• Aucun résultat trouvé

Apparition et mise en problème du VIH/sida en Afrique : entre culturalisme, silence et relations néo-coloniales

Retour historique sur la construction « exceptionnaliste » de la maladie

1.3. En Afrique, un cadre exceptionnel articulé autour de l’impact catastrophique de la maladie

1.3.1. Apparition et mise en problème du VIH/sida en Afrique : entre culturalisme, silence et relations néo-coloniales

Afin de bien saisir les enjeux de la diffusion de l’épidémie sur ce continent, nous commencerons cette partie par un retour rapide sur la description du processus his- torique de propagation de l’épidémie de VIH/sida en Afrique. En effet, un retour sur ce processus nous permettra d’en souligner les enjeux liés aux représentations du VIH et la mise en problème qu’elle provoque. Nous reviendrons donc d’abord rapidement sur le processus de propagation de l’épidémie à l’ensemble du continent. Évoqué dans cette description, un certain nombre de caractéristiques de l’épidémie en Afrique nous servira de « fil rouge » afin d’analyser les enjeux politiques liés à cette évolution de l’épidémie.

Éléments chronologiques de la propagation du VIH/sida en Afrique. « Le VIH-1 devint d’abord épidémique dans les années 1970 en Afrique équatoriale occidentale, son lieu d’origine. Ce fut d’abord une épidémie silencieuse, inaperçue jusqu’à ce qu’elle soit établie trop fermement pour être stoppée » (Iliffe 2006, 10). Présent dans la région au moins depuis les années 195042, c’est seulement à partir de la fin des

42. Des études ultérieures de sérums congelés en 1959 à Léopoldville (Kinshasa) montrent un seul cas positif au VIH, démontrant à la fois la présence du virus depuis plusieurs décennies dans la

années 1970 que le virus du sida devient endémique dans la région de Kinshasa et se répand progressivement sur l’ensemble du continent. Mais c’est seulement après la publication par le Center for Disease Control and prevention de son premier rapport sur des cas de pneumonies rares chez de jeunes homosexuels américains que des mé- decins européens établirent un lien avec des symptômes observés chez des patients africains ou revenant d’Afrique dans les années 1970. De même, en Europe, il fut rapidement observé que parmi les premiers malades présentant ces symptômes se trouvaient des personnes d’origine africaine ou ayant séjourné en Afrique.

Cela conduisit, en 1983, à l’envoi d’une équipe de recherche américaine, belge et congolaise à Kinshasa et Kigali pour étudier ces observations intrigantes43. Cette

équipe de recherche, qui deviendra en 1984 le « Projet Sida »44, identifia les différents

modes de transmission (rapports sexuels, échange de sang par injection ou transfusion et transmission de la mère à l’enfant) et tenta de donner l’alerte sur le caractère inquiétant de cette nouvelle épidémie ainsi que sur le taux élevé de transmission par la transfusion sanguine en Afrique45 (Iliffe 2006, 14). Pourtant, les premières réactions face à ces résultats scientifiques furent profondément hostiles, au point que les premiers articles proposés par ce groupe de recherche furent refusés par des revues scientifiques américaines. En effet, il faut se rappeler que cette nouvelle maladie était alors répandue parmi les homosexuels dans les pays occidentaux et que l’idée d’une transmission principalement hétérosexuelle de la maladie en Afrique ne semblait pas cadrer avec ce qui était observé aux États-Unis et en Europe (Iliffe 2006, 13).

Alors que l’attention accordée au VIH/sida demeurait principalement focalisée sur l’Europe et les États-Unis, l’épidémie commença à se propager sur le continent africain, d’abord dans la zone de l’Afrique équatoriale occidentale (Kinshasa, bas-

région et son caractère non endémique (Iliffe 2006, 3).

43. Comme le montrent Charlotte Pezeril et Dany Kanyeba, le cas de l’émergence de l’épidémie de VIH/sida en Belgique est particulier à cet égard. En effet, durant les premières années de l’épi- démie, alors que dans la plupart des pays européens, le VIH/sida était surtout perçu comme une maladie concernant les homosexuels, les toxicomanes ou les hémophiles, en Belgique, le VIH/sida est très rapidement catégorisé comme une maladie « africaine » puisque les premiers cas diagnos- tiqués concernaient principalement des migrants congolais, d’où un intérêt précoce pour l’étude de l’épidémie en Afrique et la participation à des missions scientifiques au Congo (Pezeril et Kanyeba 2013).

