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7. L’étude en blocs historico-chronologique de la trajectoire de ces trois concepts avec la méthode d’analyse structurale proposée plus haut permettra de schématiser la

3.5 Chronologie segmentée de la controverse

Bien qu’une des caractéristiques les plus évidentes du débat sur la transition entre Paléolithiques moyen et supérieur soit sa durée, et la permanence de deux camps qui s’affrontent à son propos, la prise en compte de cette polarisation entre ces deux types de modèles ne doit donc pas atténuer l’importance des changements qu’ils ont connus dans leur formulation. Le problème scientifique étudié est passé par trois stades successifs. La définition de la chronologie en fut l’étape préliminaire, en accord avec un évolutionnisme universaliste emprunté aux sciences géologiques et biologiques, afin de jalonner la séquence de la Préhistoire sur le plan diachronique. On peut ainsi distinguer trois pivots incontournables dans l’histoire de cette controverse jusqu’à nos jours. Ces points tournants sont la bataille de l’Aurignacien entre 1906 et 1912 ; la longue querelle sur la validité du complexe périgordien, entre sa définition par Peyrony dans les années 1930 jusqu’à son abandon définitif par Denise de Sonneville-Bordes dans les années 1980, et la spectaculaire découverte de Saint-Césaire. « La notion de culture est apparue quand les préhistoriens ont dû envisager certaines contemporanéités186. »

La « bataille aurignaco-périgordienne » tient une place capitale dans cette histoire : pour la première fois, il faut expliquer la concomitance de deux industries différentes à l’intérieur d’une même époque187. Les différences observées doivent s’expliquer autrement

que comme la conséquence d’une évolution temporelle : le particularisme culturel a alors été évoqué pour en rendre compte188. Les données chronologiques (Acheuléen, etc.)

changent peu à peu de statut et sont chargées d’une dimension culturelle. Tout l’enjeu de l’archéologie préhistorique va être maintenant de circonscrire dans l’espace ces entités culturelles, initialement reconnues dans le temps. On assiste à l’essor de la géographie

186

Gaucher, 1989, 68, in Wisniewski, 2006, 40.

187

Peyrony, 1933, in Wisniewski, 2006, 40.

humaine préhistorique et aux premiers décapages horizontaux systématiques, mettant au jour des ensembles de vestiges supposés contemporains, reflétant le mode de vie des sociétés passées. Dès 1950, les recherches sont alors systématiquement marquées par un glissement de l’approche diachronique vers l’approche synchronique. À l’intérieur du cadre temporel défini, il s’agit maintenant de décrire les structures, c’est-à-dire l’organisation spatiale des assemblages.

La troisième phase de l’élaboration du concept de culture, à partir des années 1980, qui a déjà passé du statut de marqueur chronologique universel dans une optique de progrès orthogénique, à celui d’ensembles particularistes construits sur une base empirique identifiable sur le plan géographique dans une optique de contingence historique, se transforme en système ouvert de type structuralo-fonctionnaliste, focalisée sur l’étude des processus du changement culturel. Alors que les deux premiers événements sont liés à la modification des schémas de filiation des industries entre elles, le troisième remet en question l’association entre industries et taxons anthropologiques. Les deux premières phases se combinent alors pour permettre d’établir des modèles de la dynamique du changement comportemental sur les deux plans de la diachronie et de la synchronie dans un cadre fonctionnel qui intègrent les différents sous-systèmes culturels en interaction. « La conséquence de ce paradoxe, est que l’expression cultures préhistoriques peut être entendue de différentes manières, inconciliables entre elles189

».

Pour les tenants de l’approche universaliste, la diversité culturelle observée est temporaire : sorte d’étape transitoire qui, selon une conception évolutionniste, aboutit à la culture sensu stricto, expression ultime et unitaire de toute société. Les diverses cultures observées étant reliées entre-elles selon un schéma évolutionniste (unilinéaire ou non), il est parfaitement légitime de les comparer afin de savoir où elles se situent les unes par rapport aux autres. De cette approche comparative doit ressortir la véritable « nature de la culture », c’est-à-dire les lois qui la régissent. Ainsi, on observe bien l’unité ( la culture dans son expression ultime) dans la diversité (les cultures selon les étapes de leurs progressions). À l’inverse, les tenants du particularisme culturel s’interdisent tout comparatisme prématuré. Peu intéressés et sceptiques à l’égard des reconstitutions historiques à grande échelle, ils s’efforcent bien plus de définir ce que toute culture a d’original et d’irréductible. Pour eux, il y a peu d’espoir de découvrir des lois universelles de fonctionnement des sociétés et des comportements

humains, et encore moins de lois générales de l’évolution des cultures. Mais il faut bien noter que ce particularisme culturel est avant tout un principe méthodologique, voire éthique, plus qu’une hypothèse résultant d’une analyse du phénomène culturel. L’unité de l’Homme en tant qu’être de culture n’est pas niée (postulat hérité de la philosophie des Lumières), mais l’attention toute entière est portée sur les expressions contingentes des différentes cultures : la diversité observée est bien envisagée dans l’unité présupposée190

.

