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Introduction de la deuxième partie

Section 1. L’économie sociale et solidaire est avant tout un acteur symbolique et politique

3.1.2. L’économie solidaire héritière historique de l’associationnisme politique

3.1.2.2 Économie solidaire et transformation sociale

Pour Jean Louis Laville et Bernard Eme, les initiatives de l’économie solidaire seraient porteuses de changement institutionnel de par leur double inscription dans les sphères économiques et politiques (Eme et Laville, 2006 ; Laville, 2013).

Malgré des travaux communs, cette double inscription marquera une paternité réflexive différente. En effet, on pourra mettre à l’actif du regretté Bernard Eme la réflexion politique. Dans un texte de la revue Hermès publié en 2003, celui-ci reprend la pensée du philosophe Jürgen Habermas et l’analyse par le prisme de l’engagement solidaire.

108 Issue d’une vieille tradition napolitaine, la pratique du café suspendu est un geste altruiste dont le but est

de faire plaisir à quelqu’un d’autre, de façon spontanée et désintéressée. Le principe est simple, il s’agit de payer un café que l’on ne boit pas et qui bénéficiera à celui qui le désirera dans les minutes ou les heures qui suivent.

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Il montre alors que les « mondes vécus109 » propres à des espaces citoyens s’autorganisants sont le terreau de la création « d’espaces publics de proximité », c’est-à-dire des lieux d’interconnaissance où sont réglés les questions économiques par un débat contradictoire visant le consensus110. Ces « espaces vécus » visent « la formation discursive de l’opinion et de la

volonté d’un public citoyen » (Habermas, 1993, p.25). Ainsi, du point de vue de Bernard Eme,

l’initiative solidaire se développe à la frontière entre monde vécu et arènes institutionnalisées, la première étant régulé par un agir communicationnel et la seconde par un agir stratégique. Enfin, pour Bernard Eme il existe une pluralité d’espaces publics de proximité, bénéfique à la mise en débat des questions démocratiques, et souligne que « l’enjeu au sein de ces espaces se situe bien dans l’émergence de l’exercice idéal de la politique » (Eme, 2003, p.167) définie par Castoriadis comme « activité explicite et lucide concernant l’instauration des

institutions souhaitables » (Castoriadis, 1996).

La dimension économique de la réflexion des sociologues français est portée quant à elle par Jean Louis Laville. Celui-ci confère un rôle d’intermédiation entre diverses formes de travail111, mais avant tout entre diverses formes d’économies (Laville, 2007). Celle-ci repose sur une remise en cause du sophisme économiste de marché, positionnant ce dernier au centre de la question économique et occultant la qualité plurielle de la sphère économique. Cette posture appelle un repositionnement de la question sociale au cœur même de la question économique en adoptant une vision plurielle qui offre toute sa place à la réciprocité, la redistribution et l’économie domestique112. Cette approche économique

109 Pour Habermas les mondes vécus forment des ensembles de représentations partagées autour d’une vision

commune du temps historique, de l’espace social et du champ sémantique. Pour le philosophe allemand, c’est le partage des mondes vécus qui fabriquent le partage des représentations collectives. Ainsi, Habermas affirme que les espaces publics autonomes constitués autour du principe d’autogestion, et d’une représentation partagée du monde facilitent l’émergence d’une identité collective essentielle à la lutte contre la perte de référents symboliques partagés (Quéré, 1982). Ces espaces doivent alors être des espaces où se forme une volonté commune et une aspiration partagée à démocratiser, par l’implication citoyenne, les institutions sociales.

110 À la différence de ce que Michel Leclerc-Olive (2003) nomme des « arènes civiles », soit des espaces qui font

prévaloir l’agir stratégique, « la défense d’intérêts catégoriels » et « les affirmations identitaires » par la négociation plutôt que par la délibération.

