II. Lexicographie synchronique : Notices du Dictionnaire du Moyen Français
2. Spécificités des notices du DMF par rapport à celles du TLF
2.2. Micro-structure des articles
2.2.3. Citations
Si la connaissance d’une langue et plus particulièrement du vocabulaire d’une époque du
passé peut être atteinte grâce aux définitions du lexicographe, celles-ci pour être nuancées
doivent être accompagnées de citations qui en atténuent la rigueur.
travers de la définition, d’être en outre informé sur le contexte linguistique et extra-linguistique
qui entoure concrètement l’emploi des mots. Ces citations qui s’intègrent au discours
lexicographique ont pour vocation, d’une part d’appuyer et d’illustrer la définition en apportant à
la connaissance du lecteur la preuve philologique de la validité de l’analyse portée et, d’autre
part, de fournir de précieux renseignements d’ordre culturel. Comme le dit justement K.
Baldinger, « l’établissement d’un champ sémasiologique est en effet un problème délicat et
dépend dans une large mesure des contextes (un mot avec un sens "général" prend une
signification plus "spécifique" par le seul fait qu’il est employé dans une situation précise qui
ajoute des éléments distinctifs) »
144.
Chaque définition de notice du DMF est au moins illustrée par une citation référencée. Le
choix des citations, conditionné par la qualité des éditions, se fait exclusivement selon leur portée
linguistique ou culturelle. Sur le plan linguistique, la préférence du lexicographe est accordée aux
informations de nature sémantique, syntaxique ou diatopique (exemples définitoires, gloses,
contextes descriptifs, co-occurrences avec un autre mot de la citation comportant une relation
d’hyponymie / d’hyperonymieou de synonymie /antonymie, etc.). Il convient de rendre compte
de la durée des emplois : pour marquer la stabilité sémantique, la sélection des citations couvrira
l’ensemble de la période étudiée, une citation unique témoignera de l’aspect éphémère d’un sens.
Pour être le plus représentatif possible de l’état de la langue de cette période, il convient aussi de
veiller à citer des contextes qui témoignent des mots et sens innovateurs (les premières
attestations) ou, au contraire, de leur vétusté (les archaïsmes), et enfin, de citer des exemples tirés
de textes de tous genres, aussi bien en vers qu’en prose, sans quoi certains emplois pourraient
être considérés, à tort, comme spécifiques d’un usage particulier. Sur le plan extra-linguistique, la
préférence du lexicographe est accordée aux informations qui ont trait à des faits de civilisation
(coutumes, croyances populaires, données de nature encyclopédique, etc.), éléments qui n’ont
pas leur place dans la définition. Dans le cadre du ‘lexique complémentaire’, il n’est pas question
de faire un choix des citations à retenir, car les mots qui y sont traités sont des mots plus rares,
voire très rares, pour lesquels l’intégralité des citations doit nécessairement être prise en compte
et reproduite.
Le recours aux exemples se faisant par l’exploitation du corpus textuel, ces citations sont
pour la plupart issues d’éditions critiques les plus récentes ou du moins celles réputées les
meilleures, même si pour un certain nombre de textes le rédacteur ne dispose que d’éditions
anciennes, parfois médiocres ou réputées peu fiables. Il est toutefois possible d’ajouter un
commentaire après la référence de l’exemple, dans lequel on fait part d’un doute ou d’une
suggestion de lecture. Ces citations sont généralement, exception faite des données non
informatisées, directement récupérées par un simple copier-coller dans les différentes bases
répertoriées ci-dessus. Ce procédé, qui limite la saisie de texte, possède l’avantage de réduire
considérablement les erreurs liées à des fautes de transcription.
L’un des points délicats pour le rédacteur est celui de la délimitation des citations, car il
ne faut pas tomber dans le même piège que celui qui lui est tendu par certains ouvrages
lexicographiques ou lexicologiques, qui citent des extraits trop courts pour permettre une bonne
compréhension du texte. L’extraction d’un contexte plus grand doit se faire avec mesure, ni trop
long, ni trop court pour que l’occurrence du lexème y trouve tout son sens ; il doit être d’une
longueur minimale pour le respect de l’exigence philologique. Bien souvent, la possibilité
d’introduire, en commentaire, des anaphores permet de raccourcir la citation tout en lui gardant
toute sa cohérence. De manière plus générale, les commentaires servent à noter toute indication
susceptible d’éclairer la citation, notamment les variantes de manuscrits, le texte source de la
traduction (p. ex. : sous l’entrée fabricien, l’occurrence fabriciens est accompagnée des variantes
fabriqueurs et fabrices qui appuient le sens de "membre du conseil de fabrique d'une église
paroissiale, chargé de l'administration des affaires temporelles" ou encore sous faveler, la
variante parler qui permet de bien cerner le sens du mot). Mis à part ces commentaires ajoutés au
texte de manière visible, par des crochets droits, le texte reproduit est rigoureusement celui de
l’édition, à cela près que les initiales des vers sont en majuscules, que les coupures de textes
faites par le rédacteur sont notées (…), les lacunes du texte par […] et que les signes de
ponctuation ajoutés se présentent entre crochets et ceux qui sont supprimés, entre parenthèses.