À la démarche initiale de la construction d’une chronologie qui établit des séquences temporelles strictement diachroniques d’ensembles archéologiques vers le dernier tiers du XIXe

siècle, succède l’analyse typologique descriptive de la variabilité relationnelle de ces ensembles sur les plans synchronique et géographique à partir de 1912. Vers 1950, l’étude des processus dynamiques du changement culturel, en relation avec la technologie, l’environnement et l’organisation sociale, rendue possible par l’augmentation constante des données disponibles et des moyens analytiques pour les traiter (datations physico-chimiques, tracéologie, statistiques informatiques et plus récemment la paléo- génétique), caractérise la production scientifique relative à la transition entre Paléolithiques moyen et supérieur. L’étude de la variabilité typologique des systèmes techniques se poursuit après la Deuxième Guerre mondiale, avec la prise des coordonnées cartésiennes, augmentant encore l’exhaustivité dans la collecte des données sur le plan synchronique, et l’emploi de moyens de datation plus précis qui permettent l’élargissement des comparaisons régionales et continentales. La découverte de Saint-Césaire modifie profondément la modélisation des scenarii explicatifs en assoyant sur des faits la notion d’acculturation déjà évoquée par Breuil et Leroi-Gourhan. Si le modèle de continuité directe est encore soutenu dans les années 1960, l’incertitude sur l’origine géographique des populations anatomiquement modernes le rendant toujours possible, ce n’est plus le cas à partir de la reconnaissance du scénario Out-of Africa et la constatation de l’antériorité de la modernité comportementale dans le contexte du Middle Stone Age sub-saharien par la

communauté préhistorienne entre les années 1960-1970. Le Middle Stone Age d’Afrique sub-saharienne présente de nombreux caractères qui précèdent parfois de 70 000 à 50 000 ans les caractéristiques du Paléolithique supérieur d’Europe occidentale, telles que l’apparition d’industries laminaires comme celles d’Howieson’s Poort en Afrique du Sud, qui disparaissent ensuite avant le début du Paléolithique supérieur local, et les industries à éclats typiques du Paléolithique moyen en Europe n’apparaissent en Chine qu’à la période néolithique. En ouvrant de nouvelles possibilités pour l’étude à l’échelle pan-eurasiatique du Paléolithique, la chute du système soviétique a favorisé, parmi d’autres facteurs, la découverte et la reprise de fouilles de sites dont la variabilité entraîne depuis une trentaine d’années une révision profonde du paradigme dominant l’étude du Paléolithique moyen, et le passage au paléolithique supérieur, c’est-à-dire l’adoption de la modernité comportementale.

Périodisation du débat

Récolte des données méthodologie Paradigmes opératoires méta-

paradigme Culturaliste Naturaliste 1912-1950 Établissement d’une grille chronologique (diachronie) -fossile-directeur -fouilles par tranchées -séquence stratigraphique -datations relatives -réductionnisme typologique -industries = cultures -déterminisme historique Évolution biologique et culturelle continue et universelle filliation Discontinuité culturelle et biologique ruptures Progrès 1950-1980 Définition de la variabilité des industries lithiques (synchronie)

-ensemble culturel extensif -fouilles à aires ouvertes -contemporanéïté des faciès

identification des contextes climatiques et écologiques -datations physico-chimiques -systématisation statistique de la typologie -fonctionnalisme/ réjuvénation -répartition géographique des traits culturels

Multiphylétisme -acculturation -hybridation (convergence évolutive) Monophylétisme -acculturation -remplacement (spéciation) Progrès/ Adaptation 1980-2011 Processus culturels et biologiques (dynamique)

-évolution comparative interne et externe des sous-systèmes culturels -variations géographiques et temporelles

-corrélation entre le contexte écologique et innovations/adaptations

-approche technologique -circulation des matières premières

-démographie et subsistance -comparaison avec le

Middle Stone Age sub-

saharien. Approche synthétique -acculturation -hybridation -convergence évolutive (indigéniste) -variabilité, (évolution en mosaïque) Monophylétisme -acculturation -compétition remplacement (spéciation) Adaptation