111 L’économie solidaire croise le travail bénévole et le travail rémunéré.

112 Dans une analyse historico-anthropologique Karl Polanyi explique que l’économie de marché est une

construction socio-historique et non un trait de la nature humaine. Dès lors, il agrémente son analyse d’un retour sur des pratiques historiques constitutives que sont la réciprocité, la redistribution et l’économie domestique. Le comportement réciprocitaire s’appuie sur la symétrie, et considère que « ce qui est donné

aujourd’hui sera compensé par ce qui sera rendu demain » (Polanyi, 1983, p.81). Ce mode de régulation est basé sur la

confiance et le jeu social, car celui qui prend sans donner sera un jour sanctionné socialement. Par ailleurs, le principe de centralité favorise la redistribution qui implique l’existence d’une autorité politique qui collecte et

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repose sur les apports de Karl Polanyi (Polanyi, 1983) pour qui la fiction d’un marché autorégulateur n’apparait qu’au 19ème siècle engageant un processus de désencastrement de l’économie et du politique. Alors, pour les tenants de la réflexion de l’anthropologue autrichien il s’agit de produire, par le recours à l’économie plurielle à un réencastrement de l’économie et de « développer de nouvelles politiques publiques favorisant les initiatives citoyennes et la

démocratisation de l’économie » (Dacheux et Goujon, 2015b, p.227).

Cependant, un certain nombre de critiques sont faites à cette approche plurielle de l’économie. Pour Alain Caillé (2003 ; 2005), c’est notamment au niveau international que se situe le manque de cohérence. En effet, pour lui la multiplication des expériences disparates et contextuelles ne donne pas la possibilité au champ de l’économie solidaire de se constituer derrière une vision unifiée. Alors, il identifie deux grands courants. Un premier courant qu’il appelle « réformiste » (défendue par Eme et Laville en France), « dans laquelle

l’économie solidaire n’aurait pas vocation à se substituer à l’État ou au marché, mais dont on reconnaîtrait pleinement la place, voir la supériorité dans certains secteurs d’activités » (Besançon, 2014, p.87) se

traduisant par une hybridation des ressources privées, publiques et réciprocitaires. Un second courant qu’il nomme « révolutionnariste », largement sud-américain, et pour lequel le capitalisme doit péricliter sous les injonctions solidaires et la mise en pratique locale d’une « autre économie » s’appuyant sur les coopératives et le lien social. Mais Alain Caillé ne s’arrête pas là. En effet, pour lui la nécessaire cohésion de l’économie solidaire viendra du don comme matrice à la fois pratique et théorique (Dacheux et Goujon, 2015b). Ainsi, s’appuyant sur les travaux de Marcel Mauss (2012), le don est défini comme une forme de circulation des biens que ni l’État, ni le marché, s’offrent de réguler. On retrouve cette activité dans le cadre du bénévolat (Carvalho de França Filho et Dzimira, 2000).

La seconde critique est proposée par Odile Castel (2003) qui réfute le monopole de l’hybridation à l’économie solidaire. En effet, celle-ci montre que l’activité lucrative peut elle aussi être le support à la mobilisation de ressources hybrides, à la fois marchandes (ventes de la production), non marchandes (subventions de l’État ou des collectivités) et

redistribue les biens en fonction de règles du droit social. Enfin, le modèle institutionnel de l’autarcie rétablit le principe de l’administration domestique. C’est alors la famille, ou plus largement le groupe social restreint qui assure par lui-même et pour lui-même, séparant ainsi la notion de gain de celle d’utilité. Dans ces trois dimensions, le modèle économique est encastré dans le fonctionnement de la société. Ce modèle était le mode de régulation économique occidental jusqu’à la fin du Moyen-Âge.

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non monétaires (insertion dans les réseaux). Selon Castel, seules les motivations qui fondent l’action économique pourraient alors permettre de distinguer l’économie solidaire. Emmanuelle Besançon, dans sa thèse publiée en 2014113, montre que cette motivation est avant tout sociale, déplaçant le cadre normatif de la pensée capitaliste dominé par la seule rationalité instrumentale, vers un cadre socialement raisonné dans lequel elle place la réciprocité comme pilier (Besançon, 2014). Autrement dit, Emmanuelle Besançon affirme que l’avènement de la pluralité de l’économie solidaire reposera sur trois éléments essentiels. Tout d’abord, une diffusion des pratiques au centre desquels la réciprocité jouera un rôle fondamental dans la dynamique d’apprentissage. Ensuite, une structuration des acteurs en réseaux mettant notamment en avant le rôle de la sociabilité dans ce processus. Enfin, pour la chercheuse de l’Institut Godin « les transactions reposent sur la confiance comme

relation institutionnalisée, qui met en jeu la réciprocité, les réseaux ainsi que la proximité géographique, organisationnelle et institutionnelle » (Besançon, 2014, p.505). Autrement dit, certes l’économie

solidaire n’est pas seule garante de l’hybridation des processus économiques mais ceux-ci sont semble-t-il concentré sur une dimension sociale et réciprocitaire.

