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3.2 Application à la synthèse de textures ultrasonores

3.2.1 Cas traité

Sur une pièce saine en matériau composite et d’épaisseur fixée, modifier la position du traduc-teur affectera nécessairement le signal ultrasonore mesuré : certaines portions du signal verront leur amplitude s’accroître progressivement tandis que d’autres s’atténueront. Ces fluctuations résultent d’une part de la structure fibrée du matériau et, d’autre part, des perturbations localisées de cette structure régulière, notamment des accumulations de résine entre les fibres ou des épaisseurs de pli mal maîtrisées. Rendre compte de telles perturbations en simulation numérique soulève à la fois la difficulté d’en mesurer précisément les paramètres et le problème du raffinement excessif des calculs. L’idée de traiter le phénomène comme un aléa fait donc sens.

Il reste à définir ce que le champ aléatoire doit modéliser. Dans cette thèse, le modèle de texture sera utilisé pour synthétiser des signaux ultrasonores correspondant à l’inspection d’une pièce composite saine d’épaisseur constante. Le paragraphe 5.2.2.2.3 détaille comment ce modèle est exploité dans le prototype de simulateur opérationnel pour donner l’impression d’inspecter une pièce en matériau composite alors qu’il s’agit d’une maquette en matière plastique. Pour assurer une synthèse la plus rapide possible, l’idée est de décomposer le signal à simuler en deux : d’une part, un signal moyen qui donne la forme du A-scan représentative de tous les A-scans acquis pour diverses positions du traducteur sur la pièce, et d’autre part, un signal de bruit qui ajouté au signal moyen permet d’obtenir le A-scan réellement mesuré. Le champ aléatoire modélisera ce signal de bruit, de sorte que la synthèse du signal complet ne nécessite qu’une addition du signal moyen unique et du bruit. L’addition n’est pas une opération très stable sur des signaux oscillants : un petit décalage temporel entraîne de grandes variations du résultat. Pour éviter cette difficulté, le bruit n’est extrait qu’à partir de l’enveloppe du signal : la texture est alors définie comme la différence entre l’enveloppe du signal et l’enveloppe du signal moyen illustrée en Figure 3.3. D’un point de vu physique, la texture ainsi définie regroupe les effets combinés de l’arrangement périodique des constituants du matériau et des imperfections de cet empilement sur l’amplitude du signal ultrasonore. L’arrangement périodique est a priori un élément déterministe, mais le traiter comme tel imposerait à la méthode de simulation de connaître précisément ces empilements. Voir les effets de l’arrangement périodique comme un aléa offre une méthode qui ne demande alors aucune connaissance préalable sur le matériau. Cette définition facilite grandement l’utilisation de la texture pour simuler un A-scan réaliste : il suffit de moduler l’enveloppe et la phase9du A-scan moyen par la valeur de la texture. L’extraction d’enveloppe se fait par transformée de Hilbert suivie d’un filtrage de Savitzky-Golay. Ce filtre élimine les hautes fréquences non physiques et préserve mieux la forme de l’enveloppe que des techniques de type moyenne glissante.

La texture propre à un matériau donné et vue par un traducteur donné peut être extraite directement à partir d’une véritable acquisition du signal. L’intérêt de la modélisation par champ aléatoire est de pouvoir synthétiser une texture équivalente mais arbitrairement grande, i.e. non limitée par les données réelles disponibles. Grâce à un tel modèle, il devient possible de fabriquer un petit10 échantillon du matériau puis de simuler l’inspection d’une grande pièce saine semblant avoir été fabriquée avec ce matériau.

9. Le paragraphe 3.2.4 montre comment une texture ultrasonore définie à partir des fluctuations d’amplitude peut être appliquée pour obtenir des fluctuations en temps de vol.

10. Il est très complexe de pouvoir déterminer a priori quelle taille d’échantillon sera suffisante pour capturer correctement la texture propre à un matériau donné. Cette taille dépend notamment de la portée de la corrélation spatiale dans le matériau étudié : la taille de l’échantillon à considérer devra être supérieure aux dimensions pour lesquelles la corrélation spatiale se manifeste.

(a) A-scan 0 5 10 15 20 25 Temps t rµss ´1,0 ´0,5 0,0 0,5 1,0 Amplitude [u .a .]

A-scan Enveloppe (b) Enveloppe lissée

0 5 10 15 20 25 Temps t rµss 0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 Amplitude [u .a .]

(c) Texture obtenue par soustraction à l’enveloppe moyenne 0 5 10 15 20 25 Temps t rµss ´0,06 ´0,04 ´0,02 0,00 0,02 0,04 0,06 0,08 Amplitude [u .a .]

