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Choisir le Bénin : entre familiarité du lieu et caractéristiques du cas d’étude

Le choix du Bénin comme terrain pour cette recherche a été le produit de différentes considérations à la fois théoriques et pratiques. Elles étaient principalement liées à une certaine connaissance personnelle préexistante du pays et à ses caractéristiques. En effet, j’avais réalisé la collecte de données pour mon mémoire de master dans un département du Nord du Bénin et sur un thème proche de celui de mes questionne- ments de recherche pour le présent travail. De ce fait, j’avais donc déjà une certaine « familiarité » avec les enjeux du champ du VIH/sida au Bénin et les organisations impliquées dans le champ. Reprendre et approfondir le terrain ouvert lors du master m’a semblé être un atout pour cette recherche puisque les connaissances acquises lors de ce précédent séjour de recherche offraient des éléments précieux pour élaborer à la fois le projet de recherche et le terrain exploratoire de la thèse. Sans compter que la familiarité développée sur le contexte national de manière plus générale et les quelques contacts établis dans le champ du VIH/sida constituaient une facilité d’entrée pour ce nouveau terrain34.

De plus, inscrivant ma recherche dans le cadre d’échanges avec des chercheurs dont les travaux analysent les politiques de lutte contre le VIH/sida dans d’autres pays africains, se concentrer sur le cas du Bénin ouvrait la possibilité d’un terrain encore peu exploré en ce qui concerne la lutte contre le VIH/sida35, tout en ayant la possibilité de le mettre en comparaison avec d’autres études de cas nationales (Chabrol 2012 ; Demange 2010 ; Eboko, Owona Nguini et Enguéléguélé 2009 ; Eboko 2013b ; Hunsmann 2013). Ce choix m’offrait donc à la fois une grande latitude de recherche et la chance de « défricher » un nouveau terrain tout en me donnant la possibilité de travailler dans le cadre d’un « réseau de recherche » plus ou moins formel36.

De manière plus centrale, le choix du Bénin relève cependant aussi d’une stratégie

34. Il n’est pas non plus négligeable, dans une perspective plus pratique, de sélectionner un terrain « sûr » et sur lequel les activités de recherche peuvent se dérouler sans obstacles administratifs ou politiques préalables.

35. Mon travail de thèse a en fait pris place en parallèle avec la recherche d’un autre doctorant qui s’est concentré, en complémentarité quasi-parfaite avec mon approche, sur la question des acteurs non gouvernementaux dans la lutte contre le VIH/sida au Bénin (Soriat 2013). Ces recherches constituent, à ma connaissance, les premiers travaux en science politique sur le VIH/sida au Bénin. 36. Certains échanges relevaient en effet d’échanges informels entre chercheurs dont les probléma- tiques étaient proches, d’autres d’un projet de recherche transversal sur les politiques nationales de lutte contre le VIH/sida en Afrique (coordonné par Fred Eboko) ou encore des activités du Réseau Jeunes Chercheurs Sciences Sociales VIH/sida.

de recherche. En effet, différentes caractéristiques du Bénin en font un cas empirique pertinent pour mes problématiques de recherche.

Tout d’abord, le Bénin est un pays démocratique, ce qui présente des caractéris- tiques intéressantes pour une recherche qui se concentre en partie sur les acteurs non gouvernementaux et les mobilisations, touchant donc aux relations État-citoyens. En effet, régime autoritaire d’inspiration marxiste-léniniste depuis 1972, le Bénin est connu pour sa transition démocratique pacifique en 1990 par le biais de l’organisation d’une « Conférence nationale des forces vives de la nation » puis pour la stabilisa- tion du nouveau régime démocratique37. Différents travaux ont cependant mis en évidence la continuité entre régimes autoritaire et démocratique, notamment à tra- vers la stabilité des élites, le maintien des structures politiques et économiques et la diffusion de représentations politiques appartenant traditionnellement au registre des régimes autoritaires (logiques clientélistes et régionalistes, « manducation politique », etc.) (Banégas 2003). De plus, la constitution du Bénin comme modèle démocratique en Afrique s’accompagne d’une quasi-absence de développement économique qui non seulement remet en cause le discours des bailleurs internationaux liant démocratie et croissance économique, mais qui souligne aussi le maintien de la dépendance du pays à l’égard des acteurs internationaux (Bierschenk 2009)38.

Mais le Bénin est aussi, dans une perspective épidémiologique, un pays où le sida est décrit comme une « épidémie généralisée à faible prévalence » (CNLS 2010)39. En

effet, le taux national de séroprévalence s’est stabilisé autour de 2 % depuis 2002 alors que le nombre d’adultes séropositifs ayant accès au traitement est estimé à 70 % en 201240. Ce taux relativement bas d’infections à VIH combiné à un taux élevé de mise sous traitement rend le cas du Bénin intéressant pour livrer une analyse empirique

37. Le retour au pouvoir de Mathieu Kérékou, ancien dirigeant de la République populaire du Bé- nin, par la voie démocratique pour deux mandats successifs (1996-2006) est généralement l’élément mobilisé comme preuve de la stabilité du nouveau régime démocratique.

38. Pour plus de détails sur les processus politiques au Bénin, voir le travail de Richard Banégas sur la démocratisation du Bénin et les effets de son appropriation sur les pratiques et imaginaires politiques (Banégas 2003), celui de Cédric Mayrargue sur l’émergence du religieux dans l’espace politique béninois (Mayrargue 2002) ou celui de Thomas Bierschenk revenant sur la stabilité des dynamiques politiques de la République populaire du Bénin à la démocratie béninoise (Bierschenk 2009).

39. Cette caractérisation provient des classifications internationales proposées par l’ONUSIDA. En 2012, cette classification a été requalifiée en tant qu’« épidémie mixte » : « malgré cette tendance à la stabilisation [du taux national de séroprévalence], il existe des poches de concentration de fortes prévalences au sein de certaines populations clés plus exposées aux risques d’infection, notamment les professionnels de sexe, leurs partenaires et les prisonniers » (CNLS 2012a, 8).

40. Voir l’annexe B ou voir : ONUSIDA. Data & analysis, « Data tools », « AIDSinfo », [En ligne]. http://www.unaids.org/en/dataanalysis/datatools/aidsinfo/ (consultée le 3 no- vembre 2013).

des dynamiques de chronicisation et d’institutionnalisation de la maladie. De fait, les problématiques liées à ces questions sont plus susceptibles d’émerger dans le contexte d’une basse prévalence et d’un fort taux d’accès au traitement que dans des pays où la prévalence élevée contribue à la prolongation du statut de « crise » de la politique de lutte contre le VIH/sida et justifie en partie le maintien de l’urgence politique. Le choix du Bénin nous permettra donc d’interroger les transformations de cette épidémie et leurs effets sur le processus décisionnel dans le cas d’un pays où elle ne correspond « objectivement » pas aux critères de la catastrophe sanitaire du VIH tels qu’ils ont pu être décrits dans d’autres contextes nationaux41.

Enquêter en terrain médicalisé : positionnement de recherche et

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