44. Jonathan Mann, futur directeur du Global Programme on AIDS de l’OMS, et Peter Piot, premier directeur de l’ONUSIDA, comptèrent notamment parmi les membres de cette équipe.

45. Jacques Pepin, dans son ouvrage « The Origins of AIDS », met effectivement en cause les injections administrées dans le cadre de la lutte contre la syphilis à Kinshasa dans les années 1960. Combiné à des changements sociaux importants lors du processus d’urbanisation de la ville (notam- ment dans la structuration de la prostitution), cet élément joue un rôle majeur dans l’explication de la transformation du VIH en une épidémie extrêmement dynamique et remet ainsi en cause l’idée d’une transmission purement sexuelle de la maladie (Pépin 2013).

Congo, Katanga, Brazzaville, Bangui). Cependant, malgré une propagation rapide et intense durant la première décennie, les taux de séroprévalence se stabiliseront dans les années 1990, probablement ralentis par une propagation principalement limitée à une minorité d’individus vulnérables, des taux élevés de circoncision masculine46 et

relativement limités de maladies sexuellement transmissibles47, des conflits en cours

et la distance géographique entre les différentes régions.

Ce sont ensuite les pays d’Afrique de l’Est qui sont touchés, avec des épidémies présentant des caractéristiques très diverses. Dans le cas du Rwanda et du Burundi, par exemple, c’est « un contraste distinctif entre des épidémies explosives dans le bassin du lac Victoria, d’une part, et une pénétration lente dans le reste de la région, d’autre part » qui caractérise cette région et qui s’explique par le rôle du commerce du sexe dans cette diffusion et l’absence de liens forts entre milieux ruraux et urbains (Iliffe 2006, 19). Dans le cas de l’Ouganda ou de la Tanzanie, c’est au contraire une épidémie rurale qui se propage progressivement suivant des réseaux sexuels vers les centres économiques et les capitales, favorisée par la mobilité des personnes et la présence de nombreux axes de communication (Iliffe 2006, 19–32). C’est d’ailleurs en Ouganda que la présence du sida est reconnue au niveau local, peut-être pour la première fois. En effet, dès le début des années 1980, il n’est pas rare d’entendre parler de ce qui est qualifié de slim disease – l’amaigrissement des malades étant le signe le plus visible de cette maladie –, maladie bientôt constituée en fait social et faisant l’objet d’une interprétation locale ainsi que de premières tentatives de réponses sociales et locales, bien avant la mise en place de programmes nationaux (Demange 2010, 149–158). Cette émergence précoce de la maladie comme problème social en Ouganda explique par ailleurs en partie la rapidité de la réponse nationale à l’épidémie, par opposition à d’autres pays où le VIH/sida se constitue en fait social plus lentement.

La propagation du VIH dans la partie Sud du continent africain a lieu plus tar- divement mais atteint progressivement tous les pays de la zone (Zambie, Malawi, Zimbabwe, Botswana, Afrique du Sud, etc.). Facilitée par la forte mobilité des po- pulations et les migrations liées au travail, l’épidémie s’y propage extrêmement ra-

46. Comme cela sera démontré plus tard, la circoncision masculine réduit les risques d’infection au VIH pour les hommes circoncis, ce qui conduira l’OMS et l’ONUSIDA à recommander en 2007 la mise en place de programmes de circoncision à l’échelle nationale dans les pays d’Afrique à forte prévalence (OMS et ONUSIDA 2007).

47. La prévalence d’autres maladies sexuellement transmissibles joue un rôle dans la transmission du VIH car leur présence augmente les risques d’infection par la voie sexuelle (Fleming et Wasserheit 1999).

Figure 1.1. – Évolution des taux de séroprévalence nationaux chez les adultes en Afrique sub-saharienne de 1988 à 2003.48

pidement dans les années 1990, jusqu’à la transformer en région du monde la plus touchée par l’épidémie (Iliffe 2006, 33–47).