Enfin, la dernière critique, qui rejoint largement la précédente, est formulée par Sophie Boutillier (2002), et relayée par Geneviève Azam (2003), mais aussi Serge Latouche (2003). Elle concerne particulièrement le triptyque institutionnel caractérisant l’économie plurielle. Cette dernière approche suppose d’arriver à un équilibre institutionnel entre les différentes composantes décrites comme fondatrices par Karl Polanyi (marché, redistribution, réciprocité), sans pour autant donner à la réciprocité une importance démesurée (Latouche, 2003). Or, selon Laurent Gardin « la place de la réciprocité aux côtés du

marché et de la redistribution pose la question des modalités de coexistence et de son possible assujettissement aux principes dominants et notamment au marché » (Gardin, 2006, p.45), soulignant ainsi la place

prédominante qu’occupe aujourd’hui ce dernier non seulement comme mode de régulation central, mais aussi et surtout, comme « imaginaire collectif guidant les sociétés occidentales depuis plus

d’un siècle » (Besançon, 2014, p.82). Ainsi, il semble optimiste d’imaginer qu’une vision

plurielle vienne s’insinuer dans les consciences par la seule force d’une théorie anthropologique réactualisée par quelques chercheurs « hétérodoxes » dans un rapport déséquilibré avec un courant dominant centré sur les marchés. Pour le dire autrement, il

113 Théories et pratiques du changement institutionnel en économie solidaire. Une approche institutionnaliste par l’innovation

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semblerait que « le dispositif « technique » de l’économie plurielle ne porte pas vraiment atteinte à

l’imaginaire économiste dans ses racines mêmes et néglige le caractère systémique de l’éthos dominant »

(Latouche, 2003, p.148). Les règles de fonctionnement d’une économie capitaliste centrée sur le marché autorégulateur ne seraient donc nullement remises en cause, tout du moins pas suffisamment pour prétendre au changement institutionnel pourtant annoncé comme moteur. Alors, Geneviève Azam (2003) insiste, l’économie solidaire plus que de défendre une hypothétique hybridation économique, doit mettre au jour une « véritable délibération

politique » (Azam, 2003, p.160) pour que l’engagement citoyen ne se limite pas à un

bénévolat aveugle, mais bien à un militantisme politique qui cherche à faire advenir un débat dans l’espace public.

La dimension politique de l’économie solidaire s’appuie sur un mouvement ontologiquement collectif, né d’un groupement volontaire d’individus libres, égaux, et altères, sur la base d’un lien social élémentaire, dans un espace public. L’économie solidaire adopte ainsi la position d’un corps intermédiaire entre la société civile et l’État afin de combler une insuffisance institutionnelle par la prise de parole et l’action collective organisée sur une base égalitaire et démocratique, qui dépasse le seul fonctionnement organisationnel, dans une visée de changement institutionnel (Laville, 2007). Par conséquent, celle-ci ne peut pas être pensée comme un système purement économique, « en

revanche, elle peut être un système politique induisant des effets économiques » nous dit Alain Caillé

(2005, p.232), ce qui implique de « définir le type de démocratie qu’elle présuppose » (Caillé, 2005, p.232) pour que le modèle proposé par cette « autre économie » soit avant tout un « mode

d’institution solidaire de l’économie » (Caillé, 2005, p.232). Cette injonction est tout à fait

intéressante. Elle a été reprise avec force par Éric Dacheux, professeur en sciences de l’information et de la communication, et Daniel Goujon, maitre de conférences en économie.

Je voudrais alors m’attarder sur la conception de l’économie solidaire comme prise de parole dans un espace public proposé par ces derniers. Notons que les deux chercheurs proposent maintenant depuis plusieurs années (2013 ; 2011) une analyse de l’économie solidaire qui repose sur une trilogie. Ainsi, ceux-ci considèrent cette forme d’économie tout à la fois comme un militantisme politique qui combat la globalisation économique en œuvrant pour une mondialisation de la solidarité. Mais aussi comme un ensemble de