Lorsque plusieurs citations sont intégrées dans une même subdivision, leur classement est
chronologique.
Par souci philologique,ces citations sont référencées sous une forme abrégée qui respecte
l’ordre suivant : auteur, titre, initiale du nom de l’éditeur, date de composition du texte ou parfois
date du manuscrit suivie de la date de composition entre crochets et localisation de l’occurrence.
Ces indications permettent de retourner au texte de la séquence citée, pour le consultant qui
souhaiterait avoir un complément d'information.
En ce qui concerne plus spécialement le ‘lexique complémentaire’, on peut ajouter qu’un
certain nombre d’unités lexicales ne proviennent que des seules occurrences fournies par les
ouvrages lexicographiques à notre disposition et en particulier par l’immense masse
documentaire des 8000 pages du Godefroy. Un certain nombre de données n’ayant pas pu être
vérifiées, faute de références précises à l’intérieur de la source ou parce que l’accès à certains
documents n’a pas été possible et que d’autres ont été perdus
145, elles ont été enregistrées dans
des remarques qui comportent la source référencée d’où elles proviennent . P. ex. :
FABRIER, verbe
…
REM.
146Ex. de COLART MANS. (éd. 1493) ds GD III, 739a (Vulcan trouva premierement l'art de
fabrier et de forger).
145
Voir supra, pp. 31-32.
FACINEREUX, adj.
…
Rem.
147Ex. de SIMON DE HESDIN (éd. 1485 : facineureuse coulpe) ds GD III, 694a.
FAIBLET, adj.
…
REM. Ex. de BERS. (ms. c.1370 :...Ses forces estoient encore petites et foiblettes) et de EVR.
CONTY (ms. du XV
es. : Le poreau a les racines menues et deliez et febletes) ds GD IV, 43a.
FAGOTEUR, subst. masc.
…
REM. Doc. 1393 (emprunté à DU CANGE III, 395b, s.v. fagotare
2) ds GD III, 697a (... un tel
fagoteur mengeur de soupes) ; aussi ex. d'a. fr. ds GDC IX, 592b (1313, Liv. de la taille).
Des mots comme fabrier, faiblet, fagoteur, ne feraient pas partie de la nomenclature du
DMF si l’on ne disposait pas des exemples fournis par les dictionnaires de langue ancienne,
même si on ne leur accorde pas tout à fait la même valeur qu’aux mots issus du corpus textuel,
faute d’avoir pu les vérifier dans les textes.
Grâce au système des remarques de fin de paragraphe ou de fin de rubrique, il est possible
d’introduire, comme on peut le voir dans l’exemple de fagoteur, toutes sortes d’informations,
essentiellement des renvois à d’autres sources lexicographiques ou à des études lexicologiques
complémentaires, mais aussi des hypothèses d’étymologie, des corrections aux ouvrages de
références, des variantes, des rapprochements avec le texte source pour les traductions ou, tout
simplement, de faire part de doutes, etc., comme en témoignent les exemples suivants :
FAILGE, subst. fém.
...
REM. Cf. le m. néerl. Faelge "manteau, cape, voile" ds J. Verdam, Middelnederlandsch
Handwoordenboek, 1964, 172a, s.v. falie.
FAILHARD, subst. masc.
…
REM. Ex. extrait d'un doc. qui concerne Saint-Jean-d'Angély (Charente-Maritime) enregistré à tort ds
GD III, 697a, s. v. faiart (d'où la date de 1373 ds FEW III, 371b : fagus et l'article de renvoi du T-L
III, 1556). Il s'agit en fait de l'attest. la plus ancienne de l'actuel feuillard (qui a été rattaché par étymol.
pop. au lat. folium) att. ds GD IX, 671a, s.v. fueillart. Doc. 1412 (Saint-Jean-d'Angély) ds Dict. région.