Enfin, l’épidémie de VIH se propage aussi vers l’Afrique de l’Ouest mais de manière plus progressive et moins complète que sur le reste du continent puisque les taux de prévalence sont toujours restés beaucoup plus bas que dans les autres régions (sauf en Côte d’Ivoire). Également diffusée le long des axes routiers et des réseaux sexuels, cette épidémie se caractérise par une prévalence générale basse et des taux d’infections élevés parmi les travailleuses de sexe et leurs clients (Iliffe 2006, 38– 57). Des facteurs tels que des obstacles à la mobilité entre Afrique centrale et de l’Ouest, des opportunités économiques plus nombreuses pour les femmes, des taux de circoncision beaucoup plus élevés et des schémas maritaux et moraux musulmans contribuent à expliquer cette propagation limitée dans la région (Iliffe 2006, 48). Comme le montre la Fig. 1.1, les taux de séroprévalence dans la population adulte se sont stabilisés à partir des années 2000 à moins de 5 % dans les pays d’Afrique de l’Ouest, de 1 à 15 % en Afrique centrale, à moins de 15 % en Afrique de l’Est et entre 15 et 28 % en Afrique australe.

Explications culturalistes du VIH et cristallisation des tensions entre pays oc- cidentaux et africains. Ce détour rapide par les mécanismes de propagation de l’épidémie sur le continent africain s’avère nécessaire à la lumière des représentations que cette épidémie suscite et des mises en discours souvent réductrices qu’elle pro- duit. Cela nous permet maintenant de suivre certains éléments soulevés dans cette

48. Source : AVERT. Africa, « Africa HIV & AIDS history », [En ligne]. http://www.avert.org/ history-hiv-aids-africa.htm (Consultée le 12 octobre 2013).

partie afin d’en « tirer des fils conducteurs » montrant comment l’épidémie de sida en Afrique est d’abord exceptionnelle par la cristallisation des tensions entre pays occidentaux et pays africains qu’elle provoque, que ce soit au niveau politique ou médical. Au nombre de ces éléments, nous pouvons d’ors et déjà souligner les carac- téristiques diverses d’une épidémie qui ne forme pas un tout homogène à l’échelle du continent49 et la multiplicité des facteurs favorisant ou limitant sa propagation ainsi

que son caractère silencieux et la difficulté à reconnaître l’existence du VIH au niveau international. Enfin, la question de l’Afrique comme lieu de naissance de l’épidémie a provoqué de nombreux débats scientifiques et politiques sur lesquels nous reviendrons rapidement.

La question du VIH/sida en Afrique connaît effectivement une émergence difficile et contrainte par les représentations et les relations qui existent entre Afrique et Occident. L’émergence de la maladie, son cadrage dans les pays occidentaux, leur domination dans le champ de la médecine au niveau international et les relations complexes qui existent entre ancien continent colonisé et anciennes puissances co- lonisatrices contribuent à faire du cadrage de la reconnaissance et de l’émergence du VIH/sida en Afrique une question éminemment épineuse, empreinte de cultura- lisme et de racisme. En effet, la reconnaissance des premiers cas de sida en Afrique pose rapidement la question des modes de transmission puisque les personnes infec- tées en Afrique ne correspondent pas aux catégories identifiées comme « groupes à risque » dans les pays occidentaux (homosexuels, usagers de drogues injectables). Se pose alors la question de savoir, dans un contexte où les connaissances sur l’épidémie demeurent extrêmement limitées, si ces cas d’infections en Afrique appartiennent à la même épidémie ou s’ils sont le signe d’une deuxième épidémie qui se propagerait seulement en Afrique.

Comme le montrent Randall Packard et Paul Epstein, en l’absence de connais- sances suffisantes sur l’étiologie de l’épidémie, les chercheurs occidentaux ont eu ten- dance à privilégier des explications reposant sur des représentations populaires de « l’Africain », en tant qu’Autre fondamentalement différent des Européens (Packard et Epstein 1991). Cette mise en sens de l’épidémie en Afrique se focalise sur la ques- tion d’une supposée sexualité débridée et promiscuité des Africains – renforcée par une mise en parallèle avec des représentations communes sur le comportement sexuel de la communauté homosexuelle dans les pays occidentaux. Elle ignore donc les fac-