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pratiques économiques qui dynamisent un territoire tout en s’affranchissant des seuls mécanismes du marché. Enfin, un projet global de société, une utopie qui redonne l’espoir d’une société plus juste en proposant d’élargir et d’approfondir la démocratie en l’adoptant dans la sphère économique par la participation (Dacheux et Goujon, 2015b). Or, persuadé de la nécessaire prédominance de la question politique dans l’approche solidaire, Éric Dacheux et Daniel Goujon se proposent d’élaborer une nouvelle théorie économique reposant sur l’idée que, dans la société de connaissance qui selon eux émerge aujourd’hui, la meilleure manière de procéder à l’allocation des ressources n’est plus le modèle, depuis bien longtemps dépassé, du marché, mais bien celui de la délibération. Elle est ici considérée comme un terme clef de la démocratie, à partir de son acception habermassienne (Habermas, 1997), plaçant le débat autour de la définition de l’intérêt général dans un espace public au cœur même de la régulation démocratique, s’émancipant ainsi de la procédure sclérosante du vote. Effectivement, la délibération, entendue comme construction de normes communes à travers la confrontation de points de vue différents portés par des acteurs égaux en droit, est déjà une réalité économique. On la retrouve, par exemple, dans la gestion des biens communs décrite par le prix Nobel Elinor Ostrom (2010), dans l’émergence de la société de la connaissance (Dacheux et Goujon donnent l’exemple de Wikipédia) et, bien sûr, dans la plupart des initiatives de l'économie solidaire. Dès lors, c’est un jeu de mot qu’utilisent les auteurs et « qui souligne que la liberté n’est pas

l’apanage du libéralisme, qui marque la possibilité de construire un modèle théorique opposé au modèle libéral et qui inscrit notre démarche dans un cadre théorique interdisciplinaire où la délibération est comprise comme principe régulateur de l’économie des sociétés démocratiques » (Dacheux et Goujon, 2015b).

Cette approche présentée succinctement ici s’appuie, selon moi, sur un regard aux initiatives solidaires comme « espaces publics de proximité » (Eme et Laville, 1994) c’est-à-dire espaces d’échanges de point de vue contradictoires concernant des questions de société de manière générale et plus particulièrement la question de la place de l’économie dans nos démocraties modernes. Dacheux et Goujon placent ainsi la délibération entre les citoyens engagés volontairement au même niveau que l’arbitrage par le marché ou la régulation étatique. En effet, « les initiatives solidaires démontrent la possibilité concrète de produire, distribuer et

dépenser « autrement », en demandant leurs avis aux différents acteurs, c’est-à-dire en assujettissant les variables économiques aux décisions émanant de la délibération collective » (Dacheux et Goujon, 2015).

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la base d’une rationalité instrumentale servant des intérêts individuels, mais bien sur un débat contradictoire entre acteurs favorisant l’émergence d’une rationalité communicationnelle (Habermas, 1987a ; Habermas, 1987b) favorisant l’intérêt collectif. Plus spécifiquement, les auteurs parlent d’un ordre économique défini comme propre à la valorisation des ressources114, soit l’utilisation de « moyens naturels, humains et artificiels au service

de l’amélioration du bien-être » (Dacheux et Goujon, 2015). Ainsi, les deux auteurs élaborent

une proposition théorique forte, s’appuyant sur la dimension politique (élaboration des normes dans un espace public) de l’initiative économique solidaire (la valorisation des ressources pour le bien-être collectif) à forte dimension symbolique. Le délibéralisme propose ainsi un double mouvement de ré-encastrement de l’économie dans une activité sociale et politique dans la droite ligne des travaux de Nicolas Chochoy (2012 ; 2015).

Ce dernier se propose d’analyser tout d’abord le processus d’encastrement politique de l’économie, puis son nécessaire désencastrement. Reprenons avec lui. Ce qu’il nomme l’encastrement politique de l’économie repose sur « la relation existant entre l’économie et

l’institution organisatrice du social » (Chochoy, 2015, p.170). Soulignant le basculement propre à

la modernité vers un processus d’auto-institution de la société, Nicolas Chochoy s’appuie largement sur les travaux de Jean-Pierre Dupuy concernant l’individualisme méthodologique complexe (Dupuy, 1989a ; Dupuy, 1989b ; Dupuy, 1988) pour mettre en lumière un processus paradoxal, celui de « l’émergence, l’auto distanciation et l’autoréférence du

marché autorégulateur accompagné de « l’esprit de marché » » (Chochoy, 2015, p.170). En effet, pour

le chercheur de l’Institut Godin « le marché est un point fixe auto-extériorisé, une création