Fr. 453 notes j et q. (Cf.Dict. région. Fr., s.v. fayard, p. 451, 452 et 453).
FAIM-VALLE, subst. fém.
…
REM. Déjà "Fain Gale" en c.1320 ds Ovide mor. en vers VIII, 3394, (cf. Éd. et A. Henry. In :
Romania 77, 1956, 343).
FAISSEL
3, subst. masc.
…
REM. Le texte ital. du XIV
es. correspondant (Viaggio, 19, d'apr. l'éd., 43) porte le mot bende
"bande". La var. faisoil de GD III, 693c, s.v. fachuel, se retrouve dans une phrase rétablie ds l'éd. (p.
43) d'apr. le ms. P (du XV
es.) et reproduit l'ital. fazzuolo (att. ds Viaggio, 28 ; cf. le gloss. de l'éd.,
128) auquel il est empr. (cf. fazzolo ds S. Battaglia, Grande dizionario della lingua italiana, t.5, 1968,
764, att. à partir du mil. du XIV
es. au sens de "pièce d'étoffe dont on se ceint la tête ou s'entoure le
cou"). Notons que le m. fr. faissel "mouchoir dont se coiffent les Orientaux", att. ds FEW III, 425b,
s.v. fascia, est à intégrer au FEW III, 356b, s.v. facies.
FAISSELLE, subst. fém.
…
REM. Ou lire faiscelés, c’est-à-dire faisselet ?
3. Conclusion
L’ensemble des données rassemblées dans le DMF se révèle être une aide utile à tous ceux
qui s’intéressent, de près ou de loin, aux textes de la période du moyen français. Destiné à rendre
compte de l’ensemble des vocables attestés entre 1330 et 1500 et à en définir les sens et usages,
le DMF se doit aussi de mettre en garde les utilisateurs du dictionnaire contre les dangers des
contresens et des faux-amis. En effet, le DMF étudie de nombreux mots qui nous sont encore
familiers aujourd’hui, mais qui peuvent avoir en moyen français des sens assez différents de ceux
que nous leur connaissons, tout comme il étudie les mots qui ne font pas plus partie du
vocabulaire actif d’un locuteur contemporain, du fait qu’ils appartiennent à des réalités qui n’ont
pas survécu. Ce sont précisément ces mots-là que le lexicographe se doit de définir avec la plus
grande précision possible, tout en veillant à déterminer avec exactitude leur vitalité, leur domaine
d’emploi, d’un point de vue social ou géographique, et en appliquant avec une extrême rigueur
les principes philologiques fondamentaux pour que la fiabilité des données soit assurée.
Le métalangage, volontairement dépourvu de tout jargon linguistique exclusivement
réservé aux seuls initiés, se veut d’être à la portée de tout public. Sont visés aussi bien les
spécialistes qui pratiquent l’histoire des mots que les spécialistes d’autres disciplines qui
souhaitent comprendre les textes de leur domaine de compétence légués par leurs prédécesseurs,
tout comme, plus largement, tous ceux qui veulent accéder à la compréhension, voire à la
connaissance des faits de civilisation, à la culture de cette époque, par curiosité intellectuelle ou
dans le cadre de manifestations médiévales, comme les tournois, la préparation des repas, etc.
D’un point de vue formel, la saisie informatique de ces données se fait directement par le
rédacteur lui-même, ce qui le force au respect des règles de balisage et garantit une homogénéité
maximale des différentes notices. Ce procédé présente aussi l’immense avantage de supprimer,
par rapport à la rédaction des notices du TLF, deux étapes assez lourdes à gérer : la
dactylographie par un secrétariat puis les épreuves d’imprimerie, jusqu’à l’obtention de la
dernière épreuve (bon à tirer ou B.A.T.), qui nécessitent à chaque fois l’intervention du rédacteur.
Grâce à cette nouvelle forme de lexicographie, la lexicographie informatisée, la documentation
existante peut à tout moment être enrichie ou améliorée et l’utilisateur être tenu informé, dans
des délais assez rapprochés, de toutes ces modifications.
