. b) : Image EFM après injection de trous (+12 V/0,5 s) décalé de 200 nm par rapport au nuage des électrons. La pointe est polarisée à -1 V, afi n de faire ressortir le contraste entre charges positives et négatives. Au lieu de se recombiner, électrons et trous se cotoient.

trons dans les conditions -12 V/10 s, une image EFM est enregistrée (fig. 4.16a). Ensuite la pointe est remise au contact au même emplacement, cette fois avec une polarisation de +12 V pendant 10 s. Au lieu de décharger les nanocristaux, des trous sont injectés juste à côté des électrons (fig. 4.16b). Le profil sur la figure 4.16c) met en évidence une zone à l’interface des deux nuages qui n’est pas chargée. Cette situation est stable et n’évolue pas dans le temps, si ce n’est que les deux nuages s’estompent progressi- vement. Au vu de la stabilité de la charge, le cas de figure dans lequel les charges ne se trouveraient pas dans les nanocristaux mais dans le volume du SiO2 peut être écarté. En effet, la situation où le déchar- gement ne pouvait s’effectuer a déjà été rencontrée pour un échantillon de SiO2. Il avait alors été conclu que les charges se dispersaient dans le volume de l’oxyde au lieu de rester en surface. Cependant, aucun échantillon de dioxyde de silicium n’a jamais présenté des temps de rétention aussi longs.

Les nanocristaux sont donc indispensables à la rétention des charges, cependant leur densité joue un rôle critique. Comme l’illustrent les trois échantillons présentés ci-dessus, des comportements aussi

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extrêmes que métallique ou bien fortement confinant peuvent être rencontrés. Le régime intermédiaire est quant à lui le plus délicat à obtenir. En effet, les échantillons E2 et E3 possèdent des taux de silicium (et donc des densités de nanocristaux) très proches, respectivement de 8 et 6%, et présentent pourtant des comportement au chargement très dissemblables. Cette frontière très fine entre confinement fort et confinement partiel nous mène à penser que la conduction obéit à un phénomène de percolation dicté par les distances inter-cristaux. En effet, un mécanisme de transfert très probable pour l’électron d’un nanocristal vers son voisin est l’effet tunnel. Or, cet effet possède une dépendance exponentielle avec la largeur de la barrière de potentiel à franchir. Une variation de 5 Å de cette distance entraine une variation de la probabilité de passage de plusieurs ordres de grandeurs [89]. En pratique, la reproductibilité d’un échantillon tel que l’échantillon E2 est très délicate à obtenir : il suffit que le temps de passage entre deux nanocristaux varie de trois ordres de grandeur pour que la mobilité des électrons apparaisse par mesure EFM soit comme nulle, soit comme trop rapide pour être mesurable. Nous mesurons ici l’importance de l’échantillon E2. En pratique, tous les échantillons qui nous ont été fournis par la suite, même ceux fabriqués dans les mêmes conditions que l’échantillon E2, ont présentés des comportements soit mé- tallique, soit fortement confinant. Des gradients éventuels de température à l’intérieur du four de recuit influençant sur la nucléation des nanocristaux est une explication avancée pour justifier le manque de reproductibilité des échantillons.