Communauté protégée ou émancipée et types de réseaux

Selon Wellman et Leighton, chaque type de communauté (communauté perdue, protégée ou émancipée) se caractérise par un type distinct de réseaux sociaux. La communauté protégée se caractérise par des réseaux denses et bien circonscrits, qui sont le plus souvent générateurs de sentiments et d’activités solidaires. La communauté émancipée a des réseaux faiblement soudés (avec des solidarités relativement faibles) et ramifiés aux limites floues. De tels réseaux aux limites floues ont l’avantage de s’étendre beaucoup pour s’adjoindre de nouveaux membres et avoir accès à de nouvelles ressources. Wellman et Leighton indiquent que ces deux types de réseau et de communauté (qui sont en fait des idéaux-types) peuvent coexister dans des proportions différentes. La

communauté perdue et la communauté protégée ont des assises territoriales, tandis que la communauté émancipée est indépendante du quartier.

La communauté virtuelle du forum s’approche de quel type de communauté? À l’origine, la communauté virtuelle du forum est la communauté émancipée par excellence. Sa forme virtuelle la délivre des limites de la distance et elle rend possible que des personnes qui habitent dans différents pays se réunissent. Les réseaux sociaux sont plus faiblement soudés que dans la communauté protégée (la communauté traditionnelle) et les solidarités sont moins fortes. Comme c’est le cas de la « forme pure » de la communauté protégée (Wellman et Leighton 1981), dans le forum www.bgcanada.com, si un membre de la communauté a un problème, le réseau se mobilise et la personne dans le besoin reçoit de l’aide. Les membres de la communauté qui offrent de l’aide peuvent être différents chaque fois.

Le réseau de notre communauté virtuelle a des limites imprécises. De nouveaux membres peuvent toujours s’y joindre, comme des anciens peuvent disparaître. Ce réseau se ramifie et s’étend souvent à de nouveaux membres qui disposent de nouvelles ressources. En cas de besoin, des usagers que personne dans le forum ne connaît peuvent offrir de l’aide. Certains de nos interlocuteurs nous ont raconté qu’ils ont reçu de l’aide de personnes totalement inconnues, même virtuellement, à la suite de messages qu’ils avaient postés dans les forums publics. Au premier regard, le chaos règne dans cette communauté virtuelle, car c’est une structure informelle sans un centre décisionnel ni répartition coordonnée des fonctions. Cependant, même informelle, cette communauté, ce réseau faiblement soudé arrive quand même à aider ses membres.

Avec l’établissement de réseaux sociaux locaux ou même régionaux, la communauté ou plutôt certains réseaux au sein de cette communauté commencent à se regrouper sur le critère territorial. Fait à souligner, ce n’est pas la même échelle territoriale que dans la communauté protégée : dans la communauté protégée, la base spatiale est le quartier, tandis qu’ici, c’est la ville (pour les réseaux locaux) ou même le pays (pour le réseau régional en Bulgarie). Parallèlement avec ces éléments spatiaux, dans la communauté, il

fonctionne toujours un élément typique pour la communauté émancipée – les réseaux extraterritoriaux ou comme nous les appelons ici, les réseaux globaux.

Un autre phénomène qui émerge parallèlement avec la territorisation partielle est l’établissement de liens solides (amitié) et de solidarités plus fortes, surtout entre les membres des réseaux locaux – les « réseaux sources » et les réseaux reproduits. Ce qui est un autre élément typique pour la communauté traditionnelle ou la communauté protégée. (Il ne faut pas oublier cependant que ces liens solides coexistent avec des liens tenus dans la communauté virtuelle.) Comme nous le verrons plus loin, les liens solides aboutissent sous certaines circonstances à des concentrations territoriales à l’échelle du quartier - les nouveaux immigrants qui arrivent au Canada et qui sont accueillis par les anciens membres de leur réseau local en Bulgarie se trouvent souvent un logement à proximité de leurs amis. Mais à la différence de la communauté protégée, dans ce cas-ci le quartier ne joue pas le rôle de source d’identité pour la communauté. La concentration spatiale dans certains quartiers qu’on observe dans les réseaux reproduits est plutôt un résultat secondaire de l’intensité des liens entre les membres de ces réseaux. De plus, les membres de ces réseaux territorisalisés font toujours partie des autres réseaux aspatiaux dans le cadre du forum.

Bref, la communauté virtuelle du forum est à l’origine une communauté émancipée dans une forme presque pure, mais elle aboutit à un mélange entre communauté émancipée et communauté préservée où coexistent des réseaux faiblement soudés et ramifiés à limites floues et des réseaux denses et bien circonscrits. Ces deux types de réseaux offrent des avantages différents : les réseaux denses offrent des solidarités fortes et les réseaux faiblement soudés et ramifiés offrent un accès à plusieurs personnes de milieux divers et donc, un accès à des ressources diversifiées. Il est à noter que pour le processus d’établissement, les deux types de réseaux sont utiles et contribuent à l’augmentation du capital social des nouveaux immigrants.

C’est donc une multitude de réseaux sociaux de différentes natures et de différentes échelles spatiales qui étaient créés à l’intérieur du grand réseau de la communauté

virtuelle du forum. Ces réseaux interagissent entre eux et se recoupent dans différentes configurations. Ils se diversifient davantage sous l’influence de tendances intéressantes, observées au sein de la communauté virtuelle, comme la tendance à la territorialisation et à l’aspatialité en même temps, de reproduction et de segmentation (les réseaux privés régionaux, locaux et personnels). Mais ce n’est pas seulement les types de réseaux sociaux qui varient beaucoup. Les types de liens sociaux qui constituent ces réseaux diffèrent considérablement aussi.