Bilan sur les travaux lexicographiques synchroniques et
diachroniques
Sous l’impulsion donnée en lexicologie historique française par K. Baldinger (Baldinger
1974 [1990]), Fr. Möhren (Möhren 1982) et G. Roques lorsqu’il a dirigé l’équipe de diachronie
entre 1978 et 2004, je me suis efforcée, dans toute la mesure du possible, de porter un regard
critique à la fois sur les éditions des anciens textes et sur la lexicographie historique de nos
devanciers dans tous mes travaux lexicographiques, tant diachroniques que par la suite
synchroniques, et bien sûr aussi dans les diverses études lexicologiques que j’ai pu mener
concomitamment pour la période du moyen français. Ainsi, guidée par le souci d’un maximum
de rigueur philologique, il m’a été possible de dévoiler un certain nombre d’erreurs de
transcription ou de fautes d’impression que les lexicologues ou lexicographes n’ont pas repérées
et qui ont donné lieu ensuite à des entrées de dictionnaires. Et l’on notera qu’A. Darmesteter dès
la parution des huit premiers fascicules de Gdf (A à Besitre) reproche à Godefroy de « recueillir
trop facilement de ces mots qui n'ont jamais existé dans la langue : leçons erronées de mss (…) ;
fautes d'éditeurs que M. Godefroy accepte avec trop de confiance ; erreurs mêmes de M.
Godefroy, qui a parfois mal lu ses textes »
148. De nombreux autres historiens de la langue tels K.
Baldinger
149, G. Merk
150et Cl. Buridant
151se sont depuis penchés sur le problème de ces
pseudo-lexèmes qualifiés de mots fantômes. J’ai donc, pour évincer définitivement ces mots des
dictionnaires historiques et étymologiques français de référence, participé à l’élaboration d’une
base de données destinée à consigner ces pseudo-lexèmes (« ces mots qui n’existent pas »)
disposant à tort d’un statut lexicographique. Cette base, répertoriée au titre de Base des mots
fantômes, est consultable à l’adresse suivante : http://www.atilf.fr/MotsFantomes. Ma
contribution à cette base s’élève à un total de 44 notices, dont la liste est fournie en annexe
(thèse, t. 3, p. 342)
Je me bornerai à citer ici, à titre d’exemple, l’un, ou plutôt deux, des premiers articles que
j’ai rédigés pour cette base : fasfleur/sasfleur.
148
Cf. Romania 10, 1881, 427.
149
Baldinger, Kurt. « Ancien français garger les deux vies d’un mot fantôme », dans Mélanges F. Lecoy, Paris : H.
Champion, 1973, 1-6 et id. « Les gaffes des lexicographes », dans Die Faszination der Sprachwissenschaft,
Tubingen : M. Niemeyer, 1990, 197-203 [paru une première fois dans les Mélanges Lapesa, Madrid : Gredos, 1974,
p. 81-87].
150
Merk, Georges. « Mots fantômes ou obscurs. Datations douteuses », dans Revue de Linguistique romane 44,
1980, 266-303.
151
Buridant, Claude : « Présentation », dans Claude Buridant (éd.), Le moyen français : le traitement de texte
(édition, apparat critique, glossaire, traitement électronique). Actes du IX
ecolloque international sur le moyen
français organisé les 29-31 mai 1997 par le Centre de linguistique et philologie romane et l'Institut national de la
langue française, Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg, 2000, I-IX ; id. « Unica et mots fantômes dans
le Godefroy : réflexions et propositions », dans Frédéric Godefroy, Actes du X
eColloque International sur le moyen
français. Textes réunis et présentés par Fr. Duval, Paris : École des Chartes (Mémoires et Documents de l'École des
Chartes, 71), 2003, 113-128.
La consultation de Gdf que nous avons reproduit ci-dessous, révèle que le même passage,
cité à travers des sources différentes, a donné lieu à trois entrées distinctes : fasfleur / safleur /
sasfleur, accompagnées chacune d’un sens différent : « p. ê. fleur de farine » / « safran » /
« couperose ? » et représentées non pas par 3 mais par 4 graphies différentes : fasfleur / saffleur /
safleur / sasfleur.
Un examen plus attentif de toutes ces citations m’a permis de conclure qu’il
convient de fondre les trois articles de Gdf sous une seule entrée : safleur.
