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B Collecte, analyse et état des lieux des matériaux de terrain

Le travail de terrain a permis la collecte de deux grands types de matériaux : les observations et les sources manuscrites. Cette section présente la méthode de collecte et d'analyse de ces diérents matériaux puis établis un état des lieux des éléments collectés

B.1 Observations

B.1.1 Entretiens

Les entretiens ont été réalisés auprès d'acteurs de la gestion et des controverses. Ils ont été conduits de manière semi-directive. J'ai fait preuve d'empathie avec l'interviewé. J'ai collé au plus près de son récit et de son vécu. J'ai essayé de construire une relation de conance an de créer des relations favorables à la discussion. L'entretien est un moment privilégié qui, s'il est bien annoncé, préparé et conduit, permet aux acteurs de se livrer. Pour cela, j'ai préparé l'entretien. L'interviewé m'a généralement été décrit par un autre acteur qui m'a donné son contact, ou bien j'ai déjà croisé cette personne lors de réunions ou lors d'entretiens avec d'autres acteurs. Je me suis renseigné sur ses aliations institutionnelles et sur les éventuels documents qu'il/elle a écrit ou mobilise. J'anticipe des sujets de discussions en fonction de ces éléments. La prise de rendez-vous s'est faite en large majorité par téléphone, quelques fois par courriel et une fois par courrier. Une seule personne a refusé de faire un deuxième entretien pour des raisons décrites comme légales.

Carte 1.1 Carte localisant les controverses étudiées en Crau.

Sources : SymCrau, Étude d'utilité publique ERIDAN, Archives privées de la CAC. Carte réalisée par Brice Auvet

Plus encore, il faut arriver à saisir les éléments de discours ou de comportement qui annoncent une vérité importante voir précieuse pour l'interviewé. C'est notamment le cas des ns de phrase énigmatique, des termes vernaculaires, des sourires ou de l'aisance achée quand on aborde une thématique. C'est ici que mon approche est semi-directive, j'inscris cette thématique dans ma prise de note et je relance dès que possible l'interviewé sur cette thématique. Pour coller au récit, je reprends les mots de l'interlocuteur et je ne pose pas une question mais lance la thématique et laisse l'interviewé nir ma phrase. Je souhaite ainsi ouvrir ou approfondir certaines thématiques. J'oriente la parole par rapport à des thématiques relevant de l'eau en Crau et par l'intérêt qu'elle suscite chez le locuteur. Ces directions visent essentiellement à aider le locuteur à densier son récit pour éviter de sauter du coq à l'âne et eeurer les sujets de discussions. Ceci conduit à des entretiens longs généralement de une à deux heures. Pour ne pas prendre trop de temps aux interviewés et quand je sentais la fatigue s'installait dans l'entretien, je proposais de le terminer.

Par cette approche compréhensive, j'ai saisi les récits formulés par les acteurs. J'ai observé des as-semblages particuliers de discours formels et attendus qui sont fréquemment répétés et écrits notamment dans les arènes de gestion. J'ai également pu saisir la vérité propre des acteurs, une vérité précieuse mais aussi cachée, intime. J'ai ainsi cherché à saisir cette vérité condentielle, que les acteurs gardent pour eux ou pour les discussions informelles entre amis. Cet élément est essentiel pour comprendre l'assem-blage des discours formulés dans les arènes ocielles. L'entretien est ainsi un moment où les acteurs se révèlent. Ces discours forment souvent les non-dits de la gestion. Les citations longues d'entretiens sont moins nombreuses dans la thèse en comparaison des autres sources. Les entretiens m'ont permis de me guider dans le fonctionnement des dispositifs notamment dans leurs facettes informelles et donc de créer du contraste vis-à-vis des autres sources. J'ai donc préféré exploiter en premier lieu les sources textuelles et les réunions qui sont enrichies par des éléments extraits des entretiens. Ceci m'a également permis de maintenir l'anonymat des interviewés.

Mon attitude empathique, attentive et prévenante me permet de me placer dans le même référentiel que le locuteur. La quasi-totalité de mes interlocuteurs ont envie de parler et de raconter leur vie et leur vision du monde à une oreille attentive. Je m'adresse avant tout à cette envie de s'exprimer. C'est dans l'écoute et la compréhension de ce qui se dit que la conance se construit. Mes relances servent ainsi tout autant à diriger l'entretien dans des directions qui m'intéressent et qui sont importantes pour le locuteur qu'à lui prouver que je comprends ce qu'il dit. C'est particulièrement le cas lors des relances sur un sujet qui a été évoqué quelques minutes auparavant et sur lequel je veux revenir. Pour ne pas être opposition avec le locuteur mais de son coté, je ne porte pas en mon nom la question mais je relance en disant ça ne pose pas de problème ou bien il y en a qui doivent pas être content . Mon but est ainsi d'être au plus près du locuteur et de son récit mais sans m'imposer à lui.

