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Chapitre 9 : Les différents domaines de l’aide à l’établissement

9.3 Aide à l’emploi

En ce qui concerne l’aide à l’emploi apportée par la communauté virtuelle, une façon pour qu’elle soit accordée est par le partage d’expériences personnelles de recherche

d’emploi par des membres du forum. Cela se fait souvent par des participants au forum qui ont réussi dans leur recherche d’emploi et qui donnent des conseils, mais aussi par ceux qui ont eu des expériences négatives. Ces récits personnels sont utiles, car ils contiennent des conseils pratiques, mais aussi parce qu’ils préparent psychologiquement les participants au forum à quoi s’attendre lors de la recherche d’emploi.

D’un autre côté, comme un de nos interviewés nous a raconté, ce qu’il a fait est donner à l’information générale qu’il avait sur la recherche d’emploi une forme plus convenable pour les membres de la communauté et la leur présenter:

« J’ai systématisé tous les liens Internet, qui étaient intéressants et utiles à l’époque (il y a quelques ans) - comment trouver un travail, où chercher dans l’Internet, comment faire le CV… comment faire la lettre de présentation, des choses comme ça, qu’on m’a apprises lors de mon cours d’Emploi-Québec. […] Je les ai traduites en bulgare et je les ai publiées dans le forum … »

Il s’agit donc d’une vulgarisation de l’information donnée par les institutions officielles, qui se fait parallèlement au partage informel d’expériences dans le forum. Dans les forums publics, on peut voir aussi sporadiquement des annonces d’emploi. Ces annonces sont le plus souvent données par un participant au forum, qui sait que dans sa compagnie il y a un poste vacant. Dans notre échantillon, il y avait une personne qui travaille comme gérant et qui avait embauché un de ses employés par une telle annonce au forum. Il arrive aussi que ceux qui cherchent du travail l’annoncent au forum.

Tout cela concerne l’information diffusée de façon publique dans le forum. Mais comme nos interviewés ont témoigné, des échanges privés et semi-publics sur les questions de l’emploi se font souvent dans la communauté virtuelle. Ces échanges sont informels aussi, et selon certains de nos interviewés, peuvent être très fructueux. De tels échanges d’information s’effectuent lors des rencontres des réseaux locaux dans les villes canadiennes. C’est ce que nous a raconté un de nos interviewés de Montréal sur les réunions des participants au forum dans le parc Angrignon :

« Tout le monde racontait son expérience personnelle. Il y avait beaucoup de personnes qui se sont déjà établies et qui déjà travaillent dans leur domaine et ils racontaient leur expérience – comment ils ont postulé pour le poste, comment il sera plus approprié de procéder, qu’est-ce qu’il faut pas manquer... C’était utile dans tous les aspects. »

On voit donc qu’il s’agit à un grand degré de l’information grise, car c’est plus qu’on peut trouver dans les sites officiels - ces explications peuvent jeter un éclairage sur comment fonctionnent les choses en termes pratiques. C’est, en général, ce qu’une personne qui est déjà dans le système professionnel peut raconter.

Ce n’est pas seulement par l’entremise de ces échanges semi-publics (les rencontres des réseaux locaux) et publics (les forums publics) que la circulation de l’information grise circule au sein de la communauté. Les contacts personnels jouent aussi un grand rôle à cet égard. C’est la pratique « de bouche à l’oreille » bien utilisée par la société d’accueil dans la recherche d’emploi, qui donne un avantage net aux natifs et aux communautés culturelles plus anciennes sur le marché d’emploi. La communauté virtuelle essaie de mobiliser aussi ses ressources pour parer ce problème, en reproduisant, dans la mesure du possible, la même pratique dans ses rangs. Un de nos interviewés nous a raconté qu’il a reçu une offre d’emploi (un emploi qualifié dans l’informatique) qui provenait de l’ami d’une de ses connaissances du forum. On voit ici que le lien est assez lointain, ce qui parle d’une mobilisation extensive des ressources. Une autre personne nous a raconté que si elle connaît quelqu’un qui travaille dans le même domaine comme un de ses amis et connaissances nouveaux venus du forum, elle organise une rencontre entre eux pour que le plus expérimenté partage son expérience avec l’immigrant récent. Dans ces cas, il s’agit de postes professionnels ou techniques (rappelons que notre échantillon est constitué d’immigrants indépendants qualifiés).