Figure 3.3 – Extraction de la texture

Sur une pièce plane sans défaut, des A-scans sont acquis pour un ensemble de N positions différentes pxi, yiq. Le A-scan moyen est déduit à partir de ces données. Pour chacune des positions pxi, yiq, la texture ultrasonore s’obtient par la soustraction de l’enveloppe du A-scan moyen et de l’enveloppe du A-scan à cette position.

Dans la littérature, les travaux sur les fluctuations d’amplitude du signal ultrasonore, parfois appelée tavelures, visent deux objectifs. Il peut s’agir d’éliminer ce bruit afin d’éviter qu’il ne masque une indication particulière lors de l’inspection. Cet objectif de filtrage se retrouve dans l’imagerie médicale [174][175] et dans le CND [176][177]. Une autre motivation consiste à extraire de ce bruit les informations qu’il véhicule sur la micro-structure du matériau. L’objectif est alors de segmenter et classifier les zones scannées, pour discriminer différents tissus dans l’imagerie médicale [178][179] ou différents matériaux pour le CND [180][181].

L’objectif de la simulation opérationnelle concernant le bruit n’est ni dans le filtrage, ni dans la segmentation mais dans la modélisation d’un bruit ayant des caractéristiques équivalentes : les perturbations du signal ultrasonore sont inhérentes à la technique de CND, il faut donc les retrouver dans les simulations. La modélisation des CND s’est déjà emparée du sujet en explo-rant notamment les matériaux polycristallins [182]. Les études qui ont été identifiées cherchent à répliquer le comportement de la texture à partir de caractéristiques physiques du matériau11, par exemple la taille moyenne des cristaux. Dans le cas des matériaux composites, l’effet de la structure du matériau est initialement étudié en considérant des arrangements parfaits. Dans un cas parfait, la séquence d’empilement du composite est supposée connue et des modèles d’interac-tion entre une onde et un milieu stratifié sont alors développés notamment via le formalisme des matrices de transfert [183][184]. Ces modèles physiques décrivent le phénomène de bande interdite qui se manifeste dans les composites : à cause de la périodicité de la structure, certaines fréquences d’excitation interagissent fortement avec le matériau et s’y propagent très mal. Et, à une échelle plus microscopique, l’atténuation dû à la visco-élasticité de la résine et à la multi-diffusion par les fibres peut aussi être modélisée. Le lecteur trouvera une bilbiographie de ces approches dans la thèse de Mascarot [185]. En ce qui concerne un empilement désordonné, les travaux de Kudela et al. le traitent via une simulation aléatoire des propriétés du matériau suivie d’une résolution numérique de la propagation des ondes au travers de ce milieu [137]. Les champs aléatoires ne sont

11. L’avantage est de pouvoir prévoir la perturbation d’un signal ultrasonore en fonction de n’importe quel type de matériau ; par contre, lorsque le matériau à répliquer est un véritable échantillon, il n’est en général pas facile de mesurer correctement ses propriétés, motivant ainsi notre stratégie de simulation directe à partir de données réelles.

alors pas appliqués pour décrire l’effet de l’empilement sur le signal mais ils sont appliqués pour décrire les causes physiques de ces effets. L’étude de la texture telle que proposée dans cette thèse — à savoir via l’utilisation d’un échantillon de signaux réels — ne semble avoir été envisagée que dans le domaine médical [139][186]. Par ailleurs, il faut souligner le choix fait ici de ne pas séparer les effets de la structure périodique et de ses imperfections de sorte à synthétiser simultanément les deux effets.

Même lorsque l’objectif est de synthétiser des textures, les techniques dédiées à la caractérisation ou à la segmentation gardent un intérêt. Dans les deux cas, l’objectif de ces approches est de résumer l’information contenue dans une texture, notamment dans le but de discriminer plusieurs types de matériau ou d’en évaluer certaines propriétés. Ces méthodes ne cherchent donc nullement à générer des textures par contre elles peuvent permettre d’évaluer la proximité entre une texture originale et sa version synthétisée. Les métriques de qualité de synthèse d’un champ aléatoire peuvent donc s’inspirer de ces travaux et s’appuyer sur :

— des caractéristiques statistiques :

— à l’ordre 1, la caractérisation se fait en considérant les points de la texture isolément (moyenne, écart-type, densité de probabilité, etc.) ;

— à l’ordre 2, les interactions des points de la texture sont considérées deux à deux (fonction de covariance des champs de Gauss, indicateurs d’Haralick, etc.) ;

— aux ordres supérieurs, les interactions entre chaque point et son voisinage sont analysées (méthode de Markov) [187][188] ;

— des caractéristiques physiques :

— mise en place d’indicateurs spécifiques au domaine étudié. En géostatistique, les fractions volumiques de chaque faciès, leur surface, leur connectivité, etc. sont étudiées. En CND, si le champ aléatoire sert à décrire la micro-struture d’un matériau hétérogène, les mêmes indicateurs peuvent être utilisés sur chaque constituant, par exemple la fraction volumique de fibres par rapport à la résine pour un matériau composite.