Je porte aussi une attention toute particulière aux objets et aux pratiques lors des entretiens. Ces derniers ont le plus souvent été réalisés sur les lieux de travail ou aux domiciles des interviewés. J'ai essayé de voir ces acteurs à l'÷uvre. J'ai notamment fait des tours de terrain avec des eygadiers, des agriculteurs, des gestionnaires ou des scientiques. J'explore alors les outils, les documents, les ouvrages avec lesquelles ces acteurs interagissent pour montrer l'eau en Crau.

Les entretiens ont duré en moyenne 1h30. Le plus court a duré une quinzaine de minutes et le plus long, plus de 5 heures. Les entretiens commencent généralement par une légère introduction de ma part où je demande la permission d'enregistrer. Je lance ensuite la discussion par la biographie de l'interviewé. Je commence ainsi par enregistrer son récit de vie pour ensuite explorer les gestions ou les controverses dans lesquelles cet acteur intervient. Je prends des notes manuscrites durant l'entretien. S'il n'est pas possible d'enregistrer, celles-ci sont extensives. Sinon, il s'agit de diérents points évoqués sur lesquels je souhaite revenir durant l'entretien. La grande majorité des entretiens a été faite avec un seul interlocuteur mais à plusieurs reprises plusieurs interlocuteurs sont intervenus dans l'entretien.

A treize reprises, l'entretien a pris la forme d'une visite de terrain avec un ou plusieurs acteur. Le conducteur de la visite m'a fait la démonstration d'une partie de son activité sur place. Ces visites durèrent entre 2 et 5 heures et furent le plus souvent complétées par un entretien assis. 8 acteurs ont été interviewés plusieurs fois. Les entretiens ont fait l'objet d'un compte rendu à l'ordinateur. Celui-ci permet de noter ce qui s'est passé avant, pendant et après l'entretien et n'est pas audible dans le chier audio. Il s'agit de faire un résumé à chaud. Les tableaux1.1page46et 1.2page47font l'état des lieux des diérents entretiens et visites de terrain.

Pour conserver l'anonymat des sources, les sources orales ne sont pas repérées par des alias que l'on pourrait suivre tout au long de la thèse. Pour chaque citation, je présente les auteurs, leur rôle et les conditions de l'énonciation d'un discours. Cela a pour inconvénient de ne pas pouvoir suivre l'hétérogénéité des discours tenus par des acteurs en fonction des circonstances et lors de l'entretien. J'ai souhaité protégé les sources dans leurs contributions orales car celles-ci mettent en lumière des stratégies ou des éléments tactiques qui pourraient être repris par d'autres acteurs pour modier les relations de pouvoir aux détriments des interviewés. Si je révèle qu'une personne défendant la culture du foin de Crau et luttant contre l'urbanisation a vendu des prairies pour l'urbanisation, cela aaiblira considérablement sa position. Ceci a également pour conséquence que dans le contenu de cette thèse, j'ai privilégié les sources publiques (documents, réunions) dont j'ai mis en lumière les coulisses et les non-dits avec les entretiens.

Tableau 1.2 Tableau récapitulatif des tours de terrain. Nb renvoie au nombre de participant. B.1.2 Réunions

Les réunions sont des lieux de rencontre que j'ai abordés de manière diérente. Les gestionnaires, syndics, agriculteurs, élus, associatifs, techniciens, administratifs ou scientiques se réunissent pour dis-cuter de la gestion ou de projets (pour leur construction ou leur mise en place). A partir de contacts obtenus lors d'entretiens et de la surveillance des actualités, j'ai eu connaissance de ces réunions. J'ai alors demandé aux organisateurs de pouvoir participer. J'ai préparé, d'une manière similaire aux entre-tiens, ces réunions. Je n'ai eu besoin de négocier ma présence qu'une fois pour une réunion très formelle et potentiellement conictuelle en mettant en avant la préservation de l'anonymat.

Lors des réunions, je me mets en retrait. Lorsque, c'est possible je me place au fond de la salle ou sur le coté. Je ne participe pas aux échanges et reste la plus part du temps silencieux. Je devais parfois prendre la parole notamment lors des réunions incluant de la participation/concertation. Je devais alors me présenter et prononcer un discours attendu. J'ai alors essayé d'être le plus neutre possible pour ne pas orienter les débats. J'ai porté attention aux discours mais aussi au fonctionnement de ces réunions, au placement des acteurs dans la salle, aux objets et dispositifs mobilisés pour son fonctionnement. Dans ce lieu formel de la réunion, la parole est distribuée selon une organisation parfois préconçue et les discours s'insèrent dans un jeu politique de dits, de non-dits et de relations de pouvoir/collaboration.

