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Communication managériale et organisations de l’économie sociale et solidaire

public aux fondements d’une idéologie de la communication

Section 2. Communication managériale et marketing, les outils d’une rationalité

1.2.2. Communication managériale, regards historiques et fondements

1.2.2.2 Communication managériale et organisations de l’économie sociale et solidaire

C’est le cas notamment de Laurence Baranski57 qui affirme dans une interview consacrée à la revue Futur et citoyenneté de 2004 : « oui le management fait peur, mais ce n’est pas un

outil de l’entreprise, c’est un outil de la gestion des hommes. Or, une association est un système de gestion des hommes ». Par conséquent, elle affirme que le management est un outil qui peut être mobilisé

par l’action associative. Et elle va même plus loin en constatant que les entreprises ont de bons outils. La preuve en est, elles ont de bons résultats. Dès lors, ceux-ci peuvent être appliqués partout, notamment pour éviter les conflits dans les organisations de l’économie sociale et solidaire. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques principales des actions de management au sein du secteur associatif qui a pour but d’éviter les situations de conflits et de faciliter l’émergence consensuelle. Un trait identitaire de ce « mode de gestion des hommes » qui selon moi rejoint l’importance donnée au leadership car, comme je le montrerai plus tard (chapitre IV), l’idée du consensus n’est pas toujours l’accord harmonieux, mais plus régulièrement un mode d’acceptation d’une relation de subordination.

57 Laurence Baranski est l’auteur du livre Le manager éclairé, paru en 2005 aux éditions d’Organisations.

Consultante sur des actions de management, de communication et de conduite du changement, elle a expérimenté différentes approches en développement personnel. Elle dirige la société SLB Conseil et co- anime l'association Interactions Transformation Personnelle-Transformation Sociale, née au cours de l'année 2001 dans le réseau de Transversales Sciences/Culture.

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Les enjeux d’une communication managériale dans l’économie sociale et solidaire

Selon certains auteurs la communication interne propre aux organisations associatives nécessite de se pencher sur la place des bénévoles. Au-delà des questionnements autour de leurs particularités vient très vite la question du « recrutement ». L’accent est alors mis sur « l’opportunité de sélectionner les candidats au bénévolat » (Gallopel-Morvan, Birambeau, Larceneux, et Rieunier, 2008, p.31) par un entretien individuel qui permettra de « déceler ce

qui est volonté de rattrapage social grâce au prestige du bénévolat ou, au contraire, sincérité de l’engagement » (Gallopel-Morvan, Birambeau, Larceneux, et Rieunier, 2008, p.31). Et on vient

alors tout naturellement aux techniques de management qui ne disent pas leurs noms en questionnant : comment intégrer, gérer et fidéliser les bénévoles de terrain ? Cette gestion tient en six points.

Tout d’abord, il s’agit d’accueillir les futurs bénévoles par une immersion progressive recommandée. Ensuite, il s’agit de fixer les objectifs de leurs actions au sein de la structure. Toutefois, il est souligné l’importance de « respecter les aspirations des bénévoles ». Dans un troisième temps, les tenants du management associatif soumettent l’idée d’accompagner les individus entrants. Je soulignerai, une fois de plus la place prédominante qui est faite à la figure du leader lorsqu’il est suggéré qu’un bon accompagnateur doit avant tout être un mentor, un professeur, un juge et un coach ! Tout cela à la fois ! Il n’y a donc pas ici de place à une relation altère car ce genre de dissymétrie ne favorise pas l’émergence d’un sentiment d’égalité qui semble pourtant être un des principes forts de l’économie sociale et solidaire58. Programmer des formations, notamment pour renforcer les compétences techniques des bénévoles est une autre préconisation de cette école du management associatif, répondant ainsi à une logique de performance accrue. Enfin, il s’agit de valoriser le travail bénévole et de fidéliser leurs actions. En d’autres termes, ceux-ci doivent se sentir acteurs et impliqués pour pérenniser leurs actions.