49. Il serait en effet plus correct de parler « des » épidémies de VIH/sida, plutôt que d’une épidémie, afin de mettre en lumière cette diversité. Pour faciliter la lecture, nous choisissons cependant de conserver le singulier.

teurs environnementaux et opère à la fois une mise à distance de l’Afrique et une construction de l’épidémie comme problème comportemental ayant pour conséquence de rendre les victimes seules responsables de leur contamination (Packard et Epstein 1991). Cette lecture de l’épidémie sur ce continent en fait donc une « terre imaginaire du sida » liée à des fantasmes à propos du continent et de l’origine africaine de l’épi- démie ainsi que des mythes autour de la sexualité des Africains qui conduisent à la construction d’un discours recyclant de vieux « fantasmes sur un continent obscur, sauvage et primitif » (Bibeau 1991, 126).

Il faudra d’ailleurs plusieurs années avant qu’il soit généralement accepté que l’épi- démie de sida dans les pays occidentaux et africains était la même et la transmission du VIH par relations hétérosexuelles l’un de ses modes de transmission majeurs. De même, il s’écoulera quelques années avant que les fondements culturalistes de ces hypothèses scientifiques ne soient remis en cause et que les chercheurs en sciences so- ciales ne pointent le « crypto-racisme [caché] dans le jargon faussement scientifique de la génétique et des théories évolutives modernes » (Bibeau 1991, 133).

Cette construction culturaliste de l’épidémie en Afrique se combine avec des dé- bats scientifiques et politiques autour de la question de l’origine de l’épidémie qui renforcent le développement de ce type d’arguments. En effet, la question de l’origine de la maladie est centrale pour les médecins travaillant sur le VIH/sida car réussir à répondre à cette question peut aider à mieux comprendre ses déterminants et donc la combattre. Cette question, au départ relevant du processus de recherche scienti- fique, n’est cependant pas neutre. D’une part, assigner l’origine de l’épidémie à un lieu ou un pays peut aisément être utilisé comme technique d’attribution des respon- sabilités. Ainsi, utilisant les données scientifiques disponibles, chaque gouvernement tente, pour assurer son intégrité et réaffirmer ses frontières, d’attribuer la paternité de cette catastrophe sanitaire à d’autres régions du monde (Haïti, l’Afrique) ou à des groupes particuliers (homosexuels, toxicomanes) qui le dédouanent de la responsa- bilité de l’épidémie (Gruénais et al. 1999, 2). Or, la transmission hétérosexuelle au sein de la population générale observée en Afrique semble indiquer une épidémie plus ancienne, s’étant déjà propagée à l’ensemble de la population, et désigner l’Afrique comme « coupable » de la diffusion de l’épidémie.

D’autre part, ces débats scientifiques sur les origines de l’épidémie ne sont pas à l’abri des arguments idéologiques fondés sur des représentations culturalistes de l’Afrique et des Africains que nous avons déjà évoqués (Bibeau 1991). L’utilisation de ce débat scientifique selon des schémas culturalistes ou pour servir des intérêts politiques est d’ailleurs bien compris des gouvernements africains qui l’interprètent

comme un « prétexte à un racisme anti-noirs » (Brooke 1987) et réfutent toute pré- sence de l’épidémie sur leur territoire.

Ce contexte participe alors à expliquer le déni initial de la plupart des États afri- cains face à l’épidémie de VIH/sida et leur refus de reconnaître la présence de malades infectés sur leur territoire jusqu’à ce que l’OMS conditionne la déclaration officielle des cas de sida à l’attribution de son aide financière50 (Dozon et Fassin 1989, 25). Se créé ainsi un « double lien » dans la politique des pays africains face au sida : « l’existence simultanée d’une dénégation de la réalité du phénomène et d’une mise en œuvre de programme de prévention » (Dozon et Fassin 1988, 79).