Comme il était évoqué lors des entrevues, les membres de la communauté virtuelle s’entraident aussi dans la recherche d’un « travail de survie » (survival job) non qualifié pour les premiers mois après l’arrivée. Cela se fait surtout dans le cadre des réseaux

locaux reproduits (de tels cas à Montréal nous étaient rapportés). Mais une telle aide peut être accordée dans le cadre du réseau plus large de la communauté virtuelle. Un de nos interviewés nous a dit qu’il savait qu’un membre du forum avait une expérience d’un tel travail, et en arrivant au Canada, il l’a contacté par message privé, sans le connaître personnellement, pour lui demander de l’information sur le travail. Il a reçu de l’information très détaillée, qui, selon lui, l’a beaucoup aidé. Il s’agissait aussi d’un travail non qualifié temporaire pour les premiers mois après l’arrivée.

En ce qui concerne l’aide à l’emploi, dans notre communauté virtuelle nous n’avons pas identifié les effets négatifs du capital social, évoqués par d’autres chercheurs. À titre de rappel, Poros (2001) affirme que les réseaux ethniques basés sur des liens personnels peuvent diriger les immigrants vers des professions ou industries d’une niche ethnique restreinte qui limite leur choix. Ce n’est pas le cas des participants au forum, qui sont pour la plupart des immigrants indépendants sélectionnés selon leurs qualifications élevées et qui sont des professionnels spécialisés dans différents domaines. Ils ont chacun leurs ambitions qui les dirigent dans différentes directions. Si certains reçoivent de l’aide à l’emploi dans leurs champs d’études, accordée par d’autres participants au forum, on ne peut pas parler d’un phénomène de groupe, car cette aide concerne seulement ceux qui sont spécialisés dans un domaine restreint. Un ingénieur mécanique peut aider un autre ingénieur mécanique, mais pas toute la communauté virtuelle. On ne peut parler non plus de réseaux ethniques d’exploitation (Cranford 2005).

La situation avec l’aide à l’emploi, telle que nous l’avons trouvée dans notre communauté virtuelle ethnique, se rapproche beaucoup plus à ce que Salaff, Greeve, Wong et Ping (2002) identifient pour la jeune « élite éduquée » de nouveaux immigrants qualifiés de la Chine au Canada. Pour démarrer leurs entreprises, ces nouveaux immigrants n’ont pas utilisé les ressources traditionnelles de leurs associations ethniques, mais ils ont préconisé l’aide de leurs collègues de travail de même origine ethnique, qui proviennent de la même cohorte de nouveaux immigrants éduqués. Dans ce cas, les auteurs démontrent que l’aide informelle remplace l’aide formalisée (du milieu associatif) et qu’il s’agit d’un processus de community building, où la nouvelle vague d’immigration hautement

qualifiée d’un groupe ethnique s’autoorganise, établit des liens entre ses membres et s’entraide. On observe un tel processus dans notre communauté virtuelle, qui a, elle aussi, des caractéristiques distinctes, en consistant en nouveaux immigrants hautement qualifiés. Ces immigrants établissent des liens entre eux, facilités par le biais du forum, et s’entraident pour trouver du travail. Comme la communauté des nouveaux immigrants au Canada de la Chine, les membres de notre forum utilisent aussi des sources informelles de capital social pour s’insérer sur le marché du travail.

En ce qui concerne notre groupe contrôle, la personne ayant immigré 16 ans avant l’entrevue a fait de longues études au Canada avant de s’insérer sur le marché du travail, et au moment où elle cherchait un emploi, elle avait déjà un riche réseau de contacts. Quant au deuxième interviewé, il a trouvé son premier emploi aussi de façon informelle, par sa connaissance des cours de francisation d’un autre Bulgare qui avait trouvé du travail avant lui. On voit donc que c’est l’information informelle qui aide de façon très efficace les nouveaux arrivants. Le forum et la communauté virtuelle s’adaptent à cette réalité et offrent parfois aux nouveaux arrivants une aide efficace à l’insertion sur le marché du travail, ce qui est en fait un capital social.