Pour les tenants du management dans les OESS, les valeurs fondamentales à préserver sont la conservation de l’esprit militant, le développement de la convivialité, l’optimisation des relations entre salariés et bénévoles et la gestion des conflits. Plus précisément, ils affirment que « les administrateurs doivent être en mesure de prendre en compte les

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principales composantes du management associatif depuis la stratégie jusqu’au développement des ressources (levée de fonds, subventions, partenariats, etc.) en passant par les diverses techniques de communication » (Gallopel-Morvan, Birambeau, Larceneux, et Rieunier, 2008, p.45).

Objectifs de la communication managériale dans les organismes de l’économie sociale et solidaire

L’objectif premier d’une vision managériale interne à une structure de l’économie sociale et solidaire repose sur la consolidation d’une identité. En effet, il s’agit d’impliquer l’ensemble des bénévoles dans la mise à disposition de leurs engagements respectifs pour certaines valeurs collectives partagées. Or, ce qui différencie profondément l’entreprise de la structure de l’économie sociale et solidaire c’est la reconnaissance. Si « celui de l’entreprise est

largement alimenté par la rémunération financière » (Libaert and Pierlot 2014, p.70), celui de

l’association est quant à lui alimenté par le capital confiance accordé par les sympathisants de la structure. Dès lors, concernant notamment les associations, je pense comme Libaert et Pierlot, que « la communication interne s’effectue davantage sur un mode relationnel que sur un mode

procédural, utilitaire » (Libaert and Pierlot 2014, p.70). En effet, un des piliers de l’action de

l’économie sociale et solidaire est de faire primer le lien sur le bien. Ainsi, il est légitime de penser que la communication interne s’avère fondamentale dans cette démarche.

Or, pour d’autres auteurs, il s’agirait de « recruter » des bénévoles en fonction des « besoins » de la structure. Ainsi, « une fois les besoins déterminés et affichés, les cibles potentielles

alertées, un certain nombre de candidats peut se manifester par contact direct. On se retrouve devant l’opportunité de sélectionner les candidats au bénévolat » (Gallopel-Morvan et al. 2008, p.31). Il s’agit

bien là d’un mode de « gestion » du bénévolat visant à sélectionner les plus « performants » pour une tâche, voir même parfois à formaliser par écrit celle-ci dans une « fiche de poste ». Dans cette logique, ce qui prédomine c’est la rationalisation, car les « bénevoles coûtent, en effet,

en investissements et en temps pour leur recrutement, leur encadrement, en occupation des locaux, en formation, en frais de missions, etc. » (Gallopel-Morvan et al. 2008, p.34). Dès lors, au-delà d’un

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recrutement choisi il s’agit ensuite de fidéliser les plus performants par une « véritable

politique globale de gestion des bénévoles59 » (Gallopel-Morvan et al. 2008, p.34).

Conclusion

L’objectif de ce premier chapitre était de montrer en quoi une certaine conception de la communication pousse certains acteurs alternatifs au capitalisme à s’emparer de plus en plus de formes de communication marketing et managériale. Ainsi, pour commencer, je me suis efforcé de retracer l’émergence socio-historique d’une première interprétation des théories de l’information et de la communication, que j’ai nommée instrumentale, en m’appuyant sur l’analyse de la transformation de l’espace public (section 1). Ensuite, j’ai mis en relief l’existence d’outils issus de cette première tendance gestionnaire de la communication. Plus précisément, j’ai décrit les fondements et les enjeux de la communication marketing, ainsi que de la communication managériale, tout en mettant un point d’honneur à montrer la tendance des acteurs de l’économie sociale et solidaire à s’emparer de ceux-ci (section 2).