La méthologie mise en œuvre pour résoudre le problème est inscrite dans une
structure de saisie au format XML qui propose, en vue d’interrogations multiples, un certain
nombre de champs prédéfinis que le rédacteur doit remplir pour rendre compte de la justification
de la solution proposée. Ainsi la résolution des mots à problème fasfleur / sasfleur se présente
ainsi dans la base en question :
Je voudrais ajouter que l’expérience m’a appris combien il est facile de voir, pour
reprendre les propos bibliques de Guillaume de Digulleville, la paille qui est dans l'oeil du
voisin ; mais n’est-il pas vrai qu’ « il n’y a pas de lexicographe sans gaffes », pour reprendre la
désormais célèbre formule de K. Baldinger (Baldinger 1990 (1974), 197 ?
Conclusion sur les travaux lexicographiques synchroniques et
diachroniques
Le DMF, tout comme d’ailleurs les lexiques de la base lexicale du DMF, est de type
essentiellement synchronique dans la mesure où il vise à présenter une analyse structurée de
l’usage du mot traité, dans ses différents emplois tels qu’ils se trouvent dans le texte pris en
compte. De ce fait, il s’inscrit très nettement dans la lignée du traitement synchronique en
exploitant la méthode et la "philosophie de travail" développées au cours du temps pour le TLF.
L’objet étudié par le DMF ne concerne pas, comme ce fut le cas pour le TLF, une synchronie
moderne où le corpus lexicographique à décrire est plus ou moins contemporain du rédacteur,
mais une synchronie ancienne qui s’intéresse à une langue du passé dont la connaissance
provient exclusivement des écrits. Le travail du lexicographe qui s’occupe d’une période
ancienne est un domaine où il ne peut pas projeter tels quels ses savoirs et ses sensibilités, qui ne
sont pas ceux d’hier, nos connaissances linguistiques actuelles n’étant qu’une étape dans la
dimension mouvante de la langue. C’est pourquoi la description linguistique lexicographique ne
dépend pas de la bonne compétence lexicale et culturelle du lexicographe qui a le statut de
locuteur contemporain décrivant, pour l’essentiel, des entités directement observables, mais
concerne uniquement une langue textuelle que le lexicographe, chargé d’en faire l’inventaire,
découvrira lui-même progressivement. Mais, tout comme le synchronicien du TLF, le rédacteur
du DMF se fonde sur l’observation des faits de langue à un moment donné de son histoire,
indépendamment de toute évolution dans le temps.
Pour un diachronicien du TLF, l’élaboration d’un article du DMF nécessite donc des
efforts d’adaptation dans la mesure où il doit, à la manière du rédacteur de synchronie, faire
l’étude d’un état de la langue et non, comme auparavant dans les notices historiques, l’étude des
évolutions de la langue. Toutefois, si dans leur chronologie les notices historiques du TLF et les
notices synchroniques du DMF (ou des lexiques) s’opposent nettement, puisque les unes
couvrent un sémantisme échelonné sur plus d’un millénaire, alors que les secondes occupent une
période plus restreinte (170 ans), identique à celle du TLF à ses débuts, le lexicographe peut
néanmoins observer, à échelle réduite, des mutations linguistiques équivalentes, en particulier
des filiations sémantiques similaires ou voisines. Le diachronicien du TLF, pour rédiger des
notices du DMF, est amené à mettre en œuvre une méthodologie rédactionnelle nouvelle pour
lui, même si elle était déjà en vigueur chez les rédacteurs de la rubrique de synchronie. Étant
donné que l’on travaille sur les faits synchroniques observés ensemble et reconstitués en système,
le DMF, comme le TLF dans sa partie synchronique, dictionnaire de corpus, se doit à la fois de
recenser l’ensemble des vocables en usage durant la période étudiée (1330 à 1500) ainsi que
l’ensemble des sens qui leur sont affectés et d’accompagner chaque définition d’une citation
qui donne vie à la définition.
critères d’admission des vocables clairement définis, mais avec quelques différences liées à la
nature de l’état de la langue ancienne, le DMF fait un inventaire aussi exhaustif que possible du
vocabulaire en usage dans sa synchronie. Désormais, pour un diachronicien du TLF, il va falloir,
en l’absence d’une nomenclature préalablement établie, décider, après avoir inventorié et
examiné tous les mots rencontrés dans le corpus textuel ou lexicographique et lexicologique, des
unités lexicales à retenir pour le DMF. Il va lui falloir aussi décider des formes qu’il faut donner
à toutes ces entrées, s’agissant d’unités pouvant revêtir des graphies assez variées. Dans le même
ordre d’idées, le DMF se doit d’enregistrer tous les sens, en suivant en premier lieu le sens
Dans le document
Lexicographie et lexicologie historique du français
(Page 125-200)