Mécanismes d’émergence du problème du VIH/sida en Afrique : du silence des États à l’imposition d’un modèle international. L’émergence du sida comme problème politique sur le continent africain se produit donc d’abord de manière né- gative, c’est-à-dire que l’existence de l’épidémie est réfutée par les gouvernements de la plupart des pays africains en réaction aux débats autour d’un « sida africain » et d’une « origine africaine de l’épidémie ». Ainsi, au 31 décembre 1985, seuls six États africains ont déclaré l’existence de cas de sida sur leur territoire (Amat-Roze 2003, 125)51 alors même que les premières recherches, telles que celles menées dans

le cadre du Projet Sida, montrent déjà le fort taux d’occupation de certains hôpi- taux africains par des patients séropositifs (Iliffe 2006, 12–14). Analysant la réaction des États africains à l’irruption du VIH sur leur territoire en référence au processus en Europe et aux États-Unis, il importe de souligner deux aspects de cette mise en problème de l’épidémie : le silence initial des États et la construction du problème en lien avec l’extérieur plutôt que résultant d’une mobilisation de groupes d’acteurs sociaux au niveau national.

Comme le rappelle Didier Fassin, l’émergence de la question du VIH en tant que problème social et politique, dans les pays occidentaux aussi bien que dans les pays africains, dépend plus de l’organisation sanitaire et de l’histoire politique du pays que des courbes « objectives » de séroprévalence (Fassin 1994, 754). Le silence initial des États face à cette épidémie s’explique principalement par les difficultés qu’elle pose à des États qui ne savent pas comment y répondre. Cependant, pour les États africains, l’irruption de cette épidémie fait plus que remettre en cause les pouvoirs

50. Ce déni est d’ailleurs accompagné de rumeurs qui tentent de renvoyer aux pays occidentaux la responsabilité de l’épidémie qu’ils auraient propagée en Afrique, voire créée dans leurs laboratoires (Gruénais et al. 1999, 2).

51. Il s’agit du Rwanda, de la République sud-africaine, du Kenya, de l’Angola, du Botswana et de la République centrafricaine.

politique, médical et scientifique (comme nous l’avons analysé en Europe). « Ce sont ainsi les désordres de l’État que révèle la maladie » (Fassin 1994, 761), désordres que le manque de capacités de l’État rend difficiles, voire impossibles, à surmonter. Ce silence des États africains répond donc à une « double nécessité d’ordre interne. D’une part, nécessité vis-à-vis de la population qu’ils sont censés administrer, de préserver l’apparence d’une maîtrise de la situation qu’ils n’ont pas. D’autre part, nécessité vis-à-vis d’eux-mêmes, de maintenir un contrôle politique qu’ils exercent le plus souvent avec une légitimité réduite » (Dozon et Fassin 1989, 28). Ce silence est donc une forme de réponse politique à la menace que l’épidémie fait peser sur l’État. Contrairement à la situation dans les pays occidentaux, les organisations de pa- tients ou les associations de lutte contre le sida n’ont pas émergé comme des contre- pouvoirs forçant l’émergence d’un débat autour du VIH dans l’espace public. De manière générale, et sans oublier de souligner l’hétérogénéité des situations, cette particularité est souvent liée aux difficultés de ces acteurs à émerger comme indépen- dants et autonomes dans l’espace public (Gruénais et al. 1999, 12–15)52.

Face au silence et à l’impuissance des États, les acteurs internationaux, et particu- lièrement les organisations internationales, ont joué depuis le début de l’épidémie un rôle particulièrement dominant dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de lutte contre le VIH/sida en Afrique. Certes, comme nous l’avons signalé dans la partie précédente, au niveau international également, les réactions face à cette épidé- mie sont lentes et la mise en place du Global Programme on AIDS (GPA) de l’OMS intervient en partie à la suite de demandes de la part de certains ministres de la Santé et présidents africains.

Cependant, l’élaboration des politiques de lutte contre le sida correspond dès le début aux caractéristiques de ce que Franck Petiteville et Andy Smith nomment des « politiques publiques multilatérales produites par (ou dans le cadre) d’organisations internationales » et qui ont des effets dans des cadres nationaux qui ne les ont pas produites (Petiteville et Smith 2006, 362–363). C’est en effet sur recommandation de l’OMS que les pays en développement mettent en place des « Programmes nationaux de lutte contre le sida » (PNLS) à partir de 1987, chargés de la coordination de

52. Bien évidemment, ce silence ne s’est pas imposé de manière uniforme sur le continent pendant les premières décennies de l’épidémie. Il est effectivement arrivé que le sida fasse irruption dans

Outline

Documents relatifs