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1.2. L A PRESSE FRANCOPHONE : U NE INSTITUTION CENTRALE EN N OUVELLE A NGLETERRE

1.2.2. Caractéristiques et fonctions de la presse franco-américaine

Cet aperçu de l’évolution de la presse nous apparaissait nécessaire. Nous l’avons voulu très chronologique, pour bien en discerner les phases d’expansion et de déclin ainsi que pour repérer les publications s’étant distinguées par leur longévité. Celles ayant

sont que 414 000 en 1980. Aux dires de la démographe, rien n’indique dans ces recensements si le français est parlé ou maîtrisé par les répondants. Cf. Madeleine Giguère, « Y a-t-il de nos jours un marché pour le journal franco-américain? », dans Claire Quintal, dir., Le journalisme de langue française aux États-Unis,

op.cit,, p. 129, 147.

39 Paul Paré, « A History of Franco-American Journalism », op.cit., p. 258. 40 Robert B. Perreault, « Survol de la presse franco-américaine », op.cit., p. 22.

franchi les années 1940 sont souvent citées dans le Travailleur, parfois avec approbation, d’autres fois pour être rudement critiquées. Il importe à présent de décrire plus longuement les fonctions de la presse telles qu’elles apparaissent dans l’historiographie, en plus de présenter ses caractéristiques générales.

En ouverture du colloque que l’Institut français du Collège l’Assomption de Worcester consacre au journalisme franco-américain en 1984, Claire Quintal opine que « fonder un journal dans un Petit Canada tenait […] de la gageure et d’un héroïsme forcené41 ». Nombreux sont les contemporains et les historiens qui, comme Quintal, ont

souligné le dévouement, voire l’acharnement des journalistes franco-américains. Selon elle, ils étaient avant tout « des hommes enflammés de zèle pour une cause […], celle de maintenir vivace le fait français en terre étatsunienne », auxquels elle prête un « désir évident d’encadrer ce peuple d’immigrants42 ».

Qui sont ces hommes? Nous soulignions précédemment le rôle des sociétés mutuelles dans le recrutement de professionnels canadiens-français. Inévitablement, les intellectuels à la barre des premiers journaux franco-américains viennent du Québec. Il s’agit souvent de jeunes diplômés qui, souffrant d’un manque de débouchés au Canada, se tournent vers une Nouvelle-Angleterre francophone alors en plein essor et se jettent dans le journalisme un peu à l’aveuglette43. Progressivement, des Franco-Américains nés

aux États-Unis, mais ayant pour la plupart fait leurs études au Québec44, prennent le

41 Claire Quintal, « Préface », dans Claire Quintal, Le journalisme de langue française aux États-Unis,

op.cit., p. 6.

42 Ibid., p. 2.

43 Yves Roby, Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre (1776-1930), op.cit., p. 131.

44 En 1910, 3500 jeunes franco-américains étudient dans les collèges classiques du Québec. Cf. André Sénécal, « Journalisme et création romanesque en Nouvelle-Angleterre francophone, 1875-1936 », dans

relais. Les premiers comme les seconds n’ont pas de formation journalistique à proprement dit45, ce qui n’empêche pas Ferdinand Gagnon de penser que le journalisme

est « la seule profession à laquelle l’enseignement classique les a préparés46 ». En

somme, ce sont donc des laïcs instruits qui prennent parole et endossent la responsabilité de défendre, de promouvoir et de préserver la culture canadienne-française en Nouvelle- Angleterre.

Les journaux franco-américains et les intellectuels qui étaient à leur barre ont contribué de maintes façons à l’essor et à la vitalité de la présence canadienne-française dans les différents États du Nord-est américain. Louise Péloquin-Faré décrit la nature de cette contribution comme un « appui aux autres bastions culturels et linguistiques, aux milieux familial, scolaire, paroissial et social47 ». Plusieurs chercheurs ont, comme elle,

présenté la presse comme un instrument complémentaire, qui a « secondé et intensifié l’œuvre des autres institutions ethniques48 ». Les journalistes ont plaidé pour la fidélité à

la langue française et aux mœurs canadiennes-françaises en plus d’instruire les Franco- Américains, les aidant à mieux s’adapter à « une ambiance anglophone, protestante, urbaine et industrielle, milieu étrange par rapport à celui de leur mère patrie49 ». Ils ont