— évaluation des effets induits par le champ synthétisé sur la mesure d’une grandeur dé-rivée. Il s’agit d’utiliser le champ aléatoire au sein d’une simulation numérique afin d’estimer des indicateurs mesurables. En géostatistique, il peut s’agir d’évaluer l’écou-lement de l’eau dans la structure aléatoire afin de comparer les débits avec la réalité. En CND sur les composites, l’atténuation de l’onde traversant le champ aléatoire peut être étudiée afin de la comparer aux valeurs expérimentales et de justifier ainsi le choix d’un modèle aléatoire [189].

— des caractéristiques issues du traitement du signal : — coefficient des filtres de Gabor ;

— coefficient du filtrage en ondelette ; — analyse de motifs répétés ;

Dans notre cas, la métrique la plus essentielle sera la sensation visuelle garantie par la texture : imite-t-elle de façon convaincante la texture de référence ? Ainsi, comme toute la littérature dédiée aux textures, les paragraphes suivant proposeront des figures comparatives entre la texture origi-nale et la texture synthétisée. Pour avoir des éléments plus quantitatifs, la densité de probabilité des valeurs de la texture ultrasonore sera également utilisée à des fins de comparaison12. L’écart entre deux densités de probabilité sera quantifié par la distance de Kolmogorov-Smirnov, ou dis-tance K-S. Cette disdis-tance a été adoptée par de nombreuses études [190][191][192] et elle donne de bons résultats en termes de discrimination de différentes textures ultrasonores comme le montre l’étude de Osman et al. [181]. Pour calculer la distance K-S, noté DK´S, entre deux densités de probabilité f1 et f2, il faut calculer les fonctions de répartitions associées F1psq “ şs´8f1ptqdt et F2pxq “ş´8x f2ptqdtpuis mesurer l’écart maximum entre elles : DK´S “ max

s |F1psq ´ F2psq|. En CND, les densités de probabilité des fluctuations d’amplitude du signal véhiculent une information intéressante concernant la probabilité de fausse alarme. La fausse alarme correspond à la situation où un bruit est interprété comme étant un défaut : la présence d’un défaut est souvent estimée

12. La densité de probabilité est un élément important mais il faut noter que deux champs aléatoires ayant des densités de probabilité rigoureusement identiques ne sont pas nécessairement des champs identiques. La densité de probabilité est notamment insensible à tous les effets de répartitions dans l’espace puisque les valeurs sont analysées indépendamment de leur position.

par dépassement d’une amplitude seuil, il peut arriver que les fluctuations aléatoires d’amplitude dépassent le seuil fixé. La probabilité de dépasser ce seuil s’estime à partir de la densité de pro-babilité du bruit et donne la propro-babilité d’apparition des fausses alarmes, d’où l’intérêt de vérifier que les densités de probabilité des textures synthétisées soient conforment à la réalité.

L’idée suivie pour synthétiser ces textures ultrasonores — décrivant la perturbation de l’enve-loppe des signaux ultrasonore due à l’effet combiné de la structure régulière du matériau et des perturbations aléatoires de cet ordre — est de les voir comme des champs aléatoires continus. Parmi les hypothèses d’études identifiées au paragraphe précédent, l’aspect continu élimine le re-cours aux processus ponctuels tandis que l’objectif de développer une approche valable pour un très large spectre de matériaux écarte les hypothèses spécifiques. Seules les hypothèses de Gauss et de Markov seront donc envisagées. Dans les deux cas, l’étude s’appuiera sur une réalisation du champ aléatoire étudié. Une portion de matériau est scannée avec un traducteur, les A-scans sont amputés de leurs échos d’entrée et de fond, puis les enveloppes sont extraites et soustraites à l’enveloppe moyenne donnant la texture tri-dimensionnelle de référence Hrefp~gq avec ~g “ x~ex` y~ey` t~et un vecteur à deux coordonnées d’espace et une de temps. A la vitesse de propagation des ultrasons v près, l’axe du temps peut être vu comme l’axe z (cf. Figure 3.4). La matrice correspondante à une réalisation de Hrefp~gqcontient typiquement 27ˆ27ˆ1 300 valeurs de texture avec une acquisition spatiale tous les millimètres sur une zone de 27 mm ˆ 27 mm et une fréquence d’échantillonnage de 100 MHz. Pour restreindre les sources d’aléas à l’unique source étudiée, à savoir le matériau, ces acquisitions ont été menées avec un bras robotisé en immersion13.

x y z ϕ θ ~g “ vt

Figure 3.4 – Notation géométrique

px, yqdéfinit le plan de la surface de la pièce et z son épaisseur. Lors d’une inspection, le traducteur se déplace dans le plan px, yq et le signal temporel correspond à une visualisation selon z.