institutionnelle imaginaire qui n’est pas sans poser un problème démocratique de par sa perception exogène. A partir de ce processus tendanciel de production endogène d’extériorité, l’enjeu d’une économie solidaire nous semble être de créer les conditions d’une réelle auto-organisation démocratique » (Chochoy, 2015,

p.170). Pour le formuler plus simplement, l’analyse présentée ici succinctement fait état de l’autocréation par la société moderne d’un mode de régulation économique imaginaire, institutionnellement balisé et autorégulé, à l’extérieur du social. Cependant, l’analyse de l’économie solidaire appelle, derrière les formulations théoriques de Karl Polanyi, à un processus de réencastrement de la question économique dans la sphère politique régulée par les citoyens regroupés en association. Pour Chochoy, ce travail de ré-encastrement

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pourrait s’opérer à l’échelle des territoires (il prend l’exemple des PTCE115), une proximité géographique qui permettrait l’émergence d’une représentation partagée. Reste en suspend l’interrogation concernant la capacité des acteurs d’un territoire de faire émerger une représentation commune capable de rivaliser avec l’esprit de marché ce qui nécessite une perception du territoire comme construction collective et non pas seulement comme un outil institutionnel de régulation politique.

Le délibéralisme théorisé par Éric Dacheux et Daniel Goujon appelle donc lui aussi au ré-encastrement politique de l’activité économique. Mais il appelle, plus que tout, à ce qu’Edgar Morin appelle le « ré-enchantement du monde » (Morin, 2011), soit cette douce incantation de l’utopie régénératrice des passions autour de laquelle fredonnent les activités quotidiennes des citoyens engagés.

Ainsi, il y a des résonnances libertaires dans la proposition des deux chercheurs français. Tout du moins une conception de l’économie solidaire comme un ensemble de pratiques émancipatrices, terreau d’une alternative au capitalisme. Ces résonnances on les retrouve dans l’approche du sociologue belge Bruno Frère (2006 ; 2009). Ce dernier réactualise ce qu’il nomme « l’anthropologie positive » de Pierre Joseph Proudhon en mentionnant deux principes forts de l’économie solidaire. Tout d’abord, celui de la commune compétence visant à réunir autour de « l’avoir » plutôt que du « manque », des « désaffiliés » porteurs de projets émancipatoires et des « affiliés » bénévoles épargnants aux compétences pour les suivre. Par ailleurs, Frère rappelle qu’un impératif d’action soutient également la pensée proudhonienne, affirmant qu’il « ne faut pas attendre l’Eden

postrévolutionnaire mais agir ici et maintenant » comme une injonction du solidaire à l’action

(Frère, 2006, p.122). Ce sont ces deux principes qui, selon Bruno Frère, se réactivent dans un Nouvel esprit solidaire116 dont il s’attache à décrire la « grammaire des pratiques » dans une dimension praxéologique qui n’est pas sans rappeler les textes d’un certain Jean Baptiste Godin concernant son expérience guisarde. Ainsi, « cet ethos (de l’action engagée) typiquement

proudhonien se redépose dans l’imaginaire solidaire depuis le milieu des années 80 après avoir subi diverses altérations perceptibles dans la littérature portant sur le monde associatif et coopératif de 1848 à nos jours »

115 Pôles Territoriaux de Coopération Économique dont une définition plus précise a d’ores et déjà été

fournie page 111 de ce travail.

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(Frère, 2006, p.346). Or, les solidaires aujourd’hui évoluent dans le même imaginaire que celui qui fut propre au mouvement associationniste puisqu’ils répondent tous de la même manière à l’impératif catégorique d’action en faveur des désaffiliés et à la commune humanité. Cependant, ils ne disposent simplement pas de ressources nécessaires pour transformer leur « communauté morale en cité politique » (Frère, 2006, p.363). Comme un relent utopique fouriériste, l’individu s’engagerait dans l’action à l’aide de « passions gaies 117» et développerait une praxis solidaire toujours régie par une question d’échelle : « small is

beautiful » (Frère, 2006, p.365). Cette réflexion que j’ai survolée ici sera néanmoins une

trame persistante dans la suite de mes travaux, car elle m’a définitivement conduite vers une réflexion praxéologique de la communication des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

En effet, si je m’accorde avec les propositions de Bruno Frère, j’en partage aussi le constat. Pour suivre l’auteur belge « ce n’est pas parce que sa grammaire morale est intrinsèquement