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II) Les flavonoïdes dans Vitis vinifera

II.6) Complexes multienzymatiques

La richesse de la biosynthèse des flavonoïdes réside dans le grand nombre d'enzymes impliquées. Dans plusieurs cas, certaines enzymes partagent les mêmes substrats et donc sont en compétition pour leur réaction. Par ailleurs, sachant que les molécules de type leucoanthocyanidine sont instables, comment expliquer que nous observions malgré tout les produits de réaction les utilisant comme substrats? C'est pour répondre à ces questions que, dès 1969, Stafford émet l'hypothèse qu'il se formerait un complexe multienzymatique lors de la réalisation de cette biosynthèse [47]. Cette superstructure, appelée métabolon, est définie comme l'assemblage de plusieurs enzymes qui interagissent entre elles [48], par l'intermédiaire d'interactions faibles, et forment ainsi une structure fonctionnelle transitoire qui serait ancré dans la membrane du réticulum endoplasmique. La Figure 13 montre de

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Figure 13: Schéma d'un métabolon impliqué dans la biosynthèse des flavonols (en haut) et des flavonoïdes (en bas). Chaque acronyme désigne une enzyme, et cet ensemble serait en

interaction avec la membrane cellulaire. Tiré de la ref n°[48].

L'hypothèse émise par Stafford en 1969 est appuyée par ses observations qui montrent que les intermédiaires associés à des réactions enzymatiques ne sont pas observés (ou en très faibles quantités) dans les cellules de la plante. Cela implique donc que ces derniers ne seraient pas libérés dans le milieu intracellulaire car retenu dans le complexe supramoléculaire. Ainsi, la structure présenterait une connexion des sites actifs des différentes enzymes impliquées dans sa formation, et les intermédiaires transiteraient d'un site actif à l'autre sans diffuser dans l'espace cytosolique. Ce phénomène est connu sous le nom de "substrate channeling" et est l'un des principaux avantages offert par la formation d'un métabolon. Par ailleurs, une récente étude de Crosby et al. [49] met en évidence une enveloppe de ce complexe dans la biosynthèse des flavonoïdes au sein de l'organisme

Arabidopsis thaliana.

Plusieurs études sur la cinétique associée au phénomène de "substrate channeling" ont été proposées ces dernières années [50, 51]. Le phénomène de co-localisation de ces différentes enzymes, et donc des molécules pouvant être substrats et/ou produits, permet une optimisation du processus de biosynthèse par différents points : i) pas de perte de substrat dans le cytoplasme par diffusion jusqu'à la prochaine protéine ii) protection des molécules instables et/ou toxiques iii) temps de diffusion grandement diminué, iv) sélection d'un chemin unique de biosynthèse, réduisant ainsi les compétitions entre protéines. Cependant, concernant la catalyse enzymatique, une hypothèse a été proposée : l'agrégation d'enzymes les unes aux autres a un impact sur la réactivité propre de chaque protéine. Les réactions dans les enzymes deviennent moins efficaces et l'énergie d'activation s'en retrouve modifiée [52], à cause des effets allostériques induits par les interactions protéine-protéine. Toutefois, la diffusion de

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substrats d'une enzyme à l'autre constitue l'étape limitante sur la biosynthèse totale. Ainsi, et même si les réactions de chaque enzyme sont moins efficaces, le gain de temps sur la diffusion fait que l'association des enzymes en métabolon optimise de manière significative la catalyse globale de la biosynthèse des flavonoïdes.

En dehors de cette biosynthèse particulière, plusieurs études montrent que des structures de ce type se formeraient dans d'autres organismes [51, 53]. Dans certains cas, des équipes ont réussi à obtenir un cristal de ce type de structure [54, 55]. Ainsi Lomakin et al. ont cristallisé la "fatty acid synthase" au sein d'une levure, une méga-enzyme responsable de la synthèse des acides gras correspondant à une machinerie moléculaire composée de pas moins de 8 sites actifs! Dans ce cas précis, le complexe n'est plus de nature transitoire car les enzymes permettant la formation des acides gras ont évolué dans certains organismes (par exemple les champignons) en un complexe multienzymatique permanent d'une masse de 2,6 mégadalton. Alors que dans les plantes, ces enzymes restent indépendantes mais peuvent s'assembler de manière transitoire [56].

Néanmoins, l'organisation spatiale des enzymes en interaction reste sujet à débat. Deux théories existent : la première défendue par l'équipe de Jørgensen et al. [57]consiste en un rassemblement linéaire d'enzymes, impliquant qu'une seule voie de biosynthèse serait alors possible dans ce complexe. Un métabolon se formerait de façon à favoriser la biosynthèse d'une famille de composé, par exemple vers le développement d'anthocyanes lors de la phase de maturation de la plante. La seconde théorie, défendue par Ralston et al. [58] propose un modèle où les différentes enzymes, participant à plusieurs biosynthèses, sont empaquetées ensemble. Par exemple, ils émettent l'hypothèse d'un métabolon commun entre ces deux voies, comme le montre la Figure 14.

Figure 14 : Représentation d'un métabolon qui serait à la fois impliqué dans la biosynthèse des flavonoïdes et dans celle des flavonols, d'après l'article de Ralston et al.[58]

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39 Il faut toutefois noter que malgré cette légère différence, les auteurs des deux revues sont en accord sur la plupart des points caractérisant ce type de complexe.

Le rôle des enzymes de type cytochrome P450 est double dans ce type de complexe. En effet, au delà de leur rôle catalytique dans la biosynthèse des flavonoïdes (exemple de la F3'H qui gère le degré d'hydroxylation du cycle B), elles servent aussi d'ancre à la membrane [58] pour le complexe multienzymatique par leur partie N-terminale qui est transmembranaire [59, 60]. Cette propriété des enzymes de type cytochrome P450 induit un phénomène de co- localisation des protéines autour de la membrane (voir Figure 13 et Figure 14), propice à la formation des complexes supramoléculaires. De par cet ancrage, de nouvelles interactions de surface enzyme-membrane vont être créées, permettant d'apporter de la stabilité à ce complexe [61]. Ainsi, cette ancre serait donc la clé permettant au complexe d'exister suffisamment longtemps pour permettre la cascade de réactions chimiques.

La compréhension des mécanismes associés à la formation de ce métabolon, ainsi que de ses propriétés, passe par l'étude de 4 points:

• Interactions entre enzymes

• Mécanismes d'entrée et de sortie des composés

• Interactions protéines/membrane

• Réactivité enzymatique

Dans ce travail, nous avons choisi d'étudier le métabolon au travers d'un complexe de trois enzymes, qui regroupent l'ensemble des points clés cités. Les résultats pourront ainsi être extrapolées sur un complexe multienzymatique aussi important que la Figure 13, dont l'étude totale n'est pas réalisable. Nous avons donc choisi des enzymes qui nous permettront d'étudier tous les aspects de ce type de complexe. L'enzyme Flavonoide-3'-hydroxylase (F3'H) a été choisie pour permettre l'étude des interactions protéine/membrane. Nous avons ensuite décidé de choisir la dihydroflavonol-4-reductase (DFR), très étudiée car elle constitue la dernière étape commune entre la biosynthèse des anthocyanes et des proanthocyanidines. Enfin, la troisième enzyme choisie est la leucoanthocyanidine reductase (LAR), première étape réactionnelle vers la formation des tannins condensés.

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