Pour être plus précis, c’est une véritable démarche historique que j’ai entreprise dans les pas des philosophes Jürgen Habermas et Richard Sennett. En effet, pour donner corps à mon développement visant l’éclaircissement d’une dimension idéologique de la communication j’ai décidé, tout d’abord, de mettre en lumière la constitution d’un ensemble de croyances et de doctrines enchâssées dans une matrice sociohistorique en construction, et favorisant l’action. Considérant l’idéologie comme étant générée j’ai pu

59 Les auteurs n’ont probablement jamais ouvert les œuvres publiées par le sociologue Jacques Ion (2001) qui

nous explique, par une démarche empirique puissante, que le militantisme suit une trajectoire complexe et chaotique pour lequel il relève « l’affaiblissement du «nous», la plus grande autonomie des personnes par rapport aux

réseaux, un fonctionnement interne moins collectivisé et moins anonymisé, un moindre formalisme juridique, un moindre emploi du nombre comme moyen de revendications, des actions souvent pensées comme des «coups», l’exigence accrue de technicité, une participation davantage à la carte, une plus grande intermittence des adhésions, un moindre souci d’implantation durable et massive, l’utilisation des compétences personnelles, un autre rapport au temps» (Ion, 2001, p. 79). Autrement dit, le

militant aujourd’hui est devenu hédoniste, poursuit sa satisfaction personnelle avant de se sacrifier pour le groupe, ou la cause. Voilà pourquoi il aura tendance à s’opposer à un militantisme « classique » à la dimension politique plus affirmée et pourquoi il éprouvera des difficultés à être fidèle car à la première difficulté il ira s’adonner à d’autres gratifications associatives. Dans ce cadre-là, ce n’est pas le management et autre outil de gestion qui permettra au responsable associatif de préserver la dynamique bénévole. Je pense, en contre ce projet utilitariste, et avec Jacques Ion, que ce dont a besoin le responsable associatif aujourd’hui c’est d’un projet politique fort, fédérateur et redynamisant afin d’éviter la « fin du militantisme » (Ion, 2001, p.78). C’est une proposition que nous développerons plus tard, mais qui repose essentiellement sur la dimension identitaire des structures de l’ESS en général et donc leurs objectifs qui, rappelons le, sont ceux de « démocratiser l’économie par un engagement citoyen » (Laville 2011).

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montrer la naissance d’une doctrine communicationnelle dans les méandres sociaux d’une communauté politique dont l’acte fondateur fut la Révolution de 1789. Au travers du regard du philosophe allemand Jürgen Habermas, j’ai pu souligner l’instrumentalisation de cet espace de débat contradictoire. Avec Richard Sennett j’ai mis en relief l’abandon des dimensions symboliques constituantes de l’activité communicationnelle au profit d’une « publicité de soi-même » appauvrissant la dimension délibérative des échanges et favorisant l’émergence d’une idéologie communicationnelle (Section 1 – partie 1). Par ailleurs, j’ai montré en partie 2 de cette première section que cette mutation de l’espace public mettait en lumière l’avènement d’une utopie communicationnelle qui prendra racine dans les théories pionnières des sciences de l’information et de la communication, et s’épanchera dans un contexte social tridimensionnel favorable (politique, symbolique et économique).

Par ailleurs, je soutiens, avec Paul Ricoeur (1974), que les logiques institutionnelles idéologiques sont génératives. Par conséquent, à la suite du développement théorique effectué précédemment j’ai montré l’émergence d’un ensemble de techniques instrumentales, proposées par les sciences de gestion, et productrices d’outils performatifs. J’ai alors tenu à souligner l’émergence et la croissance du marketing, en mettant un point d’honneur à souligner la tendance des acteurs de l’économie sociale et solidaire à s’en emparer (section 2 – partie 1). Puis, j’ai poursuivi mon argumentation en me tournant vers les techniques managériales. Considérant qu’il faut convaincre ces propres troupes avant de convaincre la masse, cette technique de gestion a elle aussi tendance à coloniser les habitudes du secteur de l’économie sociale et solidaire (section 2 – partie 2).