J'ai également porté une grande attention à ce qui se passait en dehors de la réunion. Je suis ainsi arrivé en avance à chaque réunion et parti le plus tard possible. J'ai fréquemment participé au rangement de n de réunion. Les moments de convivialités au début, milieu (les pauses) et n de réunion m'ont permis d'observer les non-dits et les jeux d'acteurs qui sous-tendent les déclarations formelles lors des réunions. Dans ces moments o, j'ai interagi avec un ou plusieurs acteurs. C'est un moment convivial le plus souvent autour de boisson et de nourriture. J'occupe alors le même rôle que durant les entretiens.

J'ai aussi fait du co-voiturage avec des scientiques se rendant en Crau et avec des acteurs de Crau se rendant à des réunions en dehors de la Crau. J'ai constaté une importance capitale de ces moments pour comprendre les réunions.

La frontière entre réunion, moment o et entretien est parfois dicile à saisir. Ainsi, lors d'entretien où plusieurs interlocuteurs sont présents, la discussion se fait en grande partie entre eux et ressemble alors fortement à une réunion informelle. De même, les discussions fortuites que j'ai pu saisir en étant sur place ne sont pas des entretiens tels quels mais sont semblables à des moments o. Je veux ici pointer du doigt que l'exploration du terrain montre l'importance des moments informels où les gens se livrent. Ces moments interviennent en grande partie en dehors du cadre de l'entretien et de la réunion. Ce fut notamment le cas des trajets de co-voiturage avec des acteurs ancrés en Crau ou avec des scientiques. Ceux-ci, minoritaires en termes de volume, se sont révélés parmi les moments les plus riches pour ma compréhension de l'eau en Crau.

Tableau 1.3 Tableau récapitulatif des réunions. Nb renvoie au nombre de participant.

Les réunions ont fait l'objet d'une prise de note extensive le plus souvent à l'ordinateur. J'ai enregistré les réunions quand les circonstances le permettaient (possibilité de demander le consentement et faible incidence sur la réunion). Ces réunions ont fait l'objet de compte-rendus amples. Le tableau1.3page48

B.2 Sources écrites : l'étude des archives

Les sources écrites sont très variées dans leurs formes, leurs contenus, leurs auteurs et leurs époques. Elles proviennent de diérentes dynamiques d'exploration de réseau. Ces dynamiques sont issues des réunions et des entretiens. Il s'agit notamment des premières réunions avec des scientiques travaillant sur la Crau et de la rencontre avec les premiers gestionnaires lors du montage du projet de thèse. Cette exploration a perduré durant tout l'exercice du terrain. J'ai demandé ainsi aux acteurs de me prêter ou de me transmettre les documents écrits qu'ils mobilisaient. Sinon, j'ai pris en note la référence pour ensuite les retrouver. La dimension historique de l'eau en Crau est rapidement apparue dans les entretiens et les documents. La référence à A. de Craponne est un lieu commun de l'introduction de l'eau en Crau par diérents acteurs.

J'ai porté une attention importante aux archives historiques et contemporaines. J'ai ainsi un goût pour fouiller et comprendre cette masse d'écrits qui parcourt les années. L'archive ne ressemble ni aux textes ni aux documents imprimés, ni aux "relations", ni aux correspondances, ni aux journaux, nu même aux autobiographies. Elle est dicile dans sa matérialité. Parce que démesuré, envahissante. (Farge(2013)). Elle produit un excès de sens par sa démesure qu'il faut arriver à démêler pour faire apparaître sous le désordre apparent, des récits, des faits et des événements . L'archive est ainsi séduisante car elle montre des morceaux de vérité à présent échoués s'étalent sous les yeux : aveuglants de netteté et de crédibilité (Farge(2013)). Ce manuscrit repose en grande partie sur la mobilisation de ces archives et leur exploration.

Les sources écrites peuvent être décomposées en deux grands ensembles :

les documents produits dans la gestion contemporaine qui sont distribués aux acteurs et mis en ligne sur les sites internet des gestionnaires. J'ai rencontré la plupart des auteurs de ces documents portant sur la Crau. Le caractère actuel des documents dépend de la temporalité des institutions de gestion. Il remonte à une dizaine d'années pour les dispositifs contractuels. Il est de l'ordre de l'année pour les projets mettant en oeuvre la gestion. Les documents de gestion ont été obtenus en explorant les sites internet des gestionnaires et à la suite des entretiens et réunions. Ces documents ont été distribués ou sont des documents internes au gestionnaire. J'ai donc collecté les documents directement auprès de leur auteurs et indirectement auprès de ceux à qui 'ils avaient été distribués. les documents historiques sont ceux faisant référence à une période antérieure aux documents de gestion. Ils sont pour partie mobilisés par les acteurs contemporains. Certains des acteurs de Crau sont férus de la lecture des archives historiques. Ces acteurs ont ainsi permis d'avoir accès à des archives privées et d'initier l'exploration historique. J'ai ensuite fait des recherches complémentaires dans les archives publiques pour mieux comprendre les éléments historiques cités.

