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Chapitre 4 Expériences de dépôt de charges par la pointe

4.1.1 Bref historique du chargement des diélectriques

La littérature de ces trente dernières années foisonne de publications sur le transfert de charges entre un métal et un isolant ou même entre deux isolants par électrification de contact. Loin de vouloir être exhaustifs, citons les travaux de I. Lundström et C. Svensson [118], C.G. Garton [119], J. Lowell et A.C. Rose-Innes [120] et D.R. Wolters et J.J. van der Schoot [121]. Ils couvrent dans les grandes lignes les problèmes abordés sur le transfert de charges à un diélectrique dans les années 70 et 80. Un des questionnements principaux ressortant de ces publications est l’existence de pièges de surface et/ou de volume dans le diélectrique conduisant selon l’isolant à un chargement de surface ou bien de volume jusqu’à un micron de profondeur. Il est aujourd’hui communément admis que l’injection de charges dans un diélectrique est un processus électronique qui transfère des charges élémentaires depuis le niveau de Fermi de la pointe métallisée (augmenté deeVEF M, si celle-ci est polarisée) vers des états localisés de la large bande interdite du diélectrique. Pour ce transfert, deux effets sont possibles : un effet Schottky activé thermiquement (saut par-dessus la barrière de potentiel à l’interface métal-isolant), ou bien un effet tunnel. Ce dernier semble plus plausible dans la cas des diélectriques à très large bande interdite du fait de la faible probabilité d’une activation thermique des électrons à sauter la barrière de potentiel.

La théorie des "MIGS" ("Metal-Induced Gap States") propose un mécanisme de transfert de charges dans un premier temps vers des états localisés de surface, puis dans un deuxième temps vers des états localisés de volume. Le contact métal-isolant créerait en effet une hybridation des états de la bande de conduction du métal et des bandes de conduction et de valence de l’isolant et aboutirait à la création d’états localisés en surface. Ces états ne dureraient que le temps du contact et disparaitraient ensuite, forçant les électrons soit à une évacuation par la bande de conduction de l’isolant (non mesurable à l’échelle des temps accessibles à un AFM), soit à une capture par les pièges de volume. Cette théorie explique alors pourquoi certains diélectriques présentent une mise à l’équilibre lors du contact quasi- immédiate (≤1 ms), tandis que d’autres nécéssitent des contacts répétés avant d’atteindre la saturation.

4.1. L’échantillon de référence : le dioxyde de silicium

Dans ce dernier cas, la faible densité des états de surface limiterait le transfert de charges vers les états de volume.

L’étalement de la charge déposée à l’interface entre deux isolants est un phénomène développé de manière théorique et analytique par I. Sommerville et P. Vidaud [122]. S’appuyant sur l’hypothèse d’une résistance de surface ohmique, et en interdisant la diffusion des charges à travers le diélectrique de plus grande permittivité, ils montrent que l’étalement de la charge s’effectue à vitesse constante. Avec une résistance de surface de1012Ω, la charge déposée est calculée comme disparaissant avec un temps ca-

ractéristique de 20 ms. Ce temps très faible est peut-être dû à la résistance de surface, qui serait choisie trop petite. De plus, le profil surfacique de la charge serait similaire si celle-ci s’enfonçait dans le diélec- trique. Les auteurs ne tranchent donc pas sur la question de la localisation en surface ou en volume des pièges.

Il a fallu dans tous les cas attendre l’invention de la microscopie à force atomique puis électrostatique pour venir vérifier de telles hypothèses. Dès la deuxième moitié des années 80, J.E. Stern et al. [19, 26] puis C. Schönenberger et S. Alvarado [27, 28] étudient le chargement de surfaces diélectriques et la ci- nétique de ces charges. J.E Stern et al. attribuent l’élargissement du paquet de charges détecté sur une surface de PMMA à une mobilité de surface, mais concèdent cependant que d’autres mécanismes pour- raient être à l’origine de cet étalement. Toujours sur une surface de PMMA, C. Schönenberger conclut qu’au vu de la densité de pièges dans le polymère et de la charge transférée depuis la pointe, des états localisés jusqu’à 10 nm sous la surface peuvent être occupés. De plus, il n’observe aucun changement dans le comportement temporel lorsqu’il fait varier la concentration des ions de surface, et en déduit que les charges sont bien transférés vers des états localisés de volume. Aujourd’hui encore, la dynamique des charges dans des diélectriques fait l’objet de travaux de recherche [123, 124, 125, 126]. L’existence de pièges de surface et de volume est en effet dépendant du matériau étudié et de sa méthode de fabrication. Le système SiO2 sur Si a récemment fait l’objet d’étude en EFM par G.H. Buh et al. [127]. Les auteurs effectuent des chargement à±10 V jusqu’à 60 s sur des couches de 25 nm de SiO2. Ils recensent trois mécanismes susceptibles d’évacuer la charge après injection :

1. La charge piégée est libérée et s’évacue par effet tunnel vers le substrat.

2. La charge migre sur la surface par conduction ohmique sous l’effet de la force coulombienne répulsive.

3. La charge diffuse sur la surface selon la loi de Fick :J = −D∇n, où J, D, n sont respectivement la densité de courant, le coefficient de diffusion et la densité de charge.

Afin d’élucider quel(s) mécanisme(s) prend (prennent) réellement place, ils enregistrent la décroissance du signal EFM en fonction du temps en interrompant l’axe lent du balayage au-dessus d’une tache de charge. Le graphe correspondant et plusieurs profils effectués 0, 50, 256, puis 512 s après injection sont

Chapitre 4. Expériences de dépôt de charges par la pointe

FIG. 4.1: Evolution temporelle d’un paquet de charges sur SiO2. Les conditions d’injection sont +10 V/10 s. a) :

Evolution du diamètre de la tache de charge. Les contours représentent les 25%, 50% et 75% du maximum du signal. b) : Profi ls du signal EFM après 0(i), 50(ii), 256(iii) et 512(iv) secondes. D’après [127].

représentés sur la figure 4.1. Le SiO2 présente une rétention de la charge caractéristique de quelques minutes, la charge s’étalant latéralement comme le montre la figure 4.1b). A partir de cette expérience, ils observent que la charge est conservée au cours du temps, et par conséquent éliminent le mécanisme d’évacuation vers le substrat par effet tunnel. Si ce mécanisme intervient, c’est sur une échelle de temps supérieure à celle de la mesure de 10 minutes. En revanche, si les deux autres mécanismes sont mis en œuvre, alors il est possible de recréer le profil d’étalement de la charge au cours du temps ainsi que sur la figure 4.1a). Le coefficient de diffusion est établi à environ1012 cm2·s−1, ce qui correspond à une mobilité très faible des charges sur la surface, induisant un mécanisme de saut ("hopping") des charges de piège en piège. Si la densité de charge est ajustée à1010e.cm−2soit6 · 10−6C.m−2, alors diffusion et effet de répulsion coulombienne créent des courants comparables.