Ainsi, la dépolitisation de l’espace public cumulée à interprétation gestionnaire du paradigme mathématique de la communication a eu, selon moi, deux conséquences notoires. La première, dans un contexte symbolique, géopolitique et économique favorable, consacra l’utilisation des techniques du marketing, et plus largement de la communication marketing, comme grammaire principale d’apparition dans l’espace public. La seconde a plus largement « contaminé », depuis un épicentre économico-politique libéral, l’ensemble des logiques alternatives. C’est notamment le cas de celles du mouvement de l’économie sociale et solidaire (notamment les associations), qui souffre aujourd’hui d’une tendance au rabattement institutionnel. Autrement dit, les organisations citoyennes ont tendance à

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reproduire des modes de gestion que l’on retrouve dans les sphères entrepreneuriales, comme je vais le montrer plus en détail dans le chapitre suivant.

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Introduction

Entre une économie capitaliste, une économie capitaliste responsable, collaborative, une certaine économie sociale, une autre économie solidaire tout aussi diverse, une économie sociale ET solidaire, des statuts, des valeurs, des discours, des pratiques… l’acteur de l’économie sociale et solidaire aujourd’hui est selon nous dans une situation tout à fait schizophrénique60 (Duracka, 2015). Sans compter que depuis quelques mois il s’agit pour ces organisations de la société civile de répondre de plus en plus au vocable d’innovation sociale, comme une injonction à proposer les voies du futur pour pouvoir prétendre, tout à fait paradoxalement au soutien de la force publique et à l’existence dans l’espace public. Cette tendance n’est pas anodine et relève selon moi du péril de ces structures face aux pressions isomorphiques dont elles sont victimes. En effet, c’est ce que je voudrais aborder en détail au cœur de ce chapitre en débutant par un regard à l’économie sociale et solidaire (section 1).

60 Selon le Trésor de la langue française, le terme schizophrénie se réfère à une psychose chronique

caractérisée par une dissociation de la personnalité, se manifestant principalement par la perte de contact avec le réel, la stéréotypie de la pensée, le refuge dans un monde intérieur imaginaire, plus ou moins délirant. Bien sûr, le lecteur comprendra que nous sommes là dans une approche psychologique et que le terme choisi a une portée symbolique volontairement utilisée pour révéler un trait de caractère des organisations de l’économie sociale et solidaire.

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Or, selon bon nombre d’auteurs, au premier rang desquels les spécialistes québécois du CRISES (Centre de Recherche sur les Innovations Sociales), l’économie sociale (et solidaire) est un « laboratoire d’innovation sociale » (Bouchard, 2011 ; Lévesque, 2007). Mon hypothèse est donc simple. Si l’économie sociale et solidaire souffre d’une tendance à la « banalisation » il en va très probablement de même pour les acteurs de l’innovation sociale. Dès lors, « Étant donné l’engouement que suscite l’innovation sociale, il s’avère important de ne pas

entériner une polysémie qui pourrait vider la notion de tout contenu précis et la muer en une simple facilité de langage sans portée heuristique » (Nussbaumer et Moulaert, 2007, p.87). Au contraire, comme

le recommandent Nussbaumer et Moulaert, l’effort doit porter sur les conditions d’une épistémologie cohérente de l’innovation sociale et sur une démarche de type « sociologie de la

connaissance qui propose des éléments de reconstruction de l’époque et du contexte dans lesquels s’élaborent les discours des acteurs et observateurs traduisant les défis politiques et pratiques au sein de la société »

(Laville 2014, p.46). Ainsi, il est nécessaire d’observer là aussi l’innovation sociale comme un mouvement historique (section 2) car il « s’agit d’expliquer et de comprendre les émergences de

l’innovation sociale sans céder à une amnésie qui ferait oublier toute dépendance de sentier61 » (Laville, 2014, p.46).

61 La dépendance au sentier fait référence à des idées qui, si elles furent historiquement justifiées, ont cessé

d’être adéquates tout en perdurant, car leurs changements impliqueraient un effort trop élevé. Le politologue Paul Pierson adjoint ce concept à l’économie en soulignant que les règles du jeu institutionnel et les représentations sont le plus souvent auto-générées (Pierson, 1995).

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Section 1. L’économie sociale et solidaire