Les documents papiers ont été numérisés ou photocopiés. J'ai inscrit la date de recueil et la trajectoire de recueillement. J'ai archivé les documents par détenteurs, auteurs et date de production. D'une manière générale, mon but a été de récolter tous les documents intéressant les diérents acteurs dans les dispositifs de gestion et les controverses.

Le premier point de l'étude des documents historiques vise à mettre en lumière la manière dont les acteurs mobilisent l'histoire dans leurs discours. C'est notamment le cas de nombreux président-syndic de canaux appelés maître de l'eau . Ils ont la charge d'institutions fonctionnant actuellement. Ils sont également les dépositaires de l'histoire de leurs institutions et incarnent une généalogie de rôles, de savoirs et de savoirs-faire. Les archives rangées dans des armoires qui ne s'ouvrent presque jamais sont donc précieuses. Cet appétit pour l'histoire se traduit souvent autour de documents particuliers qui sont régulièrement (ré-)cités comme l'acte de 1554 donnant licence et permission à A. de Craponne de détourner la Durance à son prot. Certains de ces acteurs ont conduit des recherches plus poussées sur l'histoire locale de la Crau. Ils font gure d'érudits locaux mettant régulièrement en avant la dimension historique des pratiques notamment dans les réunions de gestion.

J'ai voulu saisir la genèse et la trajectoire des éléments historiques cités par les auteurs contempo-rains. J'ai ainsi fait des recherches d'archives complémentaires. Pour ce faire, j'ai isolé des mots clés et des documents dans les sources historiques citées par les acteurs. J'ai recherché ces documents et ces mots dans les banques d'archives historiques (google, Gallica de la BNF, site internet des bibliothèques communales d'Arles, du SAN ouest Provence, départementale à Aix-en-Provence, et agence de l'eau à Lyon). Certaines de ces archives ont été numérisées par leurs dépositaires et sont accessibles en ligne ou en se rendant sur place. Je me suis également rendu aux archives municipales d'Arles et départementales d'Aix-en-Provence. La recherche de ces archives s'est également faite par mots-clés, par zones géogra-phiques et en suivant les citations d'archives dans les documents à ma disposition. J'ai donc exploré les archives en suivant les citations, les auteurs, les acteurs et les ouvrages présents dans les documents. J'ai adopté une stratégie boule de neige qui a été favorisée par la numérisation avec reconnaissance de carac-tère et les moteurs de recherche. Je n'ai pas fouillé un fond d'archive particulier. Les archives mobilisées dans cette thèse ont été obtenues au fur et à mesure. Ceci a généré un grand volume de documents à ana-lyser. Dans l'exploitation des archives, j'ai choisi certains documents centraux, typiques et représentatifs des dynamiques présentées dans ce fond composite d'archive. J'ai ainsi voulu montre ces morceaux de vérité [...] aveuglants de netteté et de crédibilité qui témoignent de diérentes manières de gouverner et de faire l'eau à travers les siècles et dans la période contemporaine.

Dans les documents écrits, j'ai porté mon attention sur les iconographies et surtout sur les cartes. Lors de mes visites aux archives, j'ai ainsi recherché systématiquement les cartes en ciblant géographiquement la Crau. J'ai aussi récupéré les cartes ocielles portant sur la Crau auprès de l'IGN en me rendant à

leur siège. J'ai ainsi exploité les cartes de Cassini (1778), les cartes d'État major (1855, 1867-1881, 1891, 1906) et celles de l'IGN (39-42, 46-47, 49-60, 74, 2004, 2008, 2012). Les cartes des archives publiques ou privées ont été récupérées au format numérique ou ont été numérisées par mes soins (en A0 ou prise en photo haute résolution). Les cartes ayant des projections modernes ont été géo-référencées pour être utilisées dans un logiciel de géomatique. J'ai aussi utilisé les photographies aériennes de l'IGN à partir du site internet géoportail sur certaines zones particulières. J'ai utilisé les images satellites et les photographies aériennes orthorectiées de l'IGN dans la période récente disponible au téléchargement. J'ai aussi occasionnellement utilisé Google Earth avec la fonction remonter le temps et Google Map.

Il est particulièrement dicile de dénombrer le nombres de sources écrites mobilisées dans cette thèse. Il s'agit de savoir quelle métrologie est pertinente pour ce faire. Le dossier numérique ou j'ai regroupé le matériaux de thèse présente environ 15 000 documents essentiellement sous forme d'images (notamment pour la numération de livre) dont plus de 500 pdf. En regroupant par leur nom les chiers faisant référence à un même document, j'estime qu'environ 300 documents ont été utilisés dans ma thèse. En