Claude Poirier, dir., Langue, espace, société. Les variétés du français en Amérique du Nord, Québec, PUL, 1994, Coll. « Culture française d’Amérique », p. 146. Il n’existe pas d’institutions francophones d’études supérieures octroyant le baccalauréat ès arts en Nouvelle-Angleterre avant la fondation à Worcester du Collège de l’Assomption, en 1904. Il sera rejoint par le Collège Mont-Saint-Charles de Woonsocket, créé en 1924.

45 Selon Aurélien Leclerc, le journalisme s’enseigne depuis le XIXe siècle aux États-Unis et depuis le début du XXe siècle au Canada anglais. Au Québec, la discipline n’est enseignée qu’à partir de 1967. Cf. Aurélien Leclerc, L’entreprise de presse et le journaliste, Sillery, Presses de l’Université du Québec, 1991, p. 67.

46 Cité dans Yves Roby, Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre (1776-1930), op.cit., p. 131. 47 Louise Péloquin-Faré, L’identité culturelle : Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre, Paris, Crédif, 1983, p. 79.

48 Ibid., p. 78.

aussi servi de guides pour leur communauté. En 1938, dans un article qu’il signe d’un pseudonyme dans Le Travailleur, Philippe-Armand Lajoie avance qu’« un groupement franco-américain sans journal de langue française est un peu comme un navire sans boussole50 ». L’historiographie abonde dans le même sens.

Évidemment, plusieurs journaux francophones se sont voués à l’information, réservant plusieurs pages à l’actualité franco-américaine locale et régionale, mais aussi canadienne et américaine. Maximilienne Tétreault ajoute que les journaux ont « [permis] aux Franco-Américains de se retrouver, malgré les distances entre les villes, de s'apprécier et de constater les progrès qui se faisaient51 ». On y faisait la promotion de

tout ce qui concernait la culture franco-américaine, en annonçant notamment tout événement digne d’intérêt : commémoration, célébration, festival, congrès, convention, etc. Plusieurs journaux ont également ouvert leurs pages à divers penseurs, écrivains ou poètes. De nombreux feuilletons, romans et thèses y ont d’abord été diffusés avant d’être édités. Le roman Canuck de Camille Lessard, publié dans les pages du Messager de Lewiston, en représente l’un des exemples les plus connus52.

Il ressort cependant très clairement que la presse franco-américaine dans son ensemble est une presse d’idées et de combat beaucoup plus qu’une presse

50 Bourdon [Philippe-Armand Lajoie], « Au rucher du New Hampshire », Le Travailleur, 9 juin 1938, p. 2; cité dans Yves Roby, Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre. Rêves et réalités, op.cit., p. 335. Nous reviendrons plus tard sur les raisons qui ont pu pousser des intellectuels de la trempe de Lajoie, rédacteur en chef d’un des quotidiens les plus influents de la Franco-Américanie, à écrire dans Le

Travailleur.

51 Maximilienne Tétreault, Le rôle de la presse dans l'évolution du peuple franco-américain de la

Nouvelle-Angleterre avec une liste chronologique des journaux publiés dans les états de l'Illinois, Michigan, Minnesota, New York et de la Nouvelle-Angleterre, Thèse de doctorat (histoire), Marseille,

Imprimerie Ferran, 1935, p. 133.

d’information. Les enjeux qui mobilisent la presse francophone tout au long de l’histoire franco-américaine sont multiples : les nominations cléricales, la fondation de paroisses nationales, la fondation d’écoles et de collèges franco-américains, la part de l’enseignement du français à l’école, l’anglicisation du culte à l’église, etc. Ces enjeux sont évidemment les mêmes qui divisent les intellectuels franco-américains radicaux et modérés qui en sont à la barre. Ainsi, au fil des campagnes menées pour la défense des intérêts franco-américains, des allégeances intellectuelles se dessinent au sein de la presse franco-américaine. Tentons, pour y voir plus clair, une récapitulation des épisodes les plus marquants ayant impliqué la